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Sleete attaqua, sa lame fondant sur Gawyn à la vitesse de l’éclair. La Vipère qui Darde sa Langue, une figure simple et hardie, d’autant plus efficace que Sleete ferraillait en tandem avec le petit homme mince qui tentait de déborder Gawyn par la gauche.

Marlesh était le seul autre Champion présent à Dorlan. Son arrivée, il fallait le noter, avait été bien moins spectaculaire que celle de son homologue. Accompagnant les onze Aes Sedai qui avaient pu fuir les puits de Dumai, il était resté avec elles tout du long.

Dans un coin de la grange, la jolie Domani Vasha, son Aes Sedai, regardait distraitement le combat.

Gawyn para la Vipère qui Darde sa Langue avec un Chat qui Danse sur le Mur. Une défense et une riposte, puisqu’il visa dans la foulée les jambes du Champion.

Un coup qui n’était pas conçu pour faire mouche, cependant. En réalité, c’était une diversion, histoire de pouvoir garder un œil sur ses deux adversaires.

Marlesh tenta une Caresse du Léopard, mais Gawyn lui opposa un Plier l’Air qui dévia l’attaque et le mit en position pour faire face à celle de Sleete – l’escrimeur le plus dangereux des deux.

Sleete ne se précipita pas. Reculant jusqu’à s’adosser à un tas de ballots de paille, il se remit en garde.

Face au Colibri qui Embrasse la Rose de Miel, Gawyn répliqua par un Chat sur du Sable Chaud. Pour une attaque de ce type, le Colibri n’était pas la bonne figure. En fait, on y recourait rarement face à un défenseur, mais Marlesh semblait en avoir assez que les parades succèdent aux parades. Il perdait son calme, et Gawyn pouvait en tirer parti.

Ce qu’il ne manquerait pas de faire.

Sleete revint à la charge. Face à deux attaquants, Gawyn se mit en garde puis exécuta sans tarder une Fleur de Pommier dans la Brise. Sa lame zébra l’air trois fois, repoussant Marlesh, qui n’en crut pas ses yeux. Jurant de rage, il repartit en avant, mais Gawyn enchaîna aussitôt par un Secouer la Rosée de la Branche aussi brillant qu’inattendu.

Avançant, il décocha six coups secs et précis – trois pour chacun de ses adversaires. Déséquilibré parce qu’il n’avait pas pris le temps d’assurer ses appuis, Marlesh bascula en arrière et s’étala dans la poussière. Sa lame déviée deux fois, Sleete ne put jamais la lever de nouveau, parce que celle de Gawyn vint se plaquer sur son cou.

Les deux Champions regardèrent leur vainqueur avec des yeux ronds. C’était devenu un rituel, quand Gawyn les battait. Porteur d’une épée au héron, Sleete était une légende de l’escrime à la Tour Blanche. À l’époque où Lan Mandragoran s’entraînait encore avec ses pairs, racontait-on, Sleete avait réussi à remporter deux passes d’armes sur sept. Moins réputé que son compagnon, Marlesh, compétent et bien préparé, n’avait rien d’un adversaire facile.

Mais Gawyn avait encore gagné. Quand il s’entraînait, tout semblait si simple. Comme des baies pressées afin d’en tirer du jus, le monde se compactait pour devenir une entité facile à évaluer d’un seul coup d’œil.

De tout temps, Gawyn avait eu pour objectif de protéger Elayne et le royaume d’Andor. Et, peut-être, de ressembler un peu plus à Galad…

Pourquoi la vie n’était-elle pas aussi simple qu’une séance d’escrime ? Des adversaires nettement identifiés – et en face de soi, pas cachés dans les ombres… Et un trophée évident, la survie.

Quand des hommes ferraillaient, ils communiquaient. À force d’échanger des coups, on devenait des frères.

Gawyn éloigna sa lame du cou de Sleete et la rengaina. Puis il tendit une main à Marlesh et l’aida à se relever.

— Tu es hors du commun, Gawyn Trakand. Une créature de lumière, de couleur et d’ombre, dès que tu te déplaces. Face à toi, j’ai l’impression d’être un gosse armé d’un bâton.

Alors qu’il rengainait sa lame, Sleete ne desserra pas les dents, mais il salua son adversaire de la tête – le même signe de respect que les deux fois précédentes. Par nature, il n’était pas expansif, et Gawyn lui en savait gré.

Les trois hommes se dirigèrent vers le coin de la grange où les attendait un tonneau à demi rempli d’eau. Un des Jeunes Gardes, Corbet, y trempa une louche et la tendit à son chef.

Gawyn la fit passer à Sleete.

Le Champion miraculé hocha de nouveau la tête avant de boire. Prenant un gobelet sur le rebord poussiéreux d’une fenêtre, Marlesh se servit aussi et se désaltéra.

— Je te le dis, Trakand, fit-il ensuite, il faut que nous te trouvions une lame avec un héron dessus. Aucun adversaire ne devrait avoir à t’affronter sans savoir à quoi il s’expose.

— Je ne suis pas un maître de la lame, dit Gawyn en acceptant la louche que Sleete lui tendait.

Il but l’eau à température ambiante et se félicita qu’elle le soit. Glacée, elle vous flanquait parfois un choc…

— Tu as tué Hammar, pas vrai ? insista Marlesh.

Gawyn hésita. La limpidité du monde qu’il appréciait tant lorsqu’il combattait se dissipait déjà.

— Oui.

— Dans ce cas, tu es un maître de la lame ! Tu aurais dû prendre son épée, quand il l’a lâchée.

— Ce n’aurait pas été respectueux. Et je n’avais pas le temps d’emporter un souvenir.

Marlesh s’esclaffa alors que Gawyn n’avait pas eu l’intention de plaisanter. Du coin de l’œil, il regarda Sleete, qui l’observait sans cacher sa curiosité.

Un bruissement de jupe annonça l’approche de Vasha. Ses longs cheveux très noirs, la sœur verte avait des yeux d’émeraude qui faisaient parfois penser à ceux d’une tigresse.

— Tu as fini de t’amuser, Marlesh ? demanda-t-elle, son accent domani à peine perceptible.

Le Champion ricana.

— Tu devrais être heureuse de me voir m’amuser, Vasha. Si ma mémoire est bonne, mes petits jeux t’ont sauvé la mise une ou deux fois, sur le champ de bataille.

La sœur soupira et arqua un sourcil. Gawyn avait rarement vu une Aes Sedai et son Champion entretenir une relation si familière.

— Suis-moi, dit Vasha en pivotant sur elle-même. (Elle se dirigea vers la sortie de la grange.) Je veux voir ce qui a retenu Narenwin et les autres si longtemps à l’intérieur.

Marlesh haussa les épaules et lança son gobelet à Corbet.

— Quoi qu’ils aient décidé, j’espère que ça impliquera de filer d’ici. Je déteste croupir dans ce village avec des soldats qui nous tournent autour. Si la tension augmente encore, dans le camp, je finirai par filer et me joindre à une caravane de Zingari.

Gawyn approuva du chef. Des semaines s’étaient écoulées depuis qu’il avait osé envoyer ses hommes en maraude pour la dernière fois. Les patrouilles de Bryne approchaient de plus en plus du village, et ça incitait ses proies à s’y confiner.

Vasha était déjà sortie, ce qui n’empêcha pas Gawyn de l’entendre lancer :

— Tu parles comme un gamin, parfois.

Haussant de nouveau les épaules, Marlesh fit un petit signe à Gawyn et à Sleete avant de sortir à son tour.

Gawyn secoua la tête, plongea la louche dans l’eau et but.

— Ces deux-là me font parfois penser à un frère et sa sœur.

Sleete sourit.

Gawyn posa la louche, salua Corbet, et se prépara à partir. Ce soir, il voulait assister au dîner des Jeunes Gardes et s’assurer que tout le monde mangerait. Parmi les plus jeunes gars, certains avaient tendance à s’entraîner au lieu de se restaurer.

Alors qu’il allait s’éloigner, Sleete le retint par un bras. Très surpris, il se retourna et regarda l’escrimeur.

— Hattori n’a qu’un seul Champion, dit Sleete de sa voix douce.

— Même pour une sœur verte, ça n’a rien d’extraordinaire.

— Elle n’est pas opposée à l’idée d’en avoir plus… Il y a des années, quand elle m’a lié, elle n’a pas fait de mystère : elle voulait bien en prendre un autre, à condition que j’estime le candidat digne d’intérêt. En fait, elle m’a demandé d’en chercher un. Les détails de ce genre ne l’intéressent pas, tant elle a mieux à faire.