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— Nous avons prévu ces exigences, et elles seront satisfaites.

Un long silence s’ensuivit.

— Dans ce cas, dit enfin Egwene, j’accepte d’être nommée.

— Mère, souffla Siuan, ça risque d’être dangereux. Ne te précipite pas. Tu devrais peut-être en parler avec…

— Ce n’est pas précipité. (Egwene relâcha son tissage.) Nous voulons ça depuis le début. En outre, qui es-tu pour me donner des leçons ? (Siuan baissa les yeux.) Général, prépare tes hommes à traverser le pont. Qu’un soldat aille chercher celles de nos représentantes qui attendent à l’arrière. Et qu’un messager apporte la bonne nouvelle dans notre camp. Enfin, assure-toi que tes soldats postés devant les deux autres ponts ne fassent pas de bêtise.

— Compris, Mère.

Bryne fit volter son cheval et donna les ordres requis.

Après une grande inspiration, Egwene talonna sa monture et s’engagea sur le pont. Non sans lâcher un juron de marin-pêcheur, Siuan lui emboîta le pas.

Gawyn fit de même, puis les soldats s’ébranlèrent sur un ordre de Bryne.

Ses cheveux ornés de rubans rouges volant au vent, Egwene traversa le pont. Songeant à ce qui venait d’être évité, elle éprouva une étrange euphorie. Était-ce bien vrai ? Rêvait-elle ?

La réalité s’imposant à elle, la joie et le soulagement la submergèrent.

La jument blanche de la Chaire d’Amyrlin – la seule et unique dirigeante des Aes Sedai – secoua la tête, sa crinière soyeuse caressant les mains de sa cavalière. Au sommet du pont, les représentantes faisaient déjà demi-tour pour retourner en ville.

Dans le lointain, la Tour Blanche blessée saignait encore.

Mais elle résistait ! Au nom de la Lumière, elle résistait !

46

Être forgée de nouveau

Après la traversée triomphale du pont, les événements s’enchaînèrent à une vitesse folle.

Egwene fonça vers la Tour Blanche, Siuan et Gawyn peinant à rester dans son sillage. Une fois arrivée, elle fut prise en charge par des servantes qui la conduisirent dans une pièce aux murs lambrissés meublée en tout et pour tout par deux fauteuils rembourrés. Une sorte d’antichambre du Hall – où, selon les domestiques, les représentantes attendaient leur Chaire d’Amyrlin.

Un brasero réchauffait l’air qui charriait une forte odeur de cuir.

Très vite, une sœur marron aux vagues allures de grenouille vint expliquer à Egwene comment se comporter pendant la cérémonie à venir. Nommée Lairain, cette petite femme aux cheveux bouclés semblait totalement insensible à l’importance du moment. De sa vie, Egwene ne l’avait jamais vue. Sans doute parce qu’elle devait passer son temps à la bibliothèque, en sortant une fois par siècle pour débiter des consignes à une future Chaire d’Amyrlin.

Egwene écouta attentivement. Elle avait déjà vécu la cérémonie, qui suivait un protocole précis.

Comment oublier sa nervosité, des mois plus tôt, quand elle avait été « élevée » à Salidar ? À l’époque, elle n’avait pas vraiment mesuré ce qui lui arrivait. Elle, Chaire d’Amyrlin ?

Aujourd’hui, ce stade dépassé, elle ne s’inquiétait plus de commettre une bévue pendant le rituel. Après tout, ce n’était que du décorum, une fois prise la décision importante.

Alors qu’elle écoutait Lairain, Egwene entendit la voix de Siuan, qui, dans le couloir, discutait ferme avec une sœur. Selon l’ancienne Chaire d’Amyrlin, Egwene ayant déjà été nommée, « toute cette agitation ne servait strictement à rien ».

Faisant signe à Lairain de se taire, Egwene appela Siuan, qui passa la tête par la porte.

— J’ai été nommée par les rebelles, Siuan. Ces sœurs méritent de se lever pour moi à leur tour. Sinon, comment pourrai-je revendiquer leur loyauté ? La cérémonie doit avoir lieu de nouveau.

— Compris, marmonna Siuan, dépitée.

Lairain voulut reprendre sa litanie, mais Egwene lui fit encore signe de se taire.

— Quelles sont les nouvelles, Siuan ?

L’ancienne Chaire d’Amyrlin ouvrit un peu plus la porte.

— Les hommes de Bryne ont presque tous traversé le pont. Notre général a libéré les Gardes de la Tour de leur affectation, derrière la barricade, et, avec plusieurs escouades de nos soldats, il les a envoyés éteindre les incendies qui continuent à faire rage en ville. Pour faciliter leur retraite, les Seanchaniens ont semé la destruction partout.

Voilà qui expliquait en partie le peu de Gardes présent derrière la barricade. Surtout à un moment où le Hall débattait de la nomination d’Egwene au poste suprême.

Tous ces gens ne mesuraient sûrement pas à quel point on était passé près d’un massacre.

— Que comptes-tu faire des sœurs de notre camp ? demanda Siuan. Elles commencent à s’interroger.

— Dis-leur de se rassembler devant la porte du Soleil-Couchant. Qu’elles se tiennent en rangs par Ajah, les représentantes alignées devant elles. Quand la cérémonie sera terminée, j’irai les accueillir et accepter officiellement leur repentir. Puis je les accueillerai de nouveau à la tour.

— Leur repentir ? répéta Siuan, incrédule.

— Elles se sont révoltées contre la tour, Siuan. Même si leur démarche était justifiée, il est normal de s’en excuser.

— Bon sang, tu étais avec elles !

— Oui, mais je ne les représente plus exclusivement. J’incarne la tour, Siuan. La tour entière. Et la tour a besoin de savoir que les « renégates » sont désolées d’avoir semé la division. Nos sœurs n’auront pas besoin de mentir en affirmant qu’elles regrettent de ne pas être restées, mais j’estime juste qu’elles se disent navrées des conséquences de leurs actes. Dès que je les aurai acquittées, on s’attaquera à la réunification, ce qui ne sera pas un jeu d’enfant.

— Bien, Mère, souffla Siuan, accablée.

Egwene vit que Tesan se tenait derrière l’ancienne Chaire d’Amyrlin. Les propos de la nouvelle semblaient la combler d’aise.

Egwene autorisa Lairain à reprendre son exposé. Puis elle lui répéta les phrases qu’elle devrait dire, et récapitula les gestes qu’il lui faudrait faire.

Quand la sœur marron en eut fini, Egwene se leva, approcha de la porte et constata que Siuan était bien partie transmettre ses ordres.

Les bras croisés, Tesan se tenait non loin de Gawyn, adossé au mur, une main posée sur le pommeau de son épée.

— Ton Champion ? demanda Tesan à la Chaire d’Amyrlin.

Egwene regarda Gawyn et dut faire face à une déferlante d’émotions. La colère, l’affection, la passion et le regret.

Elle chercha le regard du prince.

— Tu ne peux pas assister à ce qui me reste à faire, Gawyn. Attends-moi ici.

Le prince voulut objecter quelque chose, mais il se ravisa et se fendit d’une révérence très raide. Un geste plus insolent que la pire des tirades.

Egwene soupira discrètement – mais assez fort pour qu’il l’entende –, puis elle ordonna à Tesan de la guider jusqu’au Hall de la Tour.

Le Hall, à la fois un lieu et un groupe de représentantes… Un peu comme le titre d’Egwene, qui désignait aussi bien sa personne que le siège d’où elle régnait.

Devant les portes sculptées de la Flamme de Tar Valon, la jeune Chaire d’Amyrlin hésita, le cœur battant la chamade.

Siuan jaillit de nulle part, une paire de fines chaussures à la main. Impérieuse, elle désigna les bottes d’Egwene.

Oui, bien vu, car le sol du Hall était joliment peint. En se répétant qu’elle n’avait aucune raison d’être nerveuse, Egwene changea de souliers.

Je suis déjà passée par là…, pensa-t-elle. Et pas qu’à Salidar. Pour mon épreuve d’Acceptée, je me suis trouvée face à cette porte, puis aux femmes qui m’attendaient derrière.