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— Oui, Mère, s’entendit répondre Adelorna – à sa grande surprise.

— Parfait. Où sont tes Champions ?

— L’un est blessé. L’autre va bien et veille sur son ami. Le troisième est mort.

— Et tu tiens encore debout ? s’écria Egwene.

Adelorna se redressa de toute sa hauteur.

— Ai-je un autre choix ?

Egwene acquiesça. Lisant du respect dans ses yeux, Adelorna se sentit déborder de fierté. Comment une anomalie pareille était-elle possible ?

— Eh bien, je suis contente de t’avoir à mes côtés, dit Egwene avant de se remettre en chemin. Nous avons sauvé six Aes Sedai seulement – sans une verte dans le lot – et nous avons du mal à contenir les Seanchaniens, du côté de l’escalier oriental. Une des novices te montrera comment ouvrir le bracelet des sul’dam. Mais ne prends aucun risque. En général, il est plus facile – et plus sûr – de tuer la damane. Es-tu familière de la remise où sont entreposés les angreal de la tour ?

— Très familière, oui.

— Excellent, fit Egwene en réalisant distraitement un des tissages les plus complexes qu’Adelorna ait jamais vus.

Une ligne de lumière apparut dans l’air, tourna sur elle-même et ouvrit une brèche dans les ténèbres.

— Lucain, dit Egwene, file ordonner aux autres de tenir coûte que coûte. Je nous rapporterai plus d’angreal.

Une petite novice brune inclina la tête puis partit au pas de course.

— Le Voyage…, souffla Adelorna, les yeux toujours rivés sur le portail. Tu as vraiment redécouvert cet ancien don. J’ai cru que les rapports exagéraient.

Egwene dévisagea la sœur verte.

— Je ne t’aurais pas montré ce tissage si je ne venais pas d’apprendre qu’Elaida l’enseigne à tort et à travers. Le Voyage n’est plus un secret, désormais. S’ils ont capturé une des femmes à qui l’usurpatrice a appris ce don, les Seanchaniens disposent désormais d’une arme terrible.

— Par le lait d’une mère dans une tasse !

— Tu peux le dire, oui… Nous devons empêcher ça en abattant tous les to’raken, qu’ils transportent ou non des prisonnières. S’il y a une chance d’empêcher les attaquants de retourner à Ebou Dar avec une sœur capable d’ouvrir un portail, nous devons la saisir.

Adelorna en convint.

— Viens avec moi, dit Egwene. Je dois savoir quels artefacts sont des angreal, dans cette remise.

Adelorna avança, toujours troublée par ce qu’elle venait d’entendre.

— Tu aurais pu t’enfuir, dit-elle. À n’importe quel moment, tu pouvais t’évader.

Egwene tourna la tête vers le portail.

— M’évader ? Si je l’avais fait, ça ne serait pas revenu à te fuir, Adelorna, mais à t’abandonner. Je suis la Chaire d’Amyrlin. Ma place est ici. Tu sais très bien, j’en suis sûre, que j’ai vu cette attaque en rêve ?

Adelorna frissonna. Oui, elle en était informée.

— Viens avec moi, répéta Egwene. Nous devons faire vite. Ce n’est qu’un raid, pour capturer autant de sœurs que possible. Je veux que ces barbares perdent plus de damane qu’ils auront gagné d’Aes Sedai.

41

Une fontaine de Pouvoir

— Qu’on me noue un foulard sur le nez et la bouche, souffla un des soldats de Bryne, et j’aurai tout d’un Aiel.

L’homme était agenouillé près de Bryne, à la proue de la barque.

— Nous y voilà…

Accroupi à la proue de sa propre barque, Gawyn écoutait l’eau clapoter contre les flancs de la coque. Pour l’expédition, ils avaient dû réquisitionner treize embarcations. Après que Siuan Sanche les eut inspectées et déclarées bonnes pour le service – de justesse –, ils les avaient mises à l’eau en silence et sans difficulté.

Sur chaque barque, on trouvait une unique lanterne, volet fermé. Dans ces conditions, Gawyn apercevait à peine ses compagnons d’aventure qui glissaient sur l’eau, les rameurs s’efforçant de faire le moins de bruit possible.

Pour l’instant, les barques longeaient les quais qui s’étendaient au sud-ouest de la ville. Dans le ciel, le « spectacle » continuait, hautement perturbant. Alors qu’il aurait dû garder les yeux baissés, Gawyn les levait sans cesse pour voir des monstres volants percutés de plein fouet par des éclairs blancs ou des lances de feu rouge.

L’ennemi aussi tirait à volonté. Vue de loin, la Tour Blanche semblait en feu. De la fumée montait d’un grand nombre de fenêtres. Derrière la plupart des autres, on voyait crépiter des flammes. D’autres foyers d’incendie, au pied de la flèche blanche, indiquaient que le complexe entier était menacé.

Alors que la barque de Gawyn dépassait celle de Bryne, les rameurs rentrèrent les avirons pour éviter toute collision. Peu après, l’embarcation passa sous une antique saillie de pierre qui surplombait le fleuve. Incapable de suivre de visu la bataille, Gawyn continua à en entendre les échos – impressionnants lorsque d’énormes blocs de granit s’écrasaient sur les pavés. On eût dit le martèlement d’une pluie distante…

Levant sa lanterne, le frère d’Elayne ouvrit très légèrement le volet. Grâce à cette lueur, il put distinguer ce que le soldat de Bryne avait vu.

L’île sur laquelle se dressait Tar Valon était défendue par des fortifications. Œuvre des Ogiers, prévues dès la conception de la ville, ces ouvrages protégeaient l’île de l’érosion naturelle. Comme pratiquement tout ce qu’avaient bâti les Ogiers, ces murs étaient magnifiques. Dans ce secteur, la pierre qui saillait de cinq ou six pieds au-dessus de l’onde avait été taillée pour ressembler à la crête d’une énorme vague.

Plissant les yeux, Gawyn admira la finesse de la sculpture. Devant une telle merveille, on avait du mal à dire à quel endroit la pierre cédait la place à l’onde du fleuve.

Une des vagues minérales dissimulait une niche impossible à voir quand on ignorait son existence – même de si près. Les soldats de Bryne s’apprêtaient à engager leur barque dans ce qui se révélait être, à deuxième vue, un étroit canal flanqué de deux murailles latérales et couvert par une voûte.

La barque de Siuan passa en deuxième. D’un geste, Gawyn indiqua à ses rameurs de la suivre.

Une fois à l’intérieur, la niche devenait un tunnel exigu. Imitant Bryne et Siuan, Gawyn ouvrit presque en grand le volet de sa lanterne.

Des deux côtés, la pierre couverte de mousse portait des traces de montée des eaux. Dans un avenir assez lointain, ce canal serait entièrement submergé.

— Un tunnel de maintenance, probablement, dit Bryne, sa voix se répercutant tout au long du passage.

Ici, même le clapotis de l’eau fendue par les rames était amplifié à l’infini. Même chose pour tous les autres bruits.

— La fonction première de ce canal ne m’intéresse pas, dit Siuan. En revanche, je me réjouis de son existence. Et je fulmine, parce que cette existence, je l’ignorais jusqu’à ce jour. Un des atouts de Tar Valon, ce sont ses ponts, qui en un sens l’isolent des terres. Grâce à eux, on peut savoir en permanence qui entre et qui sort de la ville…

— Siuan, fit Bryne, dans une cité de cette taille, on ne peut pas tout contrôler. Tes ponts vous donnent une fausse impression de sécurité. Pour une armée d’envahisseurs, je te concède que Tar Valon est inexpugnable. Mais les meilleures défenses ont leurs points faibles – une multitude de trous où des souris peuvent se faufiler, en quelque sorte.

Siuan ne répondit pas. Pour se calmer, Gawyn se força à respirer très régulièrement. Enfin, il agissait afin d’aider Egwene ! Pour en arriver là, il lui avait fallu une petite éternité. En espérant qu’il ne serait pas trop tard.