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Amys siffla entre ses dents. Shaido ou non, que des Aielles deviennent des damane était une grave injure. Surtout si les Seanchaniens traitaient leurs captives comme des bêtes de foire. La main de la Matriarche vola vers son couteau.

— Qu’en dis-tu à présent ? demanda-t-elle à Aviendha.

— La même chose qu’avant, Matriarche, même si je préférerais presque me couper la langue que le proclamer à voix haute.

Amys regarda de nouveau Corana.

— Ne crois pas que nous ignorerons cet outrage. La vengeance viendra. Dès que cette guerre sera finie, les Seanchaniens connaîtront la fureur de nos flèches et la rage de nos lances. Mais pas avant. Va dire aux deux chefs de tribu que tu m’as fait ton rapport.

Corana s’en alla. Pour le toh, elle verrait plus tard, en tête à tête avec Amys.

Damer Flinn et les autres avaient déjà atteint le manoir. Allaient-ils réveiller Rand ? Car il dormait à présent. Aviendha le sentait à travers le lien, désormais rétabli. Plus tôt dans la soirée, elle l’avait neutralisé de peur de capter des… sensations qu’elle préférait fuir. En tout cas quand elles étaient de… seconde main.

— Il y aura de furieux débats parmi les guerriers, fit Amys, pensive. Certains exigeront qu’on attaque et que le Car’a’carn renonce à ses projets pacifiques.

— S’il refuse, combien d’Aiels resteront avec lui ?

— Tous, répondit Amys. Leur honneur ne leur laissera pas le choix. Le temps presse, mon enfant. Le moment est peut-être venu de cesser de te bichonner. Dès demain, je t’infligerai de bien meilleures punitions.

Me bichonner ? songea Aviendha en regardant Amys s’éloigner. Elle ne peut quand même pas trouver des tortures plus absurdes et plus humiliantes ?

Très tôt, Aviendha avait appris à ne pas sous-estimer Amys. Eh bien ça promettait…

16

À la Tour Blanche

— Je suis curieuse d’entendre la novice. Dis-moi, Egwene al’Vere, comment aurais-tu géré cette situation ?

Egwene leva les yeux de l’assiette où elle disposait le résultat de ses efforts. Un casse-noix à la main, elle s’apprêtait à briser un fruit prometteur.

C’était la première fois qu’une des sœurs s’adressait à elle. À force, elle avait commencé à craindre que servir les trois Aes Sedai blanches se révèle une perte de temps, comme d’habitude.

Le cadre, cet après-midi, était un petit balcon du troisième niveau de la tour. Si ça leur chantait, les représentantes pouvaient exiger une chambre ainsi équipée. Pour les sœurs lambda, c’était un privilège rarissime.

Ce balcon-là imitait la forme d’une tour de garde. Assez spacieux, pour un usage ludique, il offrait une vue splendide sur les collines qui s’étendaient à l’est jusqu’à la Dague de Fléau de sa Lignée. Par une journée dégagée, la Dague elle-même aurait été visible.

À cette altitude, la brise qui balayait le balcon était piquante et ne charriait pas les miasmes de la ville.

De chaque côté du balcon, un plan de lierre grimpant lui donnait des allures de ruine abandonnée au cœur d’une obscure forêt.

Dans les appartements d’une sœur blanche, le lierre semblait un ornement surprenant, en tout cas selon ce que savait Egwene. Mais Ferane était connue pour son atypisme et son goût de l’esbroufe. Sans nul doute, elle se rengorgeait de l’originalité de son balcon – même si le règlement lui imposait de tailler strictement sa verdure, pour qu’elle ne fasse pas tache sur la surface immaculée et brillante de la tour.

Autour d’une table basse, les trois sœurs se prélassaient dans des fauteuils en osier. Tandis qu’Egwene ouvrait des noix, elles lui bloquaient la vue.

Une foule de servantes ou de filles de cuisine aurait pu s’acquitter de la corvée de noix. Pour qu’elles n’aient pas le temps de se tourner les pouces, c’était le genre de « mission » que les sœurs confiaient volontiers aux novices.

Au début, Egwene avait pensé que les noix n’étaient qu’un prétexte. Après avoir été ignorée pendant une heure, elle avait eu des doutes. Mais à présent, les trois Aes Sedai la regardaient. Elle n’aurait pas dû se méfier de son instinct.

Dotée de la peau cuivrée d’une Domani – et du tempérament qui allait avec –, Ferane était effectivement une sœur blanche atypique. Petite, le visage en forme de poire, elle arborait de beaux cheveux noir brillant. Bien que vaporeuse, sa robe auburn restait décente, et une ceinture blanche faisait le pendant de son châle, qu’elle portait même en petit comité. La robe ne manquait pas de broderies, et le tissu, peut-être délibérément, revendiquait ses origines domani.

Les deux autres sœurs, Miyasi et Tesan, portaient du blanc, comme si elles craignaient de trahir leur Ajah en optant pour une autre couleur. Parmi les Aes Sedai, cette idée devenait de plus en plus fréquente.

En digne Tarabonaise, Tesan portait ses cheveux nattés, des perles blanches et or soulignant un peu trop la longueur de son visage, à croire qu’on avait passé dessus un rouleau à pâtisserie. À toute heure du jour ou de la nuit, cette femme semblait angoissée par quelque chose. Ces derniers temps, on pouvait la comprendre, parce qu’il y avait de quoi s’inquiéter.

Sous son chignon de cheveux gris, Miyasi était bien plus placide. Sur son visage d’Aes Sedai, on ne voyait pas traces des ans qui s’étaient accumulés sur elle, faisant grisonner sa crinière. Grande mais pas mince, elle avait des exigences particulières en matière de noix. Pas de fragments, uniquement deux moitiés bien nettes.

Egwene triait soigneusement le résultat de ses efforts, lui tendant des demi-noix qui évoquaient irrésistiblement le petit cerveau tout ridé de quelque minuscule animal.

— Que veux-tu me demander, Ferane ? fit Egwene en craquant une autre noix dont elle jeta la coquille dans un seau, à ses pieds.

Ferane réagit à peine devant l’impertinence de la novice. À la tour, tout le monde s’était habitué au comportement très inhabituel de cette fille, qui restait rarement à sa place.

— Je voudrais savoir ce que tu ferais si tu étais la Chaire d’Amyrlin. Considère que ça fait partie de ta formation. Tu sais que le Dragon s’est réincarné et que la tour doit le contrôler en vue de l’Ultime Bataille. Comment t’y prendrais-tu ?

Une étrange question. Surtout dans le cadre d’une formation. Mais au ton de Ferane, ça ne ressemblait pas non plus à une manière indirecte de contester Elaida. Pour ça, elle exprimait trop de mépris envers Egwene.

Les deux autres Aes Sedai ne dirent rien. Ferane étant une représentante, elles la laissaient agir à sa guise.

Elle sait que je parle souvent du fiasco d’Elaida avec Rand, pensa Egwene en sondant les yeux noirs de Ferane. Donc, elle me met à l’épreuve…

Il allait falloir être très prudente.

Egwene saisit une nouvelle noix.

— Pour commencer, j’enverrais un groupe de sœurs dans son village natal.

— Pour intimider ses proches ? demanda Ferane.

— Bien sûr que non ! Pour les interroger et découvrir qui est vraiment le Dragon Réincarné. Un type au sang chaud ? Un passionné ? Ou un homme calme et prudent ? Était-il du genre à rester seul dans les champs ou se faisait-il facilement des amis ? Est-il plus probable de le trouver dans une taverne ou dans un atelier ?

— Mais toi, tu le connais, intervint Tesan.

— C’est vrai, admit Egwene en craquant sa noix. Mais nous évoquons une situation théorique.

Cela dit, dans le monde réel, je connais intimement le Dragon Réincarné. Mieux que quiconque dans cette tour.