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Avant que les choses tournent mal, à Bandar Eban, Min avait souvent vu Rand se calmer de la même façon.

— Il a tenté de me tuer, annonça Tam d’une voix égale. Mon propre fils. Jadis, c’était le gosse le plus doux et fidèle dont un père pouvait rêver. Ce soir, il a canalisé le Pouvoir pour le tourner contre moi.

Paniquée, Min porta une main à sa bouche. Le récit de Tam réveillait un souvenir douloureux. Rand, penché sur elle pour l’étrangler.

Mais ça n’avait pas été lui ! Semirhage était aux commandes, n’est-ce pas ?

Rand ! pensa Min, comprenant soudain la nature de la souffrance qu’elle avait sentie dans le lien. Qu’as-tu fait ?

— Intéressant, lâcha Cadsuane, détachée. Lui as-tu dit les mots que j’avais préparés ?

— J’ai commencé, oui, mais j’ai vite vu que ça ne fonctionnait pas. Il ne s’est pas ouvert à moi, et il a eu raison. Un homme qui débite à son fils le monologue écrit par une Aes Sedai ! Je ne sais pas ce que tu lui as fait, femme, mais quand je vois de la haine, je sais la reconnaître. Tu as beaucoup de comptes à me rendre…

Tam se tut, car des mains invisibles venaient de le soulever du sol.

— Tu te souviens de ce que je disais au sujet de la courtoisie, vieil homme ?

— Cadsuane, intervint Nynaeve, tu n’es pas obligée de…

— Aucun problème, Sage-Dame, dit Tam.

Il regarda Cadsuane. Min l’avait déjà vue traiter des gens ainsi, y compris Rand. Le Dragon détestait ça, et les autres avaient eu tendance à brailler de rage.

Tam chercha le regard de la légende.

— J’ai connu des hommes qui ne savaient pas répondre à un défi autrement qu’avec leurs poings. Les Aes Sedai, je ne les ai jamais aimées. De retour à ma ferme, j’étais ravi d’en être débarrassé. Une brute est une brute. Utiliser ses poings ou le Pouvoir, c’est la même chose.

Cadsuane grogna. Mais la tirade avait fait mouche, car elle reposa Tam sur le parquet.

— À présent, dit Nynaeve comme si c’était elle qui menait les débats, on pourrait peut-être revenir aux choses importantes. Tam al’Thor, j’espérais que tu t’en sortirais mieux. Rand est instable, nous te l’avions bien dit.

— Instable ? Nynaeve, mon fils est fou à lier ! Que lui est-il arrivé ? Je sais ce que la guerre peut faire à un homme, mais…

— C’est sans importance, coupa Cadsuane. Tu dois comprendre, mon enfant, que c’était sans doute ta dernière occasion de le sauver.

— Si tu m’avais informé de son opinion sur toi, tout aurait été différent. Que la Lumière me brûle ! Voilà ce qui arrive quand on écoute une Aes Sedai.

— Non, intervint Nynaeve, c’est ce qui arrive quand on est une tête de pioche qui n’entend rien de ce qu’on lui dit.

— Faux, lâcha Min. C’est ce qui arrive quand on croit pouvoir manipuler quelqu’un.

Un lourd silence s’abattit sur la pièce.

Soudain, Min s’avisa qu’elle sentait Rand à travers le lien. Très loin de là, à l’ouest.

— Il est parti, souffla-t-elle.

— Oui, soupira Tam. Il a ouvert un portail, sur le balcon. J’aurais juré qu’il voulait ma peau, mais il m’a épargné, en fin de compte. C’est surprenant… Chaque fois que j’ai vu cette lueur dans les yeux d’un homme, l’un de nous a fini en sang sur le sol.

— Que s’est-il passé ? demanda Nynaeve.

— Il a semblé distrait par quelque chose. Avec sa statuette, il s’est engouffré dans le portail.

Cadsuane arqua un sourcil.

— As-tu vu où conduisait ce portail ?

À l’ouest, pensa Min. Très loin à l’ouest.

— Je n’en suis pas sûr… Il faisait nuit… mais j’ai quand même une idée.

— Ebou Dar ! s’écria Min, surprenant tout le monde. Il est parti détruire les Seanchaniens. Comme il l’a dit aux Promises.

— Je ne sais rien à ce sujet, admit Tam. Mais on aurait bien dit Ebou Dar.

— Que la Lumière nous protège ! murmura Corele.

49

Simplement un homme parmi d’autres

Moignon dans la poche de son manteau, la tête baissée, Rand marchait à pas vifs. Enveloppée dans du tissu blanc, la clé d’accès était fixée à sa ceinture, sur son flanc. Personne ne lui accordait d’attention. Il n’était qu’un homme parmi d’autres arpentant les rues d’Ebou Dar. À part sa grande taille, aucun autre signe particulier. Si, ses cheveux roux peut-être, qui suggéraient une ascendance aielle. Mais en ville, une foule de types bizarres étaient venus chercher la protection des Seanchaniens. Alors, un de plus ou de moins…

Tant qu’une personne n’était pas capable de canaliser, elle était bienvenue ici. Et en sécurité.

Ce dernier point perturbait Rand. Les Seanchaniens étaient ses ennemis – de rudes conquérants. Sur les terres qu’ils avaient annexées, la paix ne pouvait pas régner. On devait y voir des horreurs et un peuple courbant l’échine sous la tyrannie. Mais en réalité, ça ne ressemblait pas du tout à un enfer.

Sauf quand on savait canaliser. Avec les Aes Sedai, les Seanchaniens se montraient impitoyables. Donc, sous une surface apaisée, tout n’était pas rose.

Peut-être, mais constater que les conquérants traitaient très bien les « conquis » avait quelque chose de dérangeant.

Des Zingari campaient à l’extérieur de la ville. Leurs roulottes n’avaient pas bougé depuis des semaines, et ils semblaient se sédentariser. En traversant leur camp, Rand avait entendu des hommes évoquer la possibilité de s’« installer ». D’autres ne semblaient pas d’accord. N’étaient-ils pas les Gens de la Route ? S’ils ne la cherchaient plus, comment trouveraient-ils leur chanson ? Autant que le Paradigme de la Feuille, elle était une part d’eux-mêmes.

La veille, Rand avait écouté des Zingari débattre autour d’un feu de camp. Sans rien lui demander, ils l’avaient accueilli, lui offrant le gîte et le couvert. La clé d’accès cachée dans sa poche, il avait caché les dragons sous les manches de sa veste. Rêveur, il avait tendu l’oreille tout en regardant crépiter les flammes.

Pour l’instant, il n’était pas entré à Ebou Dar, se contentant d’arpenter les collines, au nord, où il avait affronté les Seanchaniens en brandissant Callandor. Le site d’un échec, pour lui. Et voilà qu’il était revenu en Altara. Pourquoi ?

Au matin, quand les gardes ouvrirent les portes, il se mêla au flot de gens arrivé en pleine nuit, comme lui. Les Zingari avaient offert l’hospitalité à tout ce joli monde. Apparemment, les Seanchaniens leur fournissaient des rations supplémentaires afin qu’ils nourrissent ces voyageurs.

Une occupation parmi d’autres, pour les Zingari. Sinon, ils réparaient des chaudrons, reprisaient des uniformes et s’acquittaient d’une multitude d’autres petits travaux. En échange, et pour la première fois depuis leur longue errance, ils recevaient la protection des nouveaux dirigeants d’Ebou Dar.

Rand avait passé assez de temps avec les Aiels pour partager leur mépris des Zingari. Un sentiment qui chancelait quand on savait que les Tuatha’an, en bien des matières, respectaient des traditions aielles plus anciennes et plus authentiques que celles des guerriers.

Rand se souvenait de cette façon de voir les choses. À Rhuidean, dans ses visions, il avait vécu selon le Paradigme de la Feuille. Il avait aussi entrevu l’Âge des Légendes. Des fragments de vie qui ne lui appartenaient pas, souvent très brefs…

Toujours dans une sorte de brouillard, il remontait les rues boueuses de la ville. Au réveil, il avait troqué sa jolie veste contre un manteau marron des plus ordinaires et à l’ourlet effiloché. S’il avait traité avec un Zingaro, le vêtement était sans rapport avec les tenues hautes en couleur de ce peuple. Simplement, un Tuatha’an lui avait cédé le manteau qu’un inconnu lui avait donné à repriser. Le client n’étant jamais revenu, le Zingaro s’était senti libre de l’échanger.