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— Gawyn, parmi ce qu’il appelle « mes chevaux », certains sont la propriété des Aes Sedai. Choisis-en un pour moi. Une bonne bête, surtout. Aussi bonne et patiente que possible.

Gawyn acquiesça et fila à la vitesse du vent. Siuan le suivit à un rythme plus raisonnable. Il fallait qu’elle réfléchisse. Tout aurait été plus facile si elle avait pu ouvrir un portail, mais elle n’était plus assez puissante dans le Pouvoir pour ça. Avant qu’on l’ait calmée, ç’aurait été très différent. Mais pleurer sur le lait répandu était à peu près aussi utile que souhaiter avoir pêché un barracuda alors qu’on venait de remonter une sardine. Au marché, on vendait ce qu’on avait – bien content que ça ait mordu.

— Siuan, dit Bryne, qui lui collait toujours aux basques. (Ne pouvait-il pas la laisser tranquille ?) Tu dois m’écouter. C’est de la folie. Comment entreras-tu en ville ?

Siuan regarda le fichu général.

— Shemerin en est bien sortie… Je passerai par là.

— Il n’y avait pas de siège, à l’époque. Les issues étaient moins surveillées.

Siuan secoua la tête.

— Shemerin était l’objet d’une grande attention, et elle a pourtant réussi à filer par une poterne. Une sortie qui reste sans surveillance, même aujourd’hui. J’étais la Chaire d’Amyrlin, et je n’en avais jamais entendu parler ! Mais j’ai un plan pour la trouver.

Bryne hésita, puis il se rembrunit encore.

— Ça ne changera rien. À vous deux, vous n’aurez pas une chance.

— Alors, accompagne-nous.

— Tu vas de nouveau violer un serment, et je ne veux rien avoir affaire avec ça !

— Egwene a dit qu’on pourrait intervenir si elle risquait d’être exécutée. Elle acceptera notre aide. Vu la façon dont elle a disparu du Monde des Rêves, ce soir, je suis presque sûre qu’elle est en danger.

— Pas à cause d’Elaida, mais des Seanchaniens !

— Ça, rien ne le prouve.

— Ignorer n’est jamais une excuse, Siuan. (Bryne approcha de l’ancienne Chaire d’Amyrlin.) Pour toi, ne pas tenir parole est devenu une… commodité. Je ne veux pas t’encourager dans cette voie. Même une Aes Sedai, y compris l’ancienne Chaire d’Amyrlin, doit avoir des principes et des limites. Sans même dire que tu es partie pour te faire tuer, si tu insistes !

— Tu oserais m’arrêter ? Je suis toujours unie à la Source. Tu crois faire le poids ?

Bryne serra les dents et ne répondit pas. Se détournant, Siuan se dirigea vers la sortie où Gawyn la rejoindrait avec les chevaux.

— Maudite bonne femme ! lâche Bryne dans son dos. Tu finiras par avoir ma peau.

Siuan se retourna, un sourcil arqué.

— Je viens ! grogna le général.

Saisissant la poignée de son épée toujours au fourreau, il carra les épaules, silhouette imposante dans la nuit, le visage aussi austère que les plis rigoureusement droits de sa veste.

— Mais il y a deux conditions.

— Je t’écoute.

— La première, c’est que je devienne ton Champion.

Siuan n’en crut pas ses oreilles. Gareth Bryne voulait être lié à elle. Sacrément excitant, ça…

Sauf que… Depuis la mort d’Alric, elle n’envisageait plus de prendre un Champion. Après avoir traversé une épreuve pareille, courait-on le risque de la revivre ?

Mais pouvait-elle refuser l’occasion d’être liée à cet homme, de sentir ses émotions et de l’avoir en permanence à ses côtés ? Après tout ce qu’elle avait rêvé et ardemment souhaité ?

Avec une grande solennité, Siuan rebroussa chemin, se campa devant Bryne, lui posa une main sur le torse, tissa les flux d’Esprit requis et l’en enveloppa. Alors qu’un nouveau niveau de conscience fleurissait en eux, le général inspira à fond. Le lien établi, Siuan sentit à quel point il se souciait d’elle – un affect d’une incroyable puissance. Bien supérieur, en outre, à tout ce qu’il pouvait éprouver pour Egwene et même pour ses soldats. La jeune femme et ses hommes, il les appréciait. Siuan, il…

Oh, Gareth…, pensa-t-elle, souriant à la seule idée de l’amour qu’il lui portait.

— Je me demande depuis toujours ce que ça fait, souffla Bryne. (Levant une main, il ferma et ouvrit le poing plusieurs fois.) J’aimerais pouvoir me lier ainsi à chacun de mes gars.

— Je doute fort que leur épouse et leur famille approuveraient ça…

— Elles approuveraient, si ça gardait leur mari ou leur fils en vie. Ainsi lié, je pourrais courir mille lieues sans avoir besoin de reprendre mon souffle. Et affronter cent ennemis en même temps comme si de rien n’était.

Siuan roula de gros yeux. Les hommes ! À celui-là, elle venait d’offrir un lien mental intime avec une autre personne – le genre de connexion qu’un mari et une femme ne partageaient pas –, et tout ce qu’il voyait, c’était la possibilité de s’améliorer à l’escrime.

— Siuan ! appela une voix. Siuan Sanche !

L’ancienne Chaire d’Amyrlin se retourna. Perché sur un hongre noir, Gawyn approchait, tenant par la bride une jument que Siuan aurait reconnue entre mille.

— Bela ! s’exclama-t-elle.

— Elle te convient ? demanda Gawyn, un peu essoufflé. À l’origine, c’était la monture d’Egwene. Selon le palefrenier, c’est la plus placide dont il dispose.

— Elle sera parfaite… (Siuan se tourna vers Bryne.) Tu as parlé de deux conditions ?

— La seconde, je te la dirai plus tard…

À l’évidence, le général était encore un peu sonné par son expérience.

— Ce n’est pas très honnête, ça… (Siuan croisa les bras.) Je n’aime pas promettre à l’aveuglette.

— Eh bien, il faudra t’y faire, sur ce coup-là…

— D’accord, mais j’espère qu’il n’y aura rien d’indécent là-dedans, Gareth Bryne.

Le général fronça les sourcils.

— Quoi encore ? grogna Siuan.

— C’est étrange… Je sens tes émotions… Par exemple, je peux dire que…

Le Champion n’alla pas plus loin. Dans le lien, Siuan capta de… l’embarras.

Tu as saisi qu’en un sens, j’adorerais que tu me demandes quelque chose d’indécent…

Siuan s’empourpra jusqu’à la racine des cheveux.

Par les fichues cendres !

Cette affaire menaçait de devenir très… délicate.

— Au nom de la Lumière… Je céderai à toutes tes exigences, espèce de butor ! Mais à présent, bouge-toi un peu. Il faut partir.

Bryne acquiesça.

— Donne-moi le temps de préparer mes officiers à prendre les choses en main, s’il y a du grabuge hors de la ville. Pour cette expédition, j’emmènerai cent de mes meilleurs hommes. C’est assez peu pour que nous puissions franchir ta poterne, si elle est toujours ouverte.

— Elle le sera. File !

Bryne salua son Aes Sedai, le visage grave. Dans le lien, Siuan sentit qu’il souriait intérieurement – et à coup sûr, il savait qu’elle savait. Insupportable gaillard !

L’ancienne Chaire d’Amyrlin se tourna vers Gawyn, qui semblait un peu largué.

— Que se passe-t-il ?

— Nous n’aurons pas besoin d’y aller seuls…

Siuan inspira à fond, mobilisa toute sa volonté et enfourcha Bela. Même si cette jument incarnait un peu la rédemption de son espèce, aucun équidé n’était digne de confiance.

— En d’autres termes, Gawyn, nos chances de survivre assez longtemps pour sauver Egwene viennent d’augmenter. Félicitons-nous-en, parce que après ce que nous préméditons de faire, elle voudra sans doute nous tuer de ses mains.

Adelorna Bastine courait dans les couloirs de la Tour Blanche. Pour une fois, elle regrettait qu’être unie à la Source amplifie les sens. Des odeurs plus puissantes ? La belle affaire, quand tout ce qui montait à vos narines était l’odeur de la chair et du bois brûlés. Des couleurs plus vives ? À quoi bon, quand des éclairs carbonisaient tout, noircissant jusqu’aux pierres des murs.