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En revanche, elles la bombardaient de questions. Son avis sur la situation ? Son opinion sur Rand al’Thor ? Ou sur la façon dont Rhuarc avait géré sa rencontre avec le Car’a’carn ?

Ces questions, elle l’aurait juré, étaient en réalité des épreuves. Répondait-elle mal ? Dans ce cas, pourquoi ne lui enseignait-on pas les bonnes répliques ?

Les Matriarches ne la trouvaient pas « ramollie ». Que restait-il, comme reproche ? Et qu’aurait postulé Elayne ?

Aviendha regretta de n’avoir pas ses lances. Sinon, elle se serait détendue en embrochant quelqu’un. La violence, il n’y avait rien de mieux pour extérioriser sa colère.

Pas question ! Je vais apprendre à me comporter comme une Matriarche. Ainsi, je recouvrerai mon honneur.

Revenue près du manoir, elle laissa tomber le fragment de rocher sur une pile. D’un revers de la main, elle s’essuya le front. Comme Elayne le lui avait appris, ignorer la chaleur et le froid n’empêchait pas de frissonner ou de suer à grosses gouttes.

— Adrin ? demanda un des gardes à son compagnon. Tu n’as pas l’air bien du tout. Sans blague…

Aviendha jeta un coup d’œil dans le couloir du manoir. Le garde qui se plaignait de la chaleur se tenait au chambranle de la porte, l’autre main sur le front. Franchement, il n’avait pas l’air d’aller très fort.

Aviendha s’unit à la Source. En guérison, elle n’était pas une épée, mais…

Adrin porta les deux mains à sa tête et se gratta furieusement les tempes. Alors que ses yeux se révulsaient, il commença à s’arracher des lambeaux de peau et de chair. Au lieu de sang, un épais fluide noir coula de ses blessures.

Même d’assez loin, Aviendha sentit une terrible chaleur.

Voyant son camarade arracher de sa tête des lanières de feu noir, l’autre garde cria de terreur.

Un fluide plus épais jaillit des plaies en bouillonnant. Les vêtements d’Adrin s’embrasèrent et sa chair fondit.

Tout ça sans qu’il pousse un cri.

Reprenant ses esprits, Aviendha généra un simple tissage d’Air, histoire de mettre l’autre homme en sécurité. Son ami, désormais, n’était plus qu’un monticule de goudron d’où jaillissaient par endroits des os brisés. Le crâne n’était plus visible. Alarmée par la chaleur, Aviendha recula en entraînant avec elle le garde survivant.

— On nous attaque ! marmonna-t-il. C’est le Pouvoir de l’Unique !

— Non, fit Aviendha. C’est bien plus maléfique que ça. Cours chercher de l’aide.

L’homme semblait tétanisé, mais une poussée dans le dos le mit en mouvement. Si le tas de goudron, dans l’entrée du manoir, ne se répandait pas – une bénédiction –, il avait déjà flanqué le feu à l’encadrement de la porte. Le bâtiment entier pouvait être livré aux flammes avant que quiconque s’en aperçoive à l’intérieur.

Aviendha tissa un mélange d’Air et d’Eau avec l’intention d’éteindre les flammes. Mais son contre-feu faiblit dès qu’il fut trop près de sa cible. Sans se détisser, il perdit de sa puissance et l’incendie ne fut pas affecté.

L’Aielle recula encore d’un pas. Le front lustré de sueur, elle dut lever un bras pour se protéger le visage.

Elle vit quand même le tas de goudron virer au rouge comme du charbon dans une forge. Bientôt, il ne resta presque plus rien de noir sur cette masse informe.

Les flammes s’attaquèrent à la façade du manoir. À l’intérieur, des cris retentirent.

Aviendha tissa un mélange de Terre et d’Air qui arracha du sol des mottes de terre. Aussitôt, elle les projeta sur les flammes, pour les étouffer. Si ses tissages étaient incapables d’aspirer la chaleur, ils pouvaient l’aider à propulser sur les flammes tout ce qui lui tombait sous la main.

Des touffes d’herbe et des feuilles furent réduites en cendres au contact de l’incroyable chaleur. Sans se décourager, Aviendha continua, la fournaise et la fatigue la faisant ruisseler de sueur.

Comme dans un autre monde, elle entendit des gens – le garde était peut-être parmi eux – crier qu’il fallait des seaux.

Des seaux ? Bien entendu ! Dans la Tierce-Terre, l’eau était bien trop précieuse pour qu’on s’en serve contre les incendies. Le sable ou la terre, voilà ce qu’on utilisait. Mais ici, l’eau était la première arme face aux flammes.

Aviendha recula de plusieurs pas, en quête du « ruisseau » qui coulait non loin du manoir. Les yeux plissés, elle le repéra enfin, les flammes rouge et orange se reflétant sur sa surface.

Toute la façade du bâtiment brûlait. À l’intérieur, on canalisait le Pouvoir. Des Aes Sedai ou des Matriarches, impossible à dire. Avec un peu de chance, ces femmes sortiraient par l’arrière. Mais l’incendie se répandait partout, et de nombreuses pièces ne comportaient pas d’issue de secours.

Tissant une énorme colonne d’Air et d’Eau, Aviendha arracha au ruisseau une bonne partie de son onde, qu’elle attira vers elle.

L’étrange serpent liquide ondula dans l’air comme la créature représentée sur la bannière de Rand al’Thor. Puis ce fouet liquide s’abattit sur l’incendie.

Un geyser s’éleva en crépitant furieusement.

La chaleur devint insoutenable et l’onde de vapeur brûla la peau de l’Aielle. Entêtée, elle puisa plus d’eau et la projeta sur le monticule de goudron, qu’elle distinguait à peine à travers la vapeur.

La chaleur gagnant encore en intensité, Aviendha dut reculer de quelques pas, mais elle continua à lutter.

Une autre colonne d’eau s’abattit sur le manoir, explosant au contact des flammes. Ajoutée à la sienne, cette ponction avait presque dévié le cours du ruisseau.

Plissant les yeux, Aviendha devina que cette colonne avait été contrôlée par des tissages invisibles pour elle. En revanche, elle distingua la silhouette qui se tenait derrière une fenêtre du second niveau, une main tendue.

Naeff, un des Asha’man de Rand ! Connu pour être très puissant quand il s’agissait de tisser de l’Air.

Le feu se dissipait, ne laissant que le monticule noir d’où montait encore une formidable chaleur. Autour, le mur et le couloir n’étaient plus qu’un trou noir et fumant.

Le ruisseau ayant repris son cours, Aviendha recommença à puiser de l’eau et à la jeter sur la masse carbonisée. Hélas, ses forces ne tarderaient pas à la quitter. Pour déplacer tant de liquide, elle avait dû aller jusqu’à ses limites. Au-delà, ce serait un suicide.

Par bonheur, l’eau cessa de s’évaporer. Aviendha diminua son flot, puis elle cessa de puiser dans le ruisseau. Autour d’elle, le sol désormais boueux n’était plus qu’un mélange de cendres et de terre. Dans le ruisseau, des morceaux de bois carbonisé dérivaient lentement et les trous, aux endroits où Aviendha avaient arraché des « projectiles », s’étaient transformés en petites mares.

L’Aielle avança prudemment pour inspecter le monticule noir qui était un homme quelques minutes plus tôt. Très sombre et parfaitement lisse, comme de l’obsidienne, il luisait d’humidité. Ramassant un morceau de bois brûlé arraché à la porte par sa lance d’incendie improvisée, Aviendha tapota l’étrange masse, qui se révéla dure comme de la pierre.

— Que la Lumière te brûle ! cria une voix familière.

Levant les yeux, Aviendha vit que Rand al’Thor se tenait au bord du trou béant qu’était devenue l’entrée du manoir. Les yeux levés, il montrait le poing au ciel.

— C’est moi que tu veux ! Ta guerre, tu l’auras bientôt, ne t’inquiète pas !

— Rand…, souffla Aviendha, troublée.

Dans le camp, des soldats allaient et venaient, inquiets comme s’ils s’attendaient à une attaque. À l’intérieur du manoir, des serviteurs sortaient des pièces, l’air hagard.

L’incendie n’avait pas duré plus de cinq minutes.

— Je t’arrêterai ! cria le Dragon Réincarné, faisant sursauter les militaires comme les domestiques. Tu m’entends ? Je suis en route pour t’affronter ! Ne gaspille pas ta puissance. Contre moi, tu en auras besoin.