Выбрать главу

— Meidani me montre certains tissages que je devrai maîtriser si je dois passer l’épreuve. C’est interdit ?

Turese foudroya Egwene du regard. Mais elle se retira et referma la porte.

— Je voulais l’empêcher de voir le portail, expliqua Egwene. Dépêche-toi, à présent. Et amène le cadavre. Quand Turese reviendra fouiner, je lui dirai la stricte vérité : Verin et toi êtes parties via un portail.

— Mais que faire de la dépouille ? demanda Meidani.

— Ce qui semblera le plus adapté, marmonna Egwene. Je te laisse trouver. Pour l’heure, j’ai d’autres chats à fouetter. Emporte la tasse, mais sois prudente, parce que l’infusion est empoisonnée.

Egwene regarda sa bougie, dont la cire débordait maintenant sur la table.

Avec un soupir accablé, Meidani ouvrit un portail. Quand des flux d’Air portèrent Verin de l’autre côté, Egwene eut un pincement au cœur. Cette femme avait mérité dix fois mieux. Un jour, tout le monde saurait ce qu’elle avait fait et combien elle avait souffert. Mais il faudrait attendre un peu.

Quand Meidani fut partie, Egwene alluma une autre bougie. Puis elle s’étendit sur son lit en essayant de ne pas penser au cadavre qui l’occupait jusque-là. Se détendant, elle songea à Siuan, qui ne tarderait plus à se coucher. Il fallait la prévenir, pour Sheriam et les autres brebis galeuses.

Quand elle ouvrit les yeux, Egwene se retrouva dans la version onirique de sa cellule de novice. Le lit fait, la porte était fermée. Après s’être vêtue en un clin d’œil d’une robe verte parfaite pour une Chaire d’Amyrlin, Egwene se dirigea vers le Jardin Printanier. Siuan n’y était pas, mais l’heure du rendez-vous n’avait pas encore sonné.

Ici, aucune trace des détritus qui s’accumulaient dans les rues de Tar Valon ni de la corruption qui pourrissait les racines de l’entente entre les Ajah. Au gré de l’ascension et de la chute des Chaires d’Amyrlin, les jardiniers de la tour, inlassables comme le vent ou la pluie, plantaient, taillaient puis cueillaient des trésors végétaux. Bien plus petit que les autres jardins de la tour, ce mouchoir de poche se réduisait en fait à un triangle de terre et de verdure coincé entre deux murs. Dans une autre ville, cette niche aurait servi de remise ou aurait été remplie de pierres. À la Tour Blanche, les deux possibilités étaient inenvisageables.

La solution ? Créer un jardin miniature débordant de plantes capables de pousser dans la pénombre. Des hydrangées s’accrochaient aux murs et s’enroulaient autour des pots de fleurs. Des Cœurs de Marie s’alignaient par rangées, leurs petits pétales roses accrochés à des tiges dont la plupart portaient encore un bourgeon à l’extrémité. Également en fleur, des pampres-soie, avec leurs fines feuilles en forme de doigt, venaient s’unir à d’autres plantes friandes d’ombre, formant ainsi la pointe du triangle.

En marchant de long en large dans l’espace exigu, Egwene repensa à Sheriam. La sœur noire Sheriam. Quel mal avait-elle pu faire depuis qu’elle vivait à la tour ? Durant le règne de Siuan, elle avait été Maîtresse des Novices pendant des années. Avait-elle usé de sa position pour brutaliser voire convertir d’autres sœurs ? Avait-elle tiré les ficelles de l’attaque de l’Homme Gris, très longtemps auparavant ?

Sheriam avait appartenu au groupe chargé de guérir Mat. Dans un cercle, avec tant d’autres sœurs, elle n’avait pas dû pouvoir faire grand-chose, mais tout ce qui la concernait devenait suspect. À dire vrai, l’affaire était énorme ! Avant la nomination d’Egwene, Sheriam était une des dirigeantes, à Salidar. Qu’avait-elle détruit discrètement ? Quels secrets avait-elle livrés aux Ténèbres ?

Avait-elle été informée longtemps à l’avance du plan d’Elaida visant à renverser Siuan ? Sœurs noires toutes les deux, Galina et Alviarin avaient joué un rôle majeur dans cette machination. Du coup, il semblait logique qu’elles aient prévenu d’autres traîtresses. L’exode d’une moitié de la tour, l’installation à Salidar et le temps perdu à y débattre sans fin faisaient-ils partie des plans du Ténébreux ? Et l’accession d’Egwene au poste suprême ? Sans le savoir, était-elle la marionnette de ses ennemis ?

Tu réfléchis dans le vide, ma fille. Ne joue pas à ça.

Même avant de connaître la liste de Verin, Egwene soupçonnait le Ténébreux d’être impliqué dans le schisme. À l’évidence, des Aes Sedai divisées lui faisaient beaucoup moins peur qu’une tour unie et solidaire rangée derrière une dirigeante respectée.

À présent, l’affaire était plus… personnelle. D’avoir été trompée ainsi, Egwene se sentait comme salie. Un instant, elle se demanda si elle n’était pas bel et bien la « bouseuse » pour laquelle beaucoup de sœurs la prenaient. Si Elaida avait été la dupe de l’Ajah Noir, elle n’avait rien à lui envier. En regardant deux Chaires d’Amyrlin s’affronter, chacune secondée par une de ses espionnes, le Ténébreux avait dû se payer de bonnes tranches de rire.

« Après des années d’observation, je ne sais toujours pas ce qu’il veut, ni pourquoi il le veut », avait dit Verin. Alors ? comment savoir s’il aimait rire ?

La Chaire d’Amyrlin des rebelles frissonna. Quoi qu’ait fait ce monstre, elle lui mettrait des bâtons dans les roues.

Lui résister et lui cracher dans l’œil, même s’il finissait par gagner… Le mantra des Aiels…

— Eh bien, pour un soupir, c’est un soupir ! dit la voix de Siuan.

Egwene se retourna. Peinée, elle s’avisa qu’elle ne portait plus une robe de dirigeante mais une armure complète, comme un soldat qui part ferrailler. Dans une main, elle serrait deux lances aielles.

Elle dissipa tout cet attirail et fit revenir sa robe.

— Siuan, tu devrais peut-être faire apparaître une chaise et t’y asseoir. Il s’est passé quelque chose.

— Quoi donc ?

— Avant tout, Sheriam et Moria sont des sœurs noires.

— Quoi ? Quel est ce délire ? Je voulais dire : « Quel est ce délire, Mère ? »

— Ça n’a rien de délirant… La stricte vérité, hélas. Il y a d’autres traîtresses, mais je te transmettrai leurs noms plus tard. Pour l’instant, nous ne pouvons pas les incarcérer. Pour préparer un plan, il me faut au moins une soirée. Nous frapperons très bientôt, mais jusque-là, il faudra surveiller de près Sheriam et Moria. Ne reste pas seule avec elles, surtout.

Siuan secoua la tête, incrédule.

— Quel est ton niveau de certitude ? demanda-t-elle.

— Certitude maximale… Surveille ces femmes, Siuan, et réfléchis à ce que nous pourrons faire. Avant de me décider, je veux entendre tes suggestions. Il nous faut capturer ces sœurs en douceur, puis démontrer que cette démarche était justifiée.

— Ça risque d’être dangereux, dit Siuan. J’espère que tu sais ce que tu fais, Mère.

— Si je me trompe, j’assumerai toutes les conséquences. Mais je ne m’inquiète pas trop. Comme je l’ai déjà dit, beaucoup de choses ont changé.

Siuan inclina la tête.

— Tu es toujours prisonnière ?

— Pas exactement. Elaida a…

Egwene hésita, perplexe. Quelque chose ne tournait pas rond.

— Egwene ? demanda Siuan, de nouveau anxieuse.

— Je…, commença la jeune femme.

Elle n’alla pas plus loin. En elle, quelque chose tentait de l’attirer et d’obscurcir son esprit.

Quelque chose…

… Tira Egwene en arrière. Alors que Tel’aran’rhiod se volatilisait autour d’elle, la jeune Chaire d’Amyrlin rouvrit les yeux dans sa cellule où Nicola, terrorisée, lui secouait un bras.

— Mère ! s’exclama-t-elle. Mère !