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Elle avait combattu. Glorieuse et dévastatrice, elle s’était affirmée comme la Chaire d’Amyrlin de la rage et du châtiment. Une sœur verte dans l’âme…

Pourtant, la Tour Blanche avait brûlé. Et trop de to’raken lui avaient échappé. Plus qu’elle en avait abattu, en fait…

Le compte des pertes parmi ses partisanes était en revanche encourageant. Trois novices et une Aes Sedai mortes, alors qu’elles avaient capturé dix damane et tué des dizaines de soldats. Mais qu’en était-il dans les autres étages ? La Tour Blanche ne sortirait pas grandie de cette bataille.

Au contraire, elle était à présent désunie et démolie. Deux manières d’être en ruine. Pour reconstruire, il faudrait une dirigeante que rien n’arrêterait. Les quelques jours à venir seraient essentiels. À l’idée de tout ce qui lui restait à faire, Egwene se sentit encore plus épuisée.

Elle avait résisté et combattu, protégeant bien des femmes. Pour autant, ce jour marquerait d’une pierre noire la glorieuse histoire des Aes Sedai.

N’y pense pas… Tout ce qui compte, c’est le moyen de recoller les morceaux.

Bientôt, elle allait se lever afin d’aider les sœurs et les novices qui nettoyaient les dégâts. Comme il le fallait, elle serait forte et compétente. Alors que ses filles seraient tentées de sombrer dans le désespoir, elle devrait se montrer puissante et positive. Pour elles.

Mais elle avait quand même droit à quelques minutes de repos, non ?

Quand quelqu’un la souleva de terre, elle s’en aperçut à peine. Entrouvrant les yeux, elle vit que Gawyn Trakand la portait dans ses bras.

Le front couvert de sang séché, il affichait quand même un air déterminé.

— Je t’ai trouvée, Egwene. Et à partir de maintenant, je te protégerai.

Chic ! pensa la jeune Chaire d’Amyrlin. Un rêve agréable, c’était tout ce qu’il me fallait.

Dans ce qu’elle croyait être son sommeil, elle s’autorisa à sourire.

Non, un instant ! Quelque chose clochait. Elle n’était pas censée quitter la tour. Elle tenta d’émettre une objection, mais les mots refusèrent de quitter sa gorge.

— Par toutes les entrailles de poisson ! Que lui ont-elles donc fait ?

La voix de Siuan, vibrante d’indignation.

Non… Vous ne devez pas m’emmener. Je ne peux pas partir. Pas maintenant.

— Elle gisait sur un tas de gravats, Siuan, répondit Gawyn.

Entendre sa voix était un tel délice !

— Sans défense, dans un couloir ! N’importe qui aurait pu lui faire du mal. Et si les Seanchaniens l’avaient découverte…

Je les ai écrasés, pensa Egwene, confuse mais encore capable de se souvenir. J’étais une guerrière de feu – une héroïne appelée par le Cor. Ces chiens n’oseront plus jamais m’affronter.

Si Gawyn ne l’avait pas secouée, elle se serait volontiers assoupie. À supposer qu’elle ne soit pas déjà endormie…

— Egwene, qu’est-ce donc ? lança soudain la voix très lointaine de Siuan. Où as-tu eu cet objet ? C’est le sa’angreal le plus puissant de la tour !

— De quoi parles-tu, Siuan ? demanda Bryne.

— De notre garantie d’en sortir entiers.

Egwene sentit que quelqu’un canalisait le Pouvoir. Et pas qu’un peu…

— Tu as demandé comment on allait faire pour filer avec toutes les sœurs qui s’agitent devant la tour. Avec ce sa’angreal, je serai assez puissante pour ouvrir un portail. Allons chercher les soldats qui surveillent les barques, et rentrons au camp en un éclair.

Non ! pensa Egwene.

Luttant contre son hébétude, elle se força à ouvrir les yeux.

J’ai gagné, ne comprenez-vous pas ? Si je m’affirme maintenant, les sœurs, une fois les gravats déblayés, me verront comme la Chaire d’Amyrlin légitime. Il faut que je reste !

Gawyn franchit un portail, laissant derrière Egwene et lui les couloirs de la Tour Blanche.

Saerin s’autorisa enfin à s’asseoir. Devenue son centre des opérations, la salle de réunion s’était aussi transformée en infirmerie où on triait et guérissait les sœurs et les gardes blessés. Circulant entre ces pauvres gens, les Aes Sedai jaunes et les marron intervenaient par ordre de gravité.

Les pertes étaient très lourdes, avec plus de vingt sœurs sur le carreau – jusque-là. Mais les Seanchaniens, comme Saerin l’avait prévu, s’en étaient allés. Pour ça, il fallait louer la Lumière.

Tout à fait dans le coin nord-ouest de la salle, Saerin était assise sous un tableau qui représentait la ville de Tear au printemps. Perchée sur un tabouret, elle prenait les rapports comme ils venaient.

Dans leur coin, une bonne partie des blessés gémissaient. Une odeur de sang flottait dans l’air, mêlée à celle du baume « miracle » dont on tartinait systématiquement les hommes et les femmes qui n’avaient pas besoin d’une guérison urgente.

L’odeur de la fumée persistait, et il en serait ainsi toute la nuit et au-delà.

Par vagues, des soldats remettaient à Saerin des rapports sur les dégâts et sur les pertes. La sœur marron aurait voulu cesser de les lire, mais c’était toujours mieux qu’entendre geindre les blessés.

Au nom de la Lumière, où était passée Elaida ?

Pendant la bataille, personne ne l’avait aperçue. Mais les derniers niveaux, où elle résidait, avaient été coupés des plus bas. Avec un peu de chance, le Hall se réunirait bientôt en présence de la Chaire d’Amyrlin, afin de montrer que la gestion de la crise était entre de bonnes et puissantes mains.

Ouvrant un nouveau rapport, Saerin le lut… et fronça les sourcils. Sur soixante novices, dans le groupe d’Egwene, trois seulement étaient mortes. Et une seule sœur sur les quarante qu’elle avait fédérées. En revanche, dix Seanchaniennes capturées et plus de trente raken abattus… En comparaison, les résultats de Saerin faisaient peine à voir. C’était ça, la femme qu’Elaida s’entêtait à faire passer pour une novice ?

— Saerin Sedai ? demanda une voix masculine.

— Oui, quoi ?

— Tu devrais écouter ce que cette Acceptée veut te dire.

S’avisant que c’était le capitaine Chubain qui parlait, Saerin releva les yeux. Le militaire avait la main posée sur l’épaule d’une jeune femme aux yeux bleus et au visage poupin. Originaire de l’Arafel, si Saerin se souvenait bien. Mais quel était son nom ?

Mair ! Oui, c’était bien ça. La pauvre enfant portait une robe déchirée aux manches et sur une épaule, et son visage tuméfié saignait de plusieurs coupures.

— Ma fille ? demanda Saerin, surprise par l’air inquiet de Chubain. Que se passe-t-il ?

— Saerin Sedai, c’est… (L’Acceptée tenta de s’incliner et grimaça de douleur.) Je…

— Parle, je t’en prie. Ce n’est pas le moment de tergiverser.

Mair baissa les yeux.

— C’est la Chaire d’Amyrlin, Saerin Sedai. Elaida Sedai… J’étais à son service, ce soir, et elle me dictait un texte. Mais…

— Mais quoi ? demanda Saerin, de plus en plus inquiète.

Mair éclata en sanglots.

— Un mur entier a explosé, Saerin Sedai. Couverte de gravats, je n’ai rien pu faire. Les attaquants ont cru que j’étais morte…

Lumière, non ! Elle n’est pas en train de dire ce que je crois ? Ce n’est pas possible !

Elaida se réveilla avec une très étrange sensation. Pourquoi son lit bougeait-il ? Il ondulait, carrément. Et ce vent ! Carlya avait-elle laissé la fenêtre ouverte ? Dans ce cas, cette maudite servante serait rouée de coups. Ce ne serait pas faute de l’avoir prévenue. Mais…