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— Tu as raison, se contenta de lâcher Ituralde.

Wakeda se tourna vers les autres, puis regarda de nouveau son chef, déconcerté par sa brutale franchise.

— Dans ce cas, pourquoi on ne fiche pas le camp ?

Le gaillard fanfaronnait bien moins qu’au début de la campagne, nota Ituralde.

— Je ne distribuerai pas des sucreries et des mensonges, annonça-t-il. Nous sommes dans de sales draps. Mais en fuyant, nous aggraverons la situation. Partir pour aller où ? Ici, les arbres joueront en notre faveur et nous pouvons ériger des défenses. Dans un Sanctuaire, les damane seront impuissantes, et ça suffit à justifier ma décision. Nous nous battrons ici.

Ankaer acquiesça, comme s’il mesurait la précarité de la situation.

— Wakeda, nous devons lui faire confiance. Il nous a menés si loin…

— Il faut en convenir…

Les fichus crétins ! Quatre mois plus tôt, la moitié d’entre eux l’auraient abattu à vue parce qu’il restait fidèle au roi. À présent, ils le croyaient capable de tous les exploits.

Quel dommage. Lui qui espérait amener ces hommes à Alsalam, afin qu’ils le servent…

— Très bien. (Le général désigna plusieurs points des fortifications.) Voici ce que nous allons faire pour consolider nos maillons faibles…

Ituralde se tut, car il venait d’apercevoir un petit groupe à l’approche. Le messager et des soldats, tous escortant un inconnu en tenue rouge et or.

Quelque chose chez cet homme attira le regard du général. Sa taille, peut-être. Très jeune, l’inconnu était aussi grand qu’un Aiel, et il avait les cheveux clairs typiques de ce peuple. Mais aucun Aiel au monde n’aurait porté une veste rouge aux broderies d’or.

Le visiteur portait une épée au côté. À le voir marcher, Ituralde estima qu’il savait rudement bien s’en servir.

Comme si les soldats étaient vraiment une escorte, le type bombait le torse. Un seigneur, sûrement, habitué à commander. Mais pourquoi venir en personne au lieu d’envoyer un messager ?

Le jeune seigneur s’arrêta quelques pas devant Ituralde et ses officiers. Après les avoir tous regardés, ses yeux se rivèrent sur le général.

— Rodel Ituralde ? demanda-t-il.

Avec quel accent, exactement ? Celui d’un Andorien ?

— C’est moi, oui…

— La description de Bashere était précise… Tu sembles t’être pris au piège toi-même, ici. Penses-tu tenir face à l’armée seanchanienne ? Tu as le désavantage du nombre, et tes alliés du Tarabon brillent par leur absence.

Un esprit vif, quoi qu’il en soit…

— Je ne débats pas de ma stratégie avec des inconnus…

Ituralde étudia de plus près le jeune seigneur. Il semblait mince et musclé, même si c’était difficile à dire sous une veste. Notant qu’il utilisait avant tout sa main droite, le général eut besoin de quelques secondes pour voir que la gauche manquait. Sur ses avant-bras, on distinguait de curieux tatouages.

Ses yeux… Eh bien, ils avaient vu la mort plus d’une fois, ça ne faisait aucun doute. Un jeune seigneur ? Non, un jeune général !

— Qui es-tu ? demanda Ituralde.

— Rand al’Thor, le Dragon Réincarné. Et j’ai besoin de toi. De ton armée aussi, évidemment.

Plusieurs officiers jurèrent entre leurs dents. Quand le général les regarda, il vit l’incrédulité de Wakeda, la surprise de Rajabi et le doute de Lidrin.

Le Dragon Réincarné ? Ce gamin ? Eh bien, pourquoi pas ? Selon les rumeurs, le Dragon était un jeune homme aux cheveux roux. Mais elles affirmaient aussi qu’il mesurait dix pieds de haut et que ses yeux brillaient dans la pénombre.

On racontait également qu’il était apparu dans le ciel, à Falme. Ituralde ne savait même pas s’il croyait à la réincarnation du Dragon. Alors, tout le reste…

— Je n’ai pas le temps de discuter, dit le visiteur, impassible.

Il semblait plus vieux que son apparence. Entouré d’hommes armés, il ne s’inquiétait pas le moins du monde. Être venu seul aurait pu passer pour du crétinisme pur. Au contraire, ça troublait Ituralde.

À part le Dragon Réincarné, qui aurait osé s’aventurer seul dans un camp hostile avec la prétention d’être obéi ?

En soi, ça suffisait pour inciter Ituralde à le croire. S’il ne disait pas la vérité, ce garçon était le pire cinglé de tous les temps.

— Sortons du Sanctuaire, et je prouverai que je sais canaliser. Ça devrait être un argument, non ? Laissez-moi partir et je reviendrai avec des Aes Sedai et dix mille Aiels prêts à jurer que je suis bien le Dragon.

Les rumeurs parlaient aussi d’Aiels loyaux au Dragon.

Autour d’Ituralde, les officiers toussotèrent et échangèrent des regards inquiets. Avant de se rallier au général, beaucoup d’entre eux étaient des fidèles du Dragon. Avec les bons mots, Rand al’Thor – ou qui soit-il d’autre – pouvait semer la pagaille dans tout le camp.

— Même si nous supposons que je te crois, fit le général, qu’est-ce que ça change ? J’ai une guerre à mener. Toi, tu dois avoir d’autres préoccupations.

— Non, c’est toi, ma priorité.

Le regard dur d’al’Thor sembla traverser le crâne d’Ituralde, en quête de tout ce qu’il y trouverait d’utile.

— Tu dois faire la paix avec les Seanchaniens. Cette guerre ne nous rapportera rien. Je veux que tu files vers les Terres Frontalières, car je n’ai pas d’hommes à affecter à la surveillance de la Flétrissure. Hélas, les Frontaliers ont tourné le dos à leur devoir.

— J’ai des ordres, répliqua Ituralde.

Minute ! Il n’aurait pas obéi à ce mioche même s’il n’en avait pas eu. Mais il y avait ces yeux… Dans leur jeunesse, Alsalam avait les mêmes. Le regard d’un vrai chef.

— Des ordres ? répéta al’Thor. Venant du roi ? C’est ça qui t’a poussé à harceler les Seanchaniens ?

Ituralde acquiesça.

— J’ai entendu parler de toi, général. Des hommes que je respecte et auxquels je me fie te respectent et se fient à toi. Au lieu de fuir et de te cacher, tu te retranches ici pour livrer une bataille dont tu ne sortiras pas vivant. Tout ça par loyauté envers ton roi. J’apprécie une telle fidélité. Mais il est temps de te lancer dans une guerre dotée d’un sens. Un combat capital et ultime ! Joins-toi à moi, et je te donnerai le trône de l’Arad Doman.

— Tu vantes ma loyauté, puis tu m’incites à trahir mon roi ?

— Ton roi est mort. Ou son esprit a fondu comme de la cire. Graendal le détient, j’en suis de plus en plus sûr. Dans le chaos qui règne en Arad Doman, je sens sa « patte » inimitable. Les ordres que tu reçois viennent d’elle. Hélas, je n’ai pas encore compris pourquoi elle veut que tu affrontes les Seanchaniens.

— Tu parles d’une Rejetée comme si tu l’avais invitée à dîner, railla Ituralde.

Al’Thor chercha le regard du général.

— Je me souviens de chacun d’eux… Leur visage, leur gestuelle, leur façon d’agir et de parler… On jurerait que je les connais depuis mille ans. Parfois, ils me sont plus familiers que ma propre enfance. Je suis le Dragon Réincarné.

Que la Lumière me brûle ! pesta Ituralde. Je le crois, par le fichu sang et les maudites cendres !

— Si tu nous montrais ta preuve ?

Il y eut des objections, essentiellement de Lidrin, qui trouvait l’affaire trop dangereuse. Les autres étaient sous le choc devant l’homme qu’ils avaient juré de servir sans jamais l’avoir vu.

En al’Thor, une force attirait Ituralde, lui enjoignant d’obéir. Mais il lui fallait voir la preuve, d’abord.

Des messagers furent chargés d’aller chercher des chevaux, afin que les officiers sortent du Sanctuaire. Mais al’Thor parlait comme si l’affaire était entendue.