Выбрать главу

Oui, elle avait commis des erreurs. Impossible de faire peser tout le blâme sur Siuan, Bryne et Gawyn. Quant à ses autres bévues, elle devrait y réfléchir plus tard, afin de ne pas les répéter.

Pour l’heure, elle se concentra sur un problème plus important. Un désastre avait eu lieu. Juste avant de triompher, elle avait été arrachée à la Tour Blanche. Comment réparer ça ?

Egwene ne se leva pas pour faire les cent pas. Agir ainsi, c’était montrer sa nervosité et sa frustration. Dans sa position, il fallait rester réservée en permanence, sinon, on retombait très vite dans ses mauvaises habitudes. Elle demeura donc assise, les mains sur les accoudoirs, régalienne dans sa robe de soie verte au corsage orné de broderies.

Comme il était étrange de porter ce vêtement. Étrange et… mensonger. Même si on la lui avait imposée, sa robe blanche était devenue un symbole de résistance. Y renoncer maintenant revenait à rendre les armes.

Après le combat, Egwene était vidée émotionnellement comme physiquement. Mais elle ne pouvait pas se laisser aller. Ce ne serait pas sa première nuit blanche précédant une journée lourde de problèmes et de décisions.

S’avisant qu’elle pianotait sur les accoudoirs, elle se força à arrêter.

Retourner à la tour pour y jouer les novices lui était interdit. Si sa résistance avait séduit et convaincu, c’était parce qu’elle venait d’une Chaire d’Amyrlin en captivité. Si elle revenait volontairement, on la prendrait pour une femme soumise ou une gamine arrogante. De plus, Elaida ne manquerait pas de la faire exécuter, cette fois.

Moralité, elle était coincée, comme quand les espionnes de la tour l’avaient capturée, la première fois. À ce souvenir, elle serra les dents. Pendant longtemps, elle avait cru, à tort, que la Chaire d’Amyrlin n’était pas déstabilisée par quelques accrocs accidentels dans la Trame. Après tout, une dirigeante était censée… diriger. La plupart des gens passaient leur temps à réagir. Une Chaire d’Amyrlin, elle, était une femme d’action.

Hélas, il lui apparaissait de plus en plus qu’être à son poste ne faisait aucune différence. Qu’on soit une humble servante ou une reine, la vie était une tempête. Au milieu du chaos, une souveraine était simplement mieux à même de projeter une image de calme et de contrôle. Si une dirigeante parvenait à avoir l’air d’une statue que les vents ne touchaient pas, c’était parce qu’elle savait dans quel sens plier. Un excellent moyen de donner une illusion de contrôle.

Non. Ce n’était pas qu’une illusion. La Chaire d’Amyrlin contrôlait plus de choses que n’importe qui parce qu’elle savait se maîtriser et ne se laissait jamais affoler par la tempête. Elle agissait selon les besoins du moment, titubant à l’occasion, mais sa ligne de conduite ne déviait pas.

Pour réussir, Egwene devrait être aussi logique qu’une sœur blanche, aussi érudite qu’une marron, aussi passionnée qu’une bleue, aussi radicale qu’une verte, aussi compatissante qu’une jaune et aussi diplomate qu’une grise. Et, oui, aussi impitoyable qu’une rouge, quand ça s’imposerait.

Retourner à la tour était impossible, et attendre que s’ouvrent des négociations serait suicidaire. Pas au moment où les Seanchaniens se sentaient assez forts pour attaquer la tour. Pas alors que Rand était livré à lui-même. Pas dans un monde chaotique où les forces des Ténèbres se préparaient pour l’Ultime Bataille.

Un constat qui conduisait à une décision difficile. Egwene disposait de cinquante mille hommes frais et dispos, alors que la tour se remettait d’un coup très dur. Les Aes Sedai épuisées, les Gardes de la Tour blessés et déprimés…

Dans quelques jours, les guérisons seraient terminées et les sœurs auraient repris du poil de la bête. Incapable de dire si Elaida avait survécu à l’attaque, Egwene devait postuler qu’elle portait toujours l’étole. En d’autres termes, il fallait agir très vite… ou pas du tout.

La bonne décision sautait aux yeux. Manquant de temps pour attendre des ouvertures de la part des sœurs loyalistes, Egwene devrait se faire accepter par la force.

L’histoire lui pardonnerait. Du moins, elle pouvait l’espérer.

Elle se leva, gagna la sortie, écarta le rabat de sa tente… et se pétrifia. En face d’elle, un homme était assis sur le sol.

Aussi beau que dans ses souvenirs, Gawyn se releva prestement. Ce n’était pas un éphèbe, comme son demi-frère. Lui, il était plus réel, avec plus de substance. Surprise des surprises, aux yeux d’Egwene, ça le rendait désormais bien plus attirant que Galad.

Galad semblait venir d’un autre monde, incarnation vibrante d’un univers foisonnant de récits et de légendes. Une statue de verre posée sur une table pour qu’on l’admire, mais sans jamais la toucher.

Gawyn, c’était autre chose. Un bel homme, avec ses cheveux roux brillant et ses yeux pleins de tendresse… Alors que Galad se jugeait au-dessus de tout, la compassion de Gawyn le rendait plus humain. Comme son aptitude à commettre des erreurs, hélas.

— Egwene…, dit-il en rectifiant la position de son épée.

Il épousseta aussi son pantalon. Lumière ! Avait-il dormi devant la tente ? Le soleil était à mi-chemin de son zénith. Le pauvre garçon avait besoin d’un peu de vrai repos.

Egwene étouffa ses sentiments et sa compassion. Ce n’était pas le moment de devenir une gamine éperdue d’amour. Une Chaire d’Amyrlin, voilà ce qu’elle devait être.

Le prince voulut approcher, mais elle leva une main pour l’en dissuader.

— Gawyn, je n’ai pas encore réfléchi à ce que je dois faire de toi. D’autres sujets sont plus importants. Le Hall s’est-il réuni, comme je l’ai demandé ?

— Je crois, oui.

Egwene tourna la tête. De sa position, elle voyait à peine le pavillon qui abritait ces réunions.

— Alors, je dois y aller…

Inspirant à fond, Egwene fit un pas en avant.

— Non, dit Gawyn, lui barrant le chemin. Nous devons parler.

— Plus tard.

— Non ! Maintenant ! J’attends depuis des mois. Il faut que j’apprenne où nous en sommes. Je dois savoir si tu…

— Assez !

Gawyn se pétrifia.

Pas question de tomber dans le piège de ces yeux. Pas maintenant, en tout cas.

— Je t’ai dit ne pas avoir fait le tri dans mes sentiments, et je le confirme.

— Ton calme d’Aes Sedai, ça ne prend pas avec moi, Egwene. Pas quand tes yeux en disent beaucoup plus long… J’ai sacrifié…

— Tu as sacrifié ? coupa Egwene, laissant un peu de sa colère paraître. Et ce que j’ai sacrifié, moi, pour réunifier la tour ? Un travail colossal que tu as saboté en agissant contre ma volonté. Siuan ne t’a pas dit que j’avais interdit qu’on intervienne ?

— Si, mais nous étions inquiets pour toi.

— Eh bien, cette inquiétude, c’était le sacrifice que je vous demandais. Ne vois-tu pas à quel point tu as manqué de confiance en moi ? Comment puis-je me fier à toi, si tu me désobéis afin de te sentir mieux ?

Gawyn ne parut pas honteux – désorienté, simplement. À dire vrai, c’était plutôt bon signe. En tant que Chaire d’Amyrlin, elle avait besoin d’un homme qui lui parle franchement. En privé. En public, il devrait la soutenir. Était-il capable des deux ?

— Tu m’aimes, Egwene. Je le vois.

— La femme Egwene t’aime, c’est vrai. Mais la Chaire d’Amyrlin est furieuse contre toi. Gawyn, si tu veux être avec moi, tu dois tenir compte de la femme et de la dirigeante. D’un homme formé pour devenir le Premier Prince de l’Épée, j’attends qu’il comprenne cette dualité.