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— Je n’en ai vu aucune.

Visiblement pressée de retourner au combat, Moradri jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.

— Une honte…, souffla Saerin. L’Ajah Guerrier, tu parles ! Du coup, ce sera à moi d’organiser les défenses.

— Je suppose, oui…, fit Moradri en haussant les épaules.

De nouveau, elle regarda derrière elle.

Saerin la foudroya du regard puis, du bout d’un index, tapota le plan.

— Indique-moi ces positions, Moradri. Tu pourras retourner au feu après, mais pour l’instant, ce que tu sais est crucial.

La sœur verte soupira, mais elle obéit. Tandis qu’elle travaillait, Saerin fut ravie de voir entrer le capitaine Chubain. Les cheveux d’un noir de jais, le gaillard avait encore l’air jeune malgré ses quarante ans passés. À cause de son trop beau visage, pas mal d’hommes mettaient en doute ses compétences. À ce qu’on disait, avec son épée, il leur faisait passer le goût de médire.

— Ouf ! s’écria Saerin. Enfin quelque chose qui va bien. Capitaine, rejoins-moi, je t’en prie.

Chubain approcha en boitillant. À l’évidence, il évitait de trop s’appuyer sur sa jambe droite. Son tabard blanc déchiré, il avait les joues maculées de suie.

— Saerin Sedai, salua-t-il en s’inclinant.

— Tu es blessé…

— Une égratignure, Aes Sedai. Rien de notable dans le cadre glorieux d’un combat de cette envergure.

— Fais-toi guérir quand même, ordonna Saerin. Mourir d’une égratignure, pour le capitaine de notre garde, serait du plus grand ridicule. Si tu boites trop longtemps, ça pourrait te jouer un mauvais tour…

Le capitaine approcha encore et baissa le ton :

— Saerin Sedai, la Garde de la Tour ne sert à rien dans cette bataille. Contre ces Seanchaniennes, nous ne pouvons rien faire avant d’être déchiquetés ou réduits en cendres.

— Dans ce cas, il faut changer de tactique, capitaine, lâcha Saerin.

Lumière ! Quelle pagaille !

— Ordonne à tes hommes d’utiliser leur arc. Qu’ils n’essaient pas d’approcher de ces femmes. Tirer de loin suffira. Une seule flèche peut renverser la situation. En ce qui concerne les soldats, nous avons la supériorité numérique.

— Oui, Aes Sedai.

— Comme dirait une sœur blanche, c’est une simple affaire de logique. Capitaine, notre mission prioritaire est d’établir un centre des opérations. Les soldats et les sœurs agissent sans coordination, affolés comme des rats confrontés à des loups. Il faut nous coordonner.

Saerin ne jugea pas utile de dire à quel point elle se sentait honteuse. Des siècles durant, les Aes Sedai avaient conseillé des rois et pesé sur des conflits. Aujourd’hui, alors qu’on attaquait leur fief, elles se révélaient incapables de le défendre.

Egwene avait raison. Pas seulement lorsqu’elle a prédit cette attaque, mais quand elle nous reprochait d’être divisées.

Pour savoir que les Ajah se battaient en ordre dispersé, Saerin n’avait pas besoin de Moradri ou de messagers.

— Capitaine, Moradri Sedai indique la position des poches de résistance. Demande-lui la composition de ces groupes – par Ajah, je veux dire. Dotée d’une excellente mémoire, elle te répondra très précisément. Sous mon autorité, que des messagers contactent tous les groupes de sœurs jaunes ou marron. Qu’elles viennent me retrouver ici.

» Après, envoie des messagers aux autres « unités » pour les prévenir que nous leur détacherons une sœur jaune ou une sœur marron afin qu’elles disposent d’un potentiel de guérison. Ici, nous aurons également un groupe de sœurs chargées des guérisons. Les blessés ont ordre de venir dans cette salle au plus vite.

Chubain salua la sœur marron.

— Encore une chose… Que quelqu’un sorte de la tour pour aller localiser les brèches. Nous devons savoir où l’invasion est la plus forte.

— Aes Sedai, sortir est très dangereux. Les maudites femmes carbonisent tout ce qu’elles voient.

— Dans ce cas, choisis des hommes doués pour se cacher.

— Compris, Aes Sedai. Nous…

— C’est un désastre ! rugit soudain une voix.

Saerin se retourna et découvrit que quatre sœurs rouges venaient d’entrer. En robe blanche, Notasha arborait une large tache de sang sur le côté gauche de son torse. Cela dit, si c’était le sien, elle avait été promptement guérie. Alors que des éclats de pierre s’accrochaient aux longs cheveux noirs de Katerine, les deux autres femmes, les joues couvertes de suie, étaient quasiment en haillons.

— Comment ont-ils osé nous attaquer ? beugla Katerine en traversant la pièce.

Les soldats s’écartèrent sur son passage. Réunies sur ordre de Saerin, plusieurs sœurs d’un rang mineur se découvrirent soudain des tâches urgentes à accomplir aux quatre coins de la pièce.

Dans le lointain, le tonnerre grondait. Hélas, ce n’était pas l’orage…

— Ils ont osé parce qu’ils en avaient les moyens et l’envie, répondit Saerin en conservant son calme – non sans peine –, mais sans dissimuler son agacement. Jusque-là, leurs frappes se sont révélées très efficaces.

— Bien, je prends le commandement, lâcha Katerine. Nous devons nettoyer la tour de cette vermine.

— Tu ne prendras pas le commandement ! répliqua Saerin. (Maudite femme ! Mais il fallait rester calme…) Et nous ne passerons pas à l’offensive.

— Tu aurais l’audace d’essayer de m’arrêter ! explosa Katerine, l’aura du saidar l’enveloppant. Toi, une sœur marron ?

Saerin arqua un sourcil.

— Depuis quand une Maîtresse des Novices a-t-elle autorité sur une représentante, Katerine ?

— Je…

— Egwene al’Vere a prédit ce qui nous arrive, coupa Saerin. On peut en conclure que tout ce qu’elle nous a dit d’autre sur les Seanchaniens est vrai. Ces barbares capturent des femmes capables de canaliser et les utilisent comme des armes. Ils sont venus sans forces terrestres – comment auraient-ils pu leur faire traverser un si vaste territoire hostile ? En d’autres termes, il s’agit d’un raid visant à enlever des sœurs.

» Pour un raid, la bataille dure déjà depuis trop longtemps. Peut-être à cause de notre minable résistance, qui donne aux Seanchaniens le sentiment d’avoir le temps… Quoi qu’il en soit, nous devons former un front uni et tenir notre terrain. Quand les choses se compliqueront pour eux, nos agresseurs se retireront. En revanche, nous ne sommes pas en position de « nettoyer la tour », comme tu dis.

Hésitante, Katerine prit le temps de réfléchir.

Dehors, une autre explosion retentit, très proche.

— Ils n’en ont pas encore marre ? marmonna Saerin, agacée. N’ont-ils pas fait assez de trous ?

— Ce coup ne visait pas la tour, Saerin Sedai ! lança un garde posté à la porte de la salle afin de surveiller les jardins.

Il a raison, s’avisa Saerin. Les murs n’ont pas tremblé. Et pas davantage la fois d’avant…

— Sur quoi tirent-ils ? Des gens qui essaient de fuir ?

— Non, Aes Sedai. Je crois que ce coup est parti de l’intérieur de la tour, en hauteur, et qu’il visait les créatures volantes.

— Au moins, quelqu’un d’autre se bat, soupira Saerin. D’où est parti ce tir ?

— Je n’ai pas vu, Saerin Sedai… Mais ça recommence ! Encore et encore !

Des lueurs rouges et jaunes se reflétèrent dans la fumée, inondant les jardins d’une lumière à peine visible à travers les fenêtres et les portes. Des monstres volants hurlèrent de douleur.

— Saerin Sedai ! cria le capitaine Chubain en s’écartant d’un groupe de soldats en piteux état.

Concentrée sur Katerine, Saerin n’avait pas vu ces hommes entrer.

— Saerin Sedai, ces blessés viennent des niveaux supérieurs. Apparemment, il y a un autre point de ralliement pour nos défenses, et il fait des merveilles. Les Seanchaniens cessent d’attaquer ici pour se focaliser sur ce secteur-là.