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— À t’entendre, je suis complètement égocentrique.

— Au moins, je ne te compare plus à un sanglier.

— Donc, c’est bien ça, tu me trouves égocentrique !

Que la Lumière brûle ce rustre ! Grâce au lien, il devait sentir qu’elle était touchée par son jugement. Et ça, c’était gênant…

— Tu es une femme engagée, Siuan Sanche. Engagée dans la lutte pour sauver le monde. Voilà pourquoi tu peux faire si peu de cas d’une parole donnée ou d’un ordre reçu.

Siuan inspira à fond.

— Cette conversation dérape de seconde en seconde, Gareth Bryne. Vas-tu me communiquer ta seconde exigence, ou vais-je devoir attendre jusqu’à la fin des temps ?

Le général dévisagea longuement sa compagne, un rien désorienté par ses traits de marbre.

— Eh bien, si tu veux le savoir, j’entends te demander en mariage.

Siuan en cilla de surprise. Dans le lien, elle sentit que Bryne ne plaisantait pas.

— Mais plus tard, quand le monde se débrouillera sans nous. Avant, il n’en est pas question. Ta vie, tu l’as consacrée à une cause. Je ferai en sorte que tu ne la perdes pas dans l’aventure. Après, j’espère que tu auras envie de te concentrer sur autre chose.

Siuan parvint à surmonter sa stupéfaction. Pas question qu’un idiot de bonhomme la laisse sans voix !

— Eh bien, je vois que tu n’es pas complètement stupide… Le moment venu, je verrai que faire de ton « exigence ». En attendant, j’y réfléchirai…

Bryne sourit puis il tourna la tête vers le pavillon, guettant la sortie d’Egwene. Avec le lien, il sentait la sincérité de Siuan, exactement comme elle captait la sienne. Par la Lumière ! Désormais, elle savait pourquoi les sœurs vertes épousaient si souvent leur Champion. Sentir l’affection que Bryne lui portait et éprouver la même chose pour lui se révélait… exaltant.

Gareth était un vrai dingue. Et elle… une authentique cinglée ! Mélancolique, Siuan secoua la tête, mais elle s’appuya contre son compagnon, qui reposa la main sur son épaule. Sans insistance, tout en tendresse. D’accord pour attendre parce qu’il la comprenait.

Egwene se tenait face à un groupe de femmes au visage de marbre qui savaient à merveille dissimuler leur anxiété. Respectueuse des traditions, elle avait ordonné à Kwamesa de tisser le bouclier de silence. Une tâche dévolue à la cadette des sœurs présentes sous le pavillon.

Avec si peu d’occupantes, l’endroit paraissait vide. Douze représentantes – donc, deux par Ajah. Il aurait dû y en avoir trois, mais six d’entre elles étaient en délégation à la Tour Noire.

L’Ajah Gris, lui, avait déjà remplacé Delana par Naorisa Cambral.

Douze représentantes, la Chaire d’Amyrlin et… une autre personne. Egwene se refusait à regarder Sheriam, assise à sa place, sur le côté. En entrant, la traîtresse avait paru troublée. Savait-elle qu’Egwene l’avait démasquée ? Impossible ! Dans ce cas, elle ne serait pas venue assister à cette session.

Quoi qu’il en soit, la savoir là en connaissant sa véritable nature était dérangeant. Dans le chaos de la nuit, Siuan n’avait pas pu garder un œil sur Sheriam. Pourquoi la Gardienne portait-elle un bandage sur la main gauche ?

Un accident, en chevauchant, parce que son auriculaire s’était coincé dans les rênes ? Egwene ne croyait pas un instant à cette excuse. Et pourquoi avoir refusé une guérison ? Que la Lumière brûle Siuan ! Au lieu de surveiller Sheriam, elle était venue saboter le plan de sa dirigeante !

Le Hall se taisait avec un bel ensemble. À l’évidence, toutes les femmes attendaient de voir comment Egwene réagirait à sa « libération ».

Ses cheveux grisonnants en chignon, Romanda paradait dans une robe jaune. Elle rayonnait de satisfaction alors que Lelaine – assise à l’opposé de sa rivale – broyait du noir tout en faisant mine de se réjouir du retour de la Chaire d’Amyrlin. Après ce qu’Egwene avait subi à la Tour Blanche, ces chamailleries de gamines semblaient plus mesquines que jamais.

Egwene inspira à fond, puis elle s’unit à la Source. Quel sentiment délicieux ! Pas de fourche-racine pour réduire le flot à un ruisselet, aucun besoin de passer par d’autres femmes pour puiser du Pouvoir. Et pas besoin non plus d’un sa’angreal. Si efficace qu’ait été la baguette blanche, être forte sans aide extérieure était un sentiment enivrant.

Plusieurs représentantes froncèrent les sourcils, mal à l’aise, et quelques-unes s’unirent aussi à la Source. En regardant autour d’elles en quête d’un danger, comme si c’était un simple réflexe.

— Il n’y aura pas besoin de ça, leur dit Egwene. Pas pour le moment. S’il vous plaît, coupez-vous du saidar.

Hésitantes, les sœurs acceptèrent pourtant d’obéir à leur Chaire d’Amyrlin. Une après l’autre, elles cessèrent d’être enveloppées par l’aura du Pouvoir.

Egwene ne les imita pas.

— Mère, dit Lelaine, je suis contente que tu nous sois revenue saine et sauve.

En ajoutant « saine et sauve », la fine mouche jouait habilement avec les Trois Serments.

— Merci, dit sobrement Egwene.

— Tu as des révélations à nous faire, paraît-il ? intervint Varilin. Au sujet de l’attaque des Seanchaniens ?

Egwene sortit de sa bourse un bâton blanc et lisse. Près de la base, dans l’écriture de l’Âge des Légendes, était gravé un petit « 3 ».

Egwene tissa des flux d’Esprit, les focalisa sur le bâton, puis parla d’une voix qui ne tremblait pas :

— Sous la Lumière et par tous mes espoirs de salut et de résurrection, je jure de ne jamais prononcer un mot qui ne soit pas la vérité.

Le premier Serment s’abattit sur elle comme s’il était une entité matérielle. Sa peau se tendit et la picota. Après ce qu’elle avait enduré à la tour, la douleur se révéla facile à ignorer.

— Sous la Lumière et par tous mes espoirs de salut et de résurrection, je jure de ne jamais fabriquer une arme qu’un homme pourrait utiliser pour en tuer un autre. Sous la Lumière et par tous mes espoirs de salut et de résurrection, je jure de ne jamais utiliser le Pouvoir de l’Unique comme une arme, sauf contre les Créatures des Ténèbres ou dans des circonstances extrêmes, pour protéger ma vie, celle de mon Champion ou celle d’une autre sœur.

Les représentantes en restèrent muettes.

Egwene relâcha son tissage. Sa peau lui semblait si… bizarre. Comme si quelqu’un avait pincé le repli, à la base de sa nuque, puis tiré tout au long de sa colonne vertébrale avant de fixer le tout dans la nouvelle position.

— Que personne ne puisse plus penser que je me dérobe aux Trois Serments, reprit Egwene. Que nul, jamais, ne murmure plus que je ne suis pas une vraie Aes Sedai.

Aucune des représentantes ne mentionna qu’elle n’avait pas passé l’épreuve qui donnait droit au châle. Un problème qui serait réglé un autre jour.

— Maintenant que vous m’avez vue jurer sur le Bâton des Serments, donc devenir incapable de mentir, je vais vous dire quelque chose. Pendant mon « séjour » à la tour, une femme est venue m’avouer qu’elle appartenait à l’Ajah Noir.

Les sœurs écarquillèrent les yeux, certaines poussant un petit cri.

— Oui, c’est comme je vous le dis. Nous n’aimons pas en parler, je sais, mais qui parmi nous pourrait prétendre que l’Ajah Noir n’existe pas ? L’une d’entre vous pourrait-elle jurer sur le Bâton qu’elle n’a jamais envisagé qu’il y ait des Suppôts parmi nous ?

Pas une femme ne releva le défi.

Malgré l’heure matinale, on étouffait sous la tente. Grâce à l’antique astuce, aucune des femmes ne transpirait.