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Les représentantes, toujours soufflées, ne posèrent pas de questions.

— Pour commencer, expliqua Egwene, nous prétendrons avoir des nouvelles importantes à communiquer, mais sans que les soldats du camp d’à côté puissent les entendre. Nous ferons donc venir les sœurs ici, Ajah après Ajah. Le pavillon est assez grand pour abriter deux cents femmes.

» Je vous remettrai à toutes la liste complète des sœurs noires. Quand un Ajah entrera, je tiendrai aux Aes Sedai le même discours qu’à vous, leur expliquant qu’elles devront prêter à nouveau les serments.

» Ensemble, nous serons prêtes à intercepter les traîtresses qui tenteront de fuir. Une fois ligotées, nous les regrouperons sous la tente des auditions.

Plus petite, cette tente était reliée à un côté du pavillon. Une fois le rabat fermé, les nouvelles sœurs convoquées ne verraient pas les prisonnières.

— Il faudra faire quelque chose des Champions, maugréa Lelaine. Les laisser entrer avec leur Aes Sedai, je suppose, et nous débrouiller pour les capturer.

— Certains sont des Suppôts, précisa Egwene, mais pas tous. Et je ne sais pas les distinguer…

Verin avait pris quelques notes sur ce sujet – vraiment très succinctes.

— Par la Lumière, quelle sale affaire ! marmonna Romanda.

— Peut-être, lâcha Berana, dédaigneuse, mais ça doit être fait.

— Et vite, qui plus est ! ajouta Egwene. Sinon, certaines sœurs noires auront le temps de s’enfuir. J’ordonnerai à Bryne de prévoir un cercle d’archers soutenus par des sœurs que nous savons loyales. L’objectif sera de ne laisser personne sortir du camp. Mais ça ne réglera pas le problème des traîtresses capables d’ouvrir un portail.

— Nous devons être prudentes, dit Lelaine. Déclencher une guerre à l’intérieur du camp serait catastrophique.

Egwene approuva du chef.

— Et les sœurs noires de la tour ? demanda la même Lelaine.

— Une fois qu’elles auront été épurées, nous ferons ce qui s’imposera pour réunifier la Tour Blanche.

— Tu veux dire… ?

— Oui, Lelaine, c’est bien ça… Je compte lancer dès ce soir l’assaut contre Tar Valon. Fais passer le mot et préviens le général Bryne. Cette nouvelle occupera les sœurs noires qui se tapissent parmi nous. Si tout se passe bien, elles ne remarqueront pas ce qui se trame.

Romanda regarda Sheriam et Moria, toujours en lévitation dans un coin de la tente. Malgré leur bâillon d’Air, toutes les deux pleuraient à chaudes larmes.

— Ça doit être fait, dit la rivale de Lelaine. Je propose au Hall d’accepter le plan que la Chaire d’Amyrlin vient de lui présenter.

En silence, toutes les femmes se levèrent. L’unanimité. Un grand consensus.

— Que la Lumière nous préserve, souffla Lelaine. Et qu’elle nous pardonne ce que nous allons faire.

Exactement ce que j’aurais dit, pensa Egwene.

44

Des parfums inconnus

— La brèche de Tarwin est l’endroit le plus logique, affirma Nynaeve.

Escortés par des Aiels, l’ancienne Sage-Dame et le Dragon chevauchaient sur une piste envahie par la végétation, dans les plaines de Maredo. Nynaeve était la seule Aes Sedai présente. Narishma et Naeff suivaient leur chef, l’air morose. Logique, puisque Rand avait forcé leurs Aes Sedai à rester en arrière. Ces derniers temps, il faisait tout pour marquer son indépendance vis-à-vis des sœurs.

Nynaeve chevauchait Rayon de Lune, une jument blanche réquisitionnée dans les écuries de Rand, à Tear. Penser que ce garçon avait ses propres écuries dans une telle cité laissait rêveuse l’ancienne Sage-Dame. Sans compter que le Dragon en possédait dans toutes les principales cités du monde…

— La brèche de Tarwin, répéta Rand, secouant la tête. Non. Plus j’y pense, et plus je conclus que nous ne devrons pas nous y battre. Lan me fait une faveur. Si je peux lancer un assaut en même temps que le sien, ce sera un grand avantage pour moi. Mais pas question de faire perdre du temps à mon armée avec la brèche de Tarwin. Ce serait un gaspillage de ressources.

Un gaspillage de ressources ? Comme une flèche lâchée par un arc long de Deux-Rivières, c’était vers la brèche de Tarwin que Lan se dirigeait. Pour y mourir ? Et pour Rand, l’aider serait une perte de temps ? Berger décérébré !

Les dents serrées, Nynaeve se força au calme. Au moins, si Rand avait consenti à une confrontation ! Mais non, il parlait d’un ton monocorde, comme s’il n’était pas vraiment là. Il semblait sans émotions, mais Nynaeve avait vu la bête se libérer et lui rugir après. Un monstre était tapi en lui, et s’il ne lâchait pas la bonde à tout ça, très vite, il le dévorerait de l’intérieur.

Mais comment le ramener à la raison ? Pendant le séjour à Tear, Nynaeve avait préparé une kyrielle d’arguments très étayés, puis elle s’était entraînée à les présenter calmement.

Rand s’en était fichu comme d’une guigne.

Les deux derniers jours, il les avait passés avec ses généraux pour peaufiner sa stratégie, en vue de Tarmon Gai’don.

Chaque jour, Lan approchait un peu plus d’une bataille qu’il ne pourrait pas gagner. Face à cette échéance, Nynaeve devenait de plus en plus nerveuse. Dix fois, elle avait failli abandonner Rand pour filer vers le nord. Si son mari devait se battre sans une chance de vaincre, il fallait qu’elle soit à ses côtés. Pourtant, elle restait avec Rand. Oui, que la Lumière brûle ce berger, elle restait avec lui. À quoi bon aider Lan si le monde, après, devait sombrer dans les Ténèbres ? Tout ça à cause de l’entêtement d’un maudit garçon qu’elle avait vu grandir, lui flanquant la fessée plus souvent qu’à son tour.

Nynaeve tira très fort sur sa natte. À la pâle lumière du soleil – rien d’étonnant avec ce ciel plombé –, ses bracelets et ses bagues brillaient chichement.

Tout le monde s’efforçait d’ignorer que le ciel n’avait rien de naturel. Mais Nynaeve, experte en climat, sentait la tempête qui se préparait au nord.

Il restait si peu de temps avant que Lan ait rallié la brèche de Tarwin. Sauf si… Oui, avec un peu de chance, les compatriotes venus se joindre à lui le ralentiraient.

Fasse la Lumière qu’il ne soit pas seul !

L’imaginer entrant dans la Flétrissure, face aux hordes de Créatures des Ténèbres qui infestaient ces terres…

— Nous devons attaquer là ! insista Nynaeve. Selon Ituralde, la Flétrissure grouille de Trollocs. Le Ténébreux rassemble ses forces. Tu peux être sûr que le gros de ses troupes sera dans la brèche – de là, il est facile de fondre sur Andor et sur le Cairhien.

— C’est exactement pour ça que nous n’attaquerons pas la brèche de Tarwin, Nynaeve. (Toujours cette voix calme et glaciale…) Ce n’est pas à l’ennemi de choisir nos champs de bataille. La pire erreur serait de combattre là où il le désire. Là où il nous attend… (Rand tourna la tête vers le nord.) Oui, laissons nos adversaires se rassembler. Ils me cherchent, et je n’ai aucune intention de me rendre. Alors, pourquoi se battre à la brèche de Tarwin ? La vraie logique, c’est de fondre en masse sur le mont Shayol Ghul.

— Rand…, fit Nynaeve d’un ton qui se voulait raisonnable.

Ce fichu berger ne voyait-il pas tous les efforts qu’elle produisait pour être conciliante ?