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— Ça ne m’inquiète pas tant que ça, continua Egwene. Avec l’assaut contre la tour et mon retour, je parie que la Rejetée – qui qu’elle soit – jugera prudent de s’éclipser pour se mettre en quête d’un endroit où frapper des cibles moins coriaces et difficiles à atteindre.

Lelaine et Romanda ne semblèrent pas réconfortées par cette tirade.

Les trois femmes atteignirent la lisière du camp des Aes Sedai, où des montures les attendaient ainsi qu’un grand nombre de soldats et une représentante de chaque Ajah, à l’exception du Bleu et du Rouge. L’absence du Bleu avait une explication toute simple : Lelaine était la dernière de cette obédience présente dans le camp. Et si l’Ajah Rouge n’était nulle part en vue, tout le monde savait pourquoi. En partie, c’était pour ça qu’Egwene avait choisi de porter sa couleur. Une façon de souligner que tous les Ajah devaient être représentés dans le combat qui allait suivre. Et ce pour le bien de tous.

Alors qu’elle se hissait en selle, Egwene remarqua que Gawyn la suivait, comme d’habitude et à bonne distance. D’où sortait-il donc ? Depuis le matin, ils n’avaient plus échangé un mot.

Quand elle fit volter sa monture pour sortir du camp avec Lelaine, Romanda, les représentantes et les soldats, le prince suivit le mouvement.

Egwene ne savait toujours pas ce qu’elle allait faire de lui…

Le camp de Bryne était presque désert. Les tentes vides, le sol labouré par des chaussures et des sabots… À première vue, il ne restait quasiment personne.

Dès que la colonne fut sortie de ce camp, Egwene s’unit à la Source. Si quelqu’un l’attaquait, elle aurait tous les tissages requis pour riposter. Comment savoir si Elaida n’utiliserait pas un portail pour contrarier l’assaut ? Très probablement, l’usurpatrice était « occupée » avec les conséquences du raid des Seanchaniens. Mais les théories fumeuses de ce genre, dans un passé très proche, avaient conduit Egwene à la tour, prisonnière de ses ennemies.

La Chaire d’Amyrlin ne devait pas s’exposer ainsi. C’était rageant, mais le temps où elle agissait seule, frappant là où elle le jugeait bon, était définitivement révolu. Si elle avait été tuée, et pas capturée, quelques semaines plus tôt, la rébellion de Salidar serait morte et Elaida aurait continué à régner.

C’était pour ça que ses soldats, aujourd’hui, marchaient à la bataille et sortaient du village nommé Darein. Dans le lointain, la tour était encore enveloppée de fumée. Même à cette distance, les blessures infligées à la flèche blanche par les Seanchaniens se voyaient comme le nez au milieu de la figure. Des brèches noircies, comme les taches de pourriture, sur une pomme sinon en parfait état. Alors qu’elle l’étudiait, Egwene eut l’impression d’entendre gémir la tour. Tant de siècles à se dresser fièrement, et à « voir » tellement de choses… Désormais, trop grièvement blessée, la géante blanche saignait encore un jour après le drame.

Mais elle ne s’écroulait pas. Que la Lumière en soit louée, elle résistait ! Blessée mais toujours forte, elle tutoyait le soleil frileusement caché derrière les nuages.

Oui, elle résistait, méfiante envers tous ceux qui voulaient la détruire, que ce soit de l’extérieur ou de l’intérieur.

À l’arrière de la troupe, Bryne et Siuan attendaient Egwene. Un couple mal assorti, ces deux-là ! Le général aux tempes grises et au visage buriné comme la surface d’un vieux plastron, et une femme en robe bleue, le visage assez juvénile pour être la petite-fille de son compagnon. N’était qu’ils avaient à quelque chose près le même âge.

Dès qu’ils aperçurent Egwene, Siuan s’inclina sur sa selle et Bryne se fendit d’un salut réglementaire.

Le regard du général restait voilé, comme s’il se sentait coupable d’avoir pris part à la mission de « sauvetage ». Pourtant, Egwene ne lui en tenait pas rigueur. C’était un homme d’honneur, elle le savait. S’il s’était senti obligé d’y aller pour protéger deux imbéciles – Siuan et Gawyn –, il fallait le féliciter de les avoir gardés en vie.

En approchant, Egwene remarqua que les montures du duo étaient bizarrement près l’une de l’autre. Siuan avait-elle enfin accepté ses sentiments pour le militaire ?

Minute ! Chez Bryne, il y avait quelque chose de plus. Une grâce familière, pouvait-on dire. Ce n’était pas flagrant, mais quand on connaissait la vraie relation de ce… couple.

— Tu as enfin pris un nouveau Champion ? demanda Egwene à Siuan.

— C’est ça, oui…

Bryne parut surpris… et un rien honteux.

— Général, fais de ton mieux pour la garder loin des ennuis. (Egwene chercha le regard de Siuan.) Elle s’y est fourrée plus d’une fois, ces derniers temps. J’ai envisagé de te la confier, pour que tu l’enrôles dans l’infanterie. La discipline militaire lui ferait du bien, je crois. Surtout en commençant en bas de l’échelle. Qui sait ? Ça lui apprendrait peut-être que l’obéissance prime parfois l’initiative.

Siuan détourna le regard.

— Siuan Sanche, continua Egwene, plus conciliante, je n’ai pas encore décidé que faire de toi. Mais je suis moins furieuse. Hélas, ma confiance en toi n’est plus qu’un lointain souvenir. Si tu veux retrouver ta place à mes côtés, il te faudra apaiser davantage mon courroux et caresser ma confiance dans le sens du poil.

Egwene jeta un coup d’œil à Bryne, qui semblait sur le point de vomir. Sans doute parce qu’il sentait dans le lien toute la honte de son Aes Sedai.

— La laisser te lier est un acte de bravoure, général, ajouta Egwene. La garder loin des ennuis sera un impossible défi, j’en ai conscience, mais je te sais capable de renverser des montagnes.

Le général se détendit un peu.

— Je ferai de mon mieux, Mère, dit-il. (Il fit volter son cheval pour observer ses soldats.) Il faut que tu voies quelque chose, Mère. Si tu veux bien me suivre.

Egwene acquiesça et suivit le vétéran en direction du pont. Ici, la voie était pavée. La population évacuée, toutes les voies principales grouillaient d’hommes avides de se battre.

Siuan suivait Egwene, Gawyn lui emboîtant le pas à distance. Sur un geste de la Chaire d’Amyrlin, Romanda et Lelaine avaient « décidé » de rester avec les autres représentantes. Leur toute nouvelle docilité était des plus utiles, puisqu’elle les incitait à se prendre de bec afin de briller aux yeux de leur dirigeante. À l’évidence, après la disparition de Sheriam, elles se seraient bien vues avec l’étole de Gardienne sur les épaules.

Le général la conduisant vers la première ligne, Egwene prépara un tissage d’Air, au cas où un archer la prendrait pour cible. Siuan la vit faire, mais s’abstint de tout commentaire. Cette précaution aurait dû être inutile. Quel que soit le conflit, un Garde de la Tour n’aurait jamais tiré sur une Aes Sedai. Cela dit, il en allait autrement avec les Champions, et un accident était très vite arrivé. Si une flèche traversait la gorge de sa rivale, Elaida boirait du petit-lait.

Le petit groupe traversa le village et finit par s’arrêter non loin du pont de Darein, un ouvrage blanc majestueux qui enjambait la rivière jusqu’à Tar Valon.

Egwene remarqua tout de suite ce que Bryne voulait lui montrer. Au point le plus haut du pont, du côté gauche, des Gardes de la Tour étaient retranchés derrière une barricade de blocs de pierre et de rondins. À première vue, il devait y avoir trois cents hommes. Sur l’autre rive, des soldats se massaient sur les créneaux. En tout, un millier de combattants au maximum.

Bryne disposait de dix mille soldats.

— Mère, dit-il, je sais que ça n’a jamais été le nombre qui nous empêchait d’attaquer. Mais les Gardes de la Tour devraient pouvoir réunir une force plus importante – d’autant plus qu’ils ont enrôlé à tour de bras dans la cité et à l’extérieur. Je doute qu’ils aient passé les derniers mois autour du feu à tailler des morceaux de bois et à se souvenir du bon vieux temps. Si Chubain n’est pas devenu idiot, il aura entraîné ses bleus.