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Un éclair rouge traversa soudain la cuisine. Vêtue d’une robe écarlate ourlée de fil d’or, Katerine se campa devant la prisonnière. Le front plissé et les lèvres pincées, avait-elle vu Laras et Egwene sortir du garde-manger ?

La cuisinière se pétrifia.

— J’ai compris ce que je faisais de travers, dit Egwene en lorgnant une autre cheminée, très proche du garde-manger. Merci pour la démonstration. Je serai plus attentive, désormais.

— J’y veillerai, fit Laras, entrant dans le jeu. Sinon, tu verras ce qu’est une véritable punition. Pas comme les caresses que distribue cette poule mouillée de Maîtresse des Novices. Et à présent, au boulot !

Egwene acquiesça et fila vers sa cheminée, mais Katerine leva une main pour la retenir.

La prisonnière crut que ses jambes allaient se dérober.

— Plus de ramonage, lâcha Katerine. La Chaire d’Amyrlin ordonne que cette novice la serve à table, ce soir. Je lui ai dit qu’un seul jour de travail ne briserait pas une entêtée pareille, mais elle a insisté. Tu vas avoir une première occasion de faire montre d’humilité, ma fille. Je te conseille de la saisir.

Egwene baissa les yeux sur sa robe tachée et ses mains noires de suie.

— File te préparer ! rugit Katerine. La Chaire d’Amyrlin déteste attendre !

Se débarbouiller se révéla presque aussi difficile que de ramoner la cheminée. À croire que les fibres de la peau d’Egwene étaient aussi souillées que celles de la robe.

Pour se rendre présentable, la prisonnière dut se récurer pendant plus d’une heure dans une baignoire d’eau tiède. À force de gratter, ses ongles étaient tout ébréchés et ses cheveux, lavés plusieurs fois, rendaient toujours une eau noire de suie.

Malgré tout, Egwene apprécia cette occasion de se baigner. Depuis sa capture, elle avait tout juste le temps de se décrasser.

En trempant, elle réfléchit à la suite de son plan.

Ayant refusé de s’enfuir, elle allait devoir agir sur les seules Aes Sedai qu’elle verrait, à savoir Elaida et ses complices rouges. Mais finiraient-elles par reconnaître leurs erreurs ? Si ça n’avait tenu qu’à elle, Egwene les aurait expédiées dans une ferme, pour en être débarrassée.

Mais ça n’aurait pas été… correct. En tant que Chaire d’Amyrlin, elle représentait tous les Ajah, y compris le Rouge. Pas question de faire ce qu’Elaida avait infligé au Bleu. Les sœurs rouges étaient ses pires adversaires, certes, mais ça compliquait seulement le défi. Avec Silviana, elle faisait quelques progrès, et Lirene Doirellin avait un jour reconnu qu’Elaida n’était pas exempte de reproches.

Les sœurs rouges ne seraient peut-être pas les seules qu’elle pourrait influencer. Dans les couloirs, elle rencontrerait des Aes Sedai de toutes les obédiences. Si une de ces femmes lui parlait, les harpies ne pourraient pas la tirer par les cheveux. Elles devraient y mettre les formes, et ça lui laisserait une chance de continuer à communiquer avec les autres sœurs.

Mais comment traiter Elaida elle-même ? Était-il avisé de la laisser croire que sa proie était presque domestiquée ? Ou était-il l’heure de se rebeller ?

Après son bain, Egwene se sentit beaucoup plus propre… et nettement plus confiante. Sa guerre avait tourné plus mal que prévu, mais elle n’était pas encore vaincue.

Après s’être rapidement brossé les cheveux, elle enfila une robe propre – un vrai bonheur – et sortit pour retrouver ses harpies.

Les sœurs rouges l’escortèrent jusqu’aux appartements d’Elaida. Croisant plusieurs groupes de sœurs, Egwene s’efforça de marcher le dos bien droit, histoire de les impressionner.

Ses geôlières lui firent traverser les quartiers de l’Ajah Rouge, qui grouillaient de serviteurs et d’Aes Sedai. Ici, bien entendu, pas l’ombre d’un Champion. Une expérience étrange pour Egwene, puisqu’il y en avait dans tous les autres secteurs de la tour.

Après une très longue ascension, le trio arriva devant la porte de la dirigeante. D’instinct, Egwene tira sur le devant de sa robe. En chemin, elle avait décidé d’être silencieuse face à Elaida, comme la fois précédente. L’aiguillonner lui aurait juste valu plus de brimades et de restrictions. Si elle n’avait pas l’intention de se rabaisser, il n’était pas question non plus d’insulter l’usurpatrice. Et que celle-ci en pense ce qu’elle voudrait.

Une servante ouvrit la porte puis conduisit Egwene dans la salle à manger, où elle fut stupéfiée par ce qu’elle découvrit. Alors qu’elle s’attendait à servir la seule Elaida – peut-être en compagnie de Meidani –, la pièce était pleine d’invitées. Cinq femmes en tout, une par Ajah, à l’exception du Bleu et du Rouge. Et cinq représentantes, par-dessus le marché.

Yukiri et Doesine, deux membres du groupe anti-Ajah Noir, étaient là en compagnie de Ferane, qui sembla surprise de voir Egwene. L’Ajah Blanc n’avait-il pas été informé de ce dîner, ou la sœur n’avait-elle pas jugé bon d’en parler ?

Rubinde, de l’Ajah Vert, était assise à côté de Shevan, qui appartenait au Marron. Cette sœur, Egwene aurait voulu la contacter, car elle comptait parmi les partisanes des pourparlers avec les « renégates ». Avec un peu de chance, elle pourrait être convaincue de travailler à la réunification de la Tour Blanche.

Pourquoi n’y avait-il pas d’invitée rouge ? Parce que toutes les représentantes de cet Ajah étaient en mission ? Ou parce que Elaida – une grossière erreur de sa part – estimait qu’elle représentait cet Ajah ?

Sur la longue table, les coupes de cristal reflétaient la lumière des lampes de bronze accrochées le long des murs couleur rouille.

Ce soir, chaque femme portait une très belle robe à la couleur de son Ajah. Des odeurs succulentes planaient dans l’air – de la viande grillée, sûrement, et des carottes à la vapeur…

Les Aes Sedai conversaient – amicalement, en apparence, mais le cœur n’y était pas. Aucune des invitées n’avait envie d’être là.

Dès qu’elle aperçut Egwene, Doesine la salua de la tête – presque avec respect. L’indice de quelque chose…

« Je suis venue parce que tu affirmes que ces réunions sont importantes », semblait vouloir dire la sœur.

En robe rouge à manches longues, des grenats ornant les poignets, Elaida trônait en bout de table, un sourire satisfait sur les lèvres.

Des domestiques s’affairaient déjà, apportant les entrées et remplissant les coupes.

Pourquoi Elaida avait-elle organisé un dîner des représentantes ? Pour recoller les morceaux épars de la tour ? Egwene l’avait-elle mal jugée ?

— Te voilà enfin, ma fille, dit l’usurpatrice quand elle aperçut la prisonnière. Approche.

Egwene obéit tandis que les autres représentantes prenaient conscience de sa présence. Toutes en parurent troublées ou intriguées.

En marchant, Egwene comprit soudain quelque chose. Cette soirée risquait de mettre à bas tout ce qu’elle avait fait jusque-là.

Si les sœurs la voyaient s’aplatir devant Elaida, elle perdrait aussitôt toute crédibilité à leurs yeux. L’usurpatrice clamait qu’elle était brisée, mais elle avait prouvé le contraire. Si elle pliait ce soir, même très peu, ça gâcherait tous ses efforts.

Que la lumière brûle Elaida ! Pourquoi avait-elle invité une bonne partie des sœurs dont Egwene avait réussi à infléchir la position ? S’agissait-il d’un hasard ?

Quand la prisonnière eut rejoint Elaida, en bout de table, une servante lui tendit une carafe de vin rouge.

— Tu devras entretenir le niveau de ma coupe, annonça Elaida. Reste ici, mais ne t’approche pas trop. Je préfère ne pas sentir l’odeur de suie que tu te trimballes, depuis ta punition de cet après-midi.

Egwene serra les dents. Une odeur de suie ? Après une heure à se récurer ? Peu probable, ça. Du coin de l’œil, elle vit la jubilation d’Elaida, tandis qu’elle goûtait son vin. Puis elle se tourna vers Shevan, assise sur sa droite.