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— C’est une honte, je sais, mais aussi une vérité que nous devons admettre, parce que nous dirigeons cette Tour Blanche. En public, mieux vaut nier, mais entre nous, pas moyen de détourner la face. J’ai vu de mes yeux ce que la défiance et les manœuvres politiciennes font aux gens. Cette peste ne nous infectera pas, j’en fais le serment. Nous appartenons à des Ajah différents, mais nos objectifs sont les mêmes. Entre nous, une confiance implicite doit régner. Parce qu’il n’y a pas grand-chose d’autre, en ce monde, à quoi nous raccrocher.

Egwene baissa les yeux sur le Bâton des Serments qu’elle avait « emprunté » le matin même à Saerin. Du pouce, elle caressa sa surface lisse.

J’aurais aimé que tu le trouves avant de venir me voir, Verin. Il ne t’aurait peut-être pas sauvée, mais j’aurais aimé essayer. J’aurais encore tant besoin de toi…

Egwene releva les yeux.

— Je ne suis pas un Suppôt des Ténèbres, déclara-t-elle. Et vous savez que ça ne peut pas être un mensonge.

Les représentantes parurent perplexes. Eh bien, elles ne seraient pas longues à comprendre.

— Il est temps pour nous de passer l’épreuve de vérité, continua la jeune Chaire d’Amyrlin. À la Tour Blanche, quelques sœurs intelligentes ont eu cette idée, et j’entends bien en tirer parti. Chacune à notre tour, nous allons utiliser le Bâton pour nous libérer de nos serments, puis nous les prêterons de nouveau. Quand ce sera fait, nous serons toutes en mesure de jurer que nous ne sommes pas au service du…

Sheriam voulut s’unir à la Source. Egwene ayant prévu cette réaction, elle l’en empêcha en érigeant un bouclier entre la traîtresse et le Pouvoir.

Alors que Sheriam criait de surprise, Berana l’imita. D’autres femmes, en revanche, s’unirent au saidar, prêtes à tout.

Egwene chercha le regard de Sheriam. Le visage presque aussi rouge que ses cheveux, la Gardienne haletait comme un chiot.

Non, elle faisait plutôt penser à un lapin, la patte prise dans un piège. Elle saisit sa main bandée et la serra très fort.

Sheriam, Sheriam… J’espérais tellement que Verin s’était trompée à ton sujet.

— Egwene, que… ? Je voulais juste…

La Chaire d’Amyrlin fit un pas en avant.

— Appartiens-tu à l’Ajah Noir, Sheriam ?

— Quoi ? Bien sûr que non !

— Conspires-tu avec les Rejetés ?

— Non !

— Es-tu au service du Ténébreux ?

— Non !

— As-tu été libérée de tes serments ?

— Non !

— As-tu les cheveux roux ?

— Bien sûr que non, je…

La Gardienne se pétrifia.

Merci pour cette astuce, Verin ! pensa Egwene avec un soupir mental.

Un silence de mort s’abattit sur le Hall.

— Ma langue a fourché, bien sûr… Je ne savais plus à quelle question je répondais. Je ne peux pas mentir. Aucune d’entre nous n’en est capable.

Egwene brandit le Bâton.

— Prouve-le, Sheriam ! La femme qui est venue me voir, à la tour, m’a donné ton nom, qui figure tout en haut de la liste des dirigeantes de l’Ajah Noir.

Sheriam soutint le regard d’Egwene.

— Tiens donc, fit-elle, l’air navrée. C’était qui, cette femme ?

— Verin Mathwin.

— Eh bien, je n’aurais pas cru ça d’elle… (Sheriam se radossa à son siège.) Comment a-t-elle fait pour trahir les serments prêtés au Grand Seigneur ?

— Elle s’est empoisonnée, répondit Egwene, le cœur serré.

— Très malin, ça, concéda Sheriam. Je serais incapable de faire une chose pareille. Quoi qu’il arrive…

Egwene tissa des flux d’Air, ligota Sheriam avec, puis les noua. Ensuite, elle se tourna vers les représentantes. Toutes étaient blêmes, et certaines devaient crever de peur derrière leur façade d’impassibilité.

— Le monde est en chemin vers l’Ultime Bataille. Vous pensiez que nos ennemis nous laisseraient en paix ?

— Qui d’autre ? souffla Lelaine. Quels sont les autres noms ?

— Il y en a beaucoup… Y compris celui d’une représentante.

Moria se leva d’un bond et courut vers la sortie. En réalité, elle ne fit pas deux foulées. Onze représentantes et leur Chaire d’Amyrlin l’emprisonnèrent derrière des boucliers et la neutralisèrent avec des flux d’Air. En un clin d’œil, elle se retrouva en suspension dans les airs, bâillonnée et les joues ruisselant de larmes.

Romanda approcha d’elle, lui tourna autour puis lâcha :

— Toutes les deux de l’Ajah Bleu. Tu as choisi une façon très dramatique de faire tes révélations, Egwene.

— Appelle-moi « Mère », Romanda. Qu’il y ait, ici, un gros pourcentage de sœurs noires parmi l’Ajah Bleu n’a rien d’extraordinaire. Je te rappelle que toutes les sœurs de cette obédience ont quitté la tour. (Egwene brandit de nouveau le Bâton.) Si j’ai choisi une façon de faire spectaculaire, c’est pour une bonne raison. Face à des accusations sans preuves, comment auriez-vous réagi ?

— Tu as raison sur les deux points, Mère, admit Romanda.

— Dans ce cas, tu ne verras pas d’inconvénient à être la première à passer mon épreuve ?

Après un coup d’œil aux deux femmes ligotées, Romanda se décida promptement. Sous le pavillon, presque toutes les sœurs restaient unies à la Source. Et elles se regardaient en chiens de faïence.

Romanda saisit le Bâton, suivit les instructions d’Egwene et se libéra des Trois Serments. Si ça n’alla pas sans douleur, elle se maîtrisa très bien.

Les autres la regardèrent, suspicieuses, mais elle ne tergiversa pas et prêta de nouveau les Serments.

— Je ne suis pas un Suppôt, dit-elle. Et je n’en ai jamais été un.

Egwene prit le Bâton que la sœur lui tendait.

— Merci, Romanda. Lelaine, tu veux bien être la suivante ?

— Avec joie, répondit l’éternelle rivale de Romanda.

À l’évidence, elle brûlait d’envie de sauver l’honneur de l’Ajah Bleu.

Les unes après les autres, les représentantes restantes se libérèrent de leurs serments – souvent en gémissant de douleur, puis les prêtèrent à nouveau. Enfin, elles jurèrent ne pas être au service du Ténébreux.

Chaque fois, Egwene soupira de soulagement – in petto, bien entendu. Verin avait bien précisé que certaines sœurs noires avaient pu lui échapper. Au moins, elles n’étaient pas cachées parmi les onze représentantes.

Quand la dernière, Kwamesa, eut rendu le Bâton à Egwene puis déclaré qu’elle n’était pas un Suppôt, la tension baissa d’un coup sous le pavillon.

— Très bien, fit Egwene en retournant s’asseoir à sa place. À partir de cet instant, nous ne ferons plus qu’une. Plus de chamailleries. Fini les querelles. Toutes, nous avons à cœur les intérêts de la Tour Blanche et du monde. Et les douze femmes que nous sommes se vouent une confiance aveugle.

» Une épuration n’est jamais facile. Au contraire, c’est souvent un crève-cœur. Aujourd’hui, nous avons purifié le Hall. Mais ce qui nous reste à faire sera aussi pénible.

— Tu connais les noms de beaucoup d’autres sœurs noires ? demanda Takima.

Pour une fois, elle n’avait pas l’air distraite du tout.

— Oui, répondit Egwene. Plus de deux cents Aes Sedai, réparties entre tous les Ajah. Dans notre camp, il y en a soixante-dix. J’ai les noms.

Pendant la terrible nuit, Egwene était passée dans sa chambre récupérer les deux livres. Désormais, ils étaient sous sa tente, d’autant mieux cachés que nul ne pouvait les voir.

— Je propose que nous appréhendions ces femmes, même si ce sera difficile. Autant que possible, il faudra les frapper toutes en même temps.

En plus de la surprise, l’avantage d’Egwene et de ses partisanes tenait à une donnée : méfiantes par nature, les sœurs noires évoluaient dans une organisation très compartimentée. Chacune connaissait à peine une dizaine de ses complices. Dans le livre rouge, on trouvait un long développement sur la structure de l’Ajah Noir. Réparties dans des trinômes qu’on appelait « cœurs », les traîtresses avaient un minimum de contacts entre membres d’unités différentes. Avec un peu de chance, ce système idéal pour la clandestinité les empêcherait de réagir assez vite face à un assaut ouvert.