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— Je ne suis pas sûre de mériter tant de confiance, fit Egwene, baissant les yeux sur le livre rouge. Pas sûre du tout…

— Ne dis pas de bêtises ! (Verin bâilla de nouveau et ferma les yeux.) Tu seras bientôt la seule et unique Chaire d’Amyrlin, je n’en doute pas un instant. Et une dirigeante doit être bardée de connaissances. Les lui fournir est un des devoirs sacrés de l’Ajah Marron. C’est d’ailleurs au monde entier qu’il doit ce service. Je suis encore une sœur de cet Ajah. S’il te plaît, fais-le savoir à mes collègues, afin que le mot « noir » n’entache pas mon nom à jamais. Mon âme est restée marron du début à la fin. Dis-le-leur…

— Je le ferai, Verin… Mais ton âme n’est pas marron. Je le vois…

La moribonde ouvrit les yeux, sonda le regard d’Egwene et tenta de froncer les sourcils.

— Ton âme est d’un blanc immaculé, Verin. Comme la Lumière.

Verin sourit et ferma les yeux. La mort mettrait encore un peu de temps à venir, mais l’inconscience tomba comme un rideau sur une scène.

Egwene s’assit et prit la main de la sœur marron. Elaida et le Hall attendraient. Le terrain bien préparé, venir dicter ses conditions maintenant aurait été un abus d’autorité.

Après que le pouls de Verin se fut arrêté, Egwene prit la tasse d’infusion empoisonnée et la posa sur le lit. Puis elle plaça la soucoupe sous les narines de la sœur. Pas de buée…

Cette double vérification avait quelque chose de choquant, mais il existait des poisons qui plongeaient les gens dans un état de mort apparente alors qu’ils respiraient encore faiblement. Si Verin avait voulu piéger Egwene en dénonçant les mauvaises sœurs, ç’aurait été la bonne façon de procéder.

Oui, une double vérification choquante. Egwene en fut honteuse, mais elle était la Chaire d’Amyrlin. Prête à faire ce qui était difficile et à ne négliger aucune possibilité.

À l’évidence, aucune véritable sœur noire ne serait morte uniquement pour tromper quelqu’un. Dans son cœur, Egwene n’avait aucun doute. Mais son esprit, lui, exigeait des certitudes.

Egwene jeta un coup d’œil à son petit bureau, sur lequel elle avait posé les livres. À cet instant, la porte de sa cellule s’ouvrit et une jeune Aes Sedai – nommée si récemment que ses traits n’avaient pas encore l’intemporalité habituelle – entra en trombe. Nommée Turese, elle appartenait à l’Ajah Rouge.

Donc, on avait fini par affecter une harpie à la prisonnière. Sa « liberté » était terminée. Eh bien, pleurer sur le lait renversé n’avait jamais aidé personne. Et elle avait sacrément bien tiré parti de ce moment. Verin aurait dû venir la voir une semaine plus tôt, mais là encore, ce qui était fait était fait.

Turese fronça les sourcils en découvrant la sœur marron. Egwene plaqua un index sur ses lèvres et foudroya l’intruse du regard.

— Elle vient de revenir à la tour, et elle voulait me parler. C’est lié à une mission dont elle m’a chargée il y a longtemps, bien avant le schisme. Parfois, ces sœurs marron sont fichtrement têtues.

Pas un seul mot de faux, du premier au dernier…

Turese approuva d’ailleurs du chef le commentaire sur les érudites.

— J’aurais aimé qu’elle aille s’étendre dans son propre lit. Franchement, je ne sais pas trop quoi en faire…

Là encore, rien de mensonger. N’empêche, Egwene devait absolument se procurer le Bâton des Serments. Dans des circonstances pareilles, mentir aurait été bien pratique.

— Elle doit être fatiguée par son voyage, fit Turese à voix basse, mais d’un ton ferme. Laisse-la faire ce qu’elle veut. C’est une sœur, et toi, tu es une vulgaire novice. Ne la dérange pas.

Sur ces mots, la harpie rouge ferma la porte. Très fière d’elle, Egwene s’autorisa un petit sourire. Puis elle regarda le cadavre de sa visiteuse. Verin… et son sourire disparut. Tôt ou tard, elle devrait révéler la mort de sa visiteuse. Mais comment expliquer une chose pareille ? Eh bien, il faudrait trouver quelque chose. Au pire, elle dirait la vérité.

Avant tout, elle devait s’occuper du livre rouge. Les risques qu’on le lui prenne étaient très élevés, même avec le ter’angreal en forme de marque-page. Le livre bleu, il valait mieux qu’elle le cache ailleurs que le rouge. À moins de mémoriser le code, puis de détruire le support. Tout ça aurait été plus facile à décider si elle avait su comment se passait la réunion du Hall. Elaida était-elle destituée ? Silviana vivait-elle encore ?

Avec Turese sur le dos, Egwene ne pourrait pas découvrir grand-chose. Il ne lui restait plus qu’à attendre. Et à déchiffrer…

Le code se révéla très complexe. Pour le comprendre, il fallait lire une grande partie de l’ouvrage bleu. Pas nécessairement une bonne nouvelle… Sans ce livre, il serait impossible de déchiffrer le rouge. Quant à mémoriser le code, ce serait infaisable. En tout cas en une seule nuit. Au matin, il faudrait bien révéler ce qui était arrivé à Verin.

Egwene regarda de nouveau la défunte. On aurait vraiment juré qu’elle dormait paisiblement. Pour que l’illusion soit parfaite, la jeune femme lui avait enlevé ses chaussures, les posant au pied du lit. Puis elle avait tiré la couverture jusqu’à son cou.

Même si c’était irrespectueux, Egwene décida de tourner Verin sur un côté. Turese jetant régulièrement un coup d’œil dans la pièce, ce changement de position calmerait ses soupçons, si elle en avait.

Cette tâche accomplie, Egwene regarda sa chandelle pour estimer le temps qu’il lui restait. Dans la cellule d’une novice, il n’y avait pas de fenêtres. En des circonstances normales, elle aurait tissé un globe lumineux pour s’éclairer. Là, elle allait devoir se contenter de la bougie.

Décidée, elle s’attaqua au plus urgent : déchiffrer les noms des sœurs noires listées à la fin du livre. C’était capital, plus encore que de mémoriser le code. Savoir à qui elle pouvait faire confiance serait crucial dans les jours à venir.

Les quelques heures suivantes comptèrent parmi les plus étranges et perturbantes de la jeune vie d’Egwene. Bien des noms lui étaient inconnus ou très vaguement familiers, mais il y avait dans le lot des femmes avec qui elle avait travaillé. Certaines lui avaient inspiré du respect, et une poignée lui avaient semblé dignes de confiance. Trouvant le nom de Katerine non loin de la tête de liste, Egwene lâcha un juron. Puis elle siffla de surprise en découvrant celui d’Alviarin. Elza Penfell et Galina Casban, elle en avait entendu parler. En revanche les noms qui figuraient autour des leurs ne lui disaient rien.

L’estomac de la jeune Chaire d’Amyrlin se noua quand elle tomba sur le nom de Sheriam. À dire vrai, elle l’avait soupçonnée, mais ça remontait à l’époque où elle était encore novice, puis Acceptée. En ce temps-là, où elle avait commencé à traquer les sœurs noires, la trahison de Liandrin était encore dans toutes les mémoires. Du coup, elle avait eu tendance à suspecter tout le monde.

Durant l’exil à Salidar, elle avait travaillé avec Sheriam et appris à l’apprécier. Mais la traîtresse appartenait à l’Ajah Noir. En d’autres termes, sa Gardienne des Chroniques servait le Ténébreux !

Prépare-toi au pire, Egwene !

Dans la liste, il y avait sûrement des surprises encore plus terribles. Submergée de dégoût et d’amertume, la Chaire d’Amyrlin des rebelles se reprit vite en main. Dans sa position, les émotions ne devaient jamais prendre le pas sur le devoir.

Les sœurs noires avaient essaimé dans tous les Ajah. Certaines siégeaient au Hall et d’autres étaient des Aes Sedai de second rang presque dépourvues de Pouvoir.