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— Regarde là-haut ! lança-t-il, épée pointée vers le ciel.

Bryne plissa les yeux. Autour d’une brèche, l’ennemi redoublait d’activité. Certain que Gawyn le couvrirait en cas de danger, le général tira sa longue-vue de son ceinturon et étudia le site.

— Par la Lumière…, murmura-t-il.

Une silhouette vêtue de blanc affrontait seule des to’raken enragés. À cette distance, on ne distinguait pas le visage de la femme, mais quelle que soit son identité, elle infligeait des pertes écrasantes aux Seanchaniens. Les bras tendus, du feu jaillissant de ses mains, elle se livrait à une étrange variante de tir aux pigeons.

Lentement, Bryne remonta le long de la flèche blanche, en quête d’autres poches de résistance. Sur le toit plat et rond, quelque chose se passait – si haut qu’il était incapable de dire quoi. On eût dit qu’on dressait des petits mâts et que des raken piquaient sur ces repères pour…

… pour s’en emparer.

Des prisonnières ! comprit le général. Les soldats font monter les Aes Sedai sur le toit, ils leur attachent une corde autour de la taille, et les monstres les attrapent au vol.

Un bref instant, Bryne vit assez nettement une de ces malheureuses, qui semblait porter une cagoule.

— Il faut entrer dans la tour, dit Gawyn. Cette escarmouche est une perte de temps.

— D’accord avec toi, fit Bryne.

Il baissa sa longue-vue et regarda l’endroit où Siuan était censée attendre pendant que les soldats ferraillaient. Le temps d’aller la chercher…

L’Aes Sedai n’était plus en vue. Bryne en frissonna d’abord de surprise, puis de terreur. Où était-elle ? Si cette fichue bonne femme avait réussi à se faire tuer…

Non… Elle se trouvait dans la tour, il le sentait à travers le lien. Et elle n’était pas blessée.

Quelle merveille, ce lien ! Hélas, il n’en avait pas encore assez l’habitude. Il aurait dû savoir qu’elle était partie…

Bryne s’intéressa de nouveau au combat. Les Seanchaniens avaient bien résisté, mais ils se débandaient, à présent. Le moment de crier aux hommes de ne surtout pas les poursuivre.

— Première et deuxième escouades, relevez les blessés ! Puis mettez-les à l’abri d’un côté de la cour. Ceux qui peuvent encore marcher devront rejoindre les barques. Les autres attendront que des Aes Sedai veuillent bien les guérir.

Les soldats acquiescèrent. Les blessés graves seraient abandonnés à l’ennemi, mais avant de se porter volontaires, tous ces hommes avaient été prévenus que ça pouvait arriver. Sauver la Chaire d’Amyrlin passait avant tout le reste.

En attendant du secours, certains braves mourraient de leurs blessures. Contre ça, le général ne pouvait rien. Mais avec un peu de chance, les Aes Sedai en sauveraient beaucoup. Après, ils seraient emprisonnés, mais il n’y avait pas d’autre option. Les sauveteurs devaient être très mobiles, ce qui excluait de porter des civières.

— Troisième et quatrième escouades…, commença Bryne.

Il n’alla pas plus loin, car une silhouette en robe bleue venait de sortir de la tour, tirant avec elle une jeune femme en robe blanche.

Désormais, Siuan paraissait presque aussi jeune que la novice. Parfois, Bryne avait du mal à faire le lien avec l’austère sœur rencontrée des années plus tôt.

Soupirant de soulagement, il accueillit néanmoins fraîchement son Aes Sedai.

— Qui est cette femme ? demanda-t-il. Et où es-tu allée ?

Siuan ordonna à la novice d’attendre, puis elle tira Bryne à l’écart pour lui parler à voix basse.

— Tes soldats étant… occupés, j’ai trouvé le moment idéal pour aller à la pêche aux informations. Accessoirement, Gareth Bryne, nous allons devoir travailler tes bonnes manières. Pour un Champion, ce n’est pas la façon requise de s’adresser à son Aes Sedai.

— Je me préoccuperai de ça quand tu auras un peu de plomb dans la tête, femme ! Et si tu étais tombée sur des Seanchaniens ?

— J’aurais été en danger, répondit Siuan, les poings sur les hanches. Pas pour la première fois, figure-toi. Je ne voulais pas que d’autres sœurs me voient en votre compagnie. Des déguisements si sommaires ne tromperaient pas une Aes Sedai.

— Et si quelqu’un t’avait identifiée ? Siuan, ces femmes ont tenté de t’exécuter !

— Avec mon visage actuel, Moiraine elle-même ne me reconnaîtrait pas. Les sœurs de la tour verraient simplement une jeune collègue qui leur semble vaguement familière. De toute façon, je n’en ai pas croisé. À part cette gamine.

Siuan regarda la novice. Les yeux levés, la petite brune aux cheveux courts suivait la bataille toujours en cours dans le ciel.

— Hashala, approche !

La novice ne se le fit pas dire deux fois.

— Répète à cet homme ce que tu m’as dit.

— Oui, Aes Sedai.

Le combat terminé, les soldats formèrent un cercle défensif autour de Siuan, et Gawyn se campa près du général.

Sans cesse, le prince jetait des coups d’œil à la bataille aérienne.

— Egwene al’Vere, la Chaire d’Amyrlin… Ce matin, elle a été libérée et autorisée à regagner le quartier des novices. Quand l’attaque a commencé, j’étais de corvée dans les cuisines d’en bas, donc je ne sais pas ce qu’il est advenu d’elle. Mais elle doit être au vingt-deuxième niveau. Là où vivent les novices, désormais. Ces derniers temps, la configuration de la tour change en permanence. Plus rien n’est à sa place.

Siuan chercha le regard de Bryne.

— Egwene a été gavée de fourche-racine. Elle doit être à peine capable de canaliser le Pouvoir.

— Il faut la rejoindre, fit Gawyn.

— C’est évident, oui, approuva le général. D’abord, c’est pour ça que nous sommes ici. Donc, nous allons monter et non descendre.

— Vous êtes venus la sauver ? demanda la novice, tout excitée.

Bryne la dévisagea.

Petite, j’aurais préféré que tu ne fasses pas le lien…

Abandonner une novice dûment ligotée au milieu de cet enfer n’avait rien de plaisant, mais il n’était pas question de lui laisser le loisir de prévenir les Aes Sedai d’Elaida.

— Je veux vous accompagner, déclara la novice. Je suis loyale à la Chaire d’Amyrlin. La vraie ! Nous le sommes presque toutes.

Du regard, Bryne interrogea Siuan.

— Qu’elle vienne, dit l’Aes Sedai. C’est la meilleure solution.

Entraînant la jeune femme, elle s’éloigna un peu afin de lui poser des questions.

Du coin de l’œil, Bryne vit que Vestas, un de ses capitaines, approchait à grands pas.

— Seigneur, dit-il, les blessés sont triés par degré de gravité. Nous avons douze tués. Quinze hommes sont amochés mais peuvent encore marcher. Ils se dirigent déjà vers les barques. Six pauvres types sont hors d’état de les suivre. (Il hésita un peu.) Trois d’entre eux ne survivront pas une heure, général.

— On avance quand même, dit Bryne, les dents serrées.

— J’ai senti ta souffrance, Bryne, annonça Siuan en revenant vers son Champion. Que se passe-t-il ?

— Nous n’avons pas le temps… La Chaire d’Amyrlin…

— … peut attendre un moment. Alors ?

— Trois hommes… Je dois les laisser agoniser ici.

— Pas si je les guéris, dit Siuan. Conduis-moi à eux.

Même s’il jeta un coup d’œil au ciel, Bryne n’émit aucune objection.

Plusieurs raken avaient atterri un peu partout dans les jardins. À la lumière des éclairs, on voyait les soldats seanchaniens qui se hâtaient de les rejoindre.

Ils se retirent… Le raid est fini.

En d’autres termes, le temps pressait pour les sauveteurs. Une fois les Seanchaniens partis, la Tour Blanche se réorganiserait. Il fallait trouver Egwene au plus vite, en espérant qu’elle n’aurait pas été capturée.