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Elle se retourna… et se pétrifia en découvrant qu’Egwene la regardait, parfaitement calme.

L’usurpatrice frappa de nouveau. Toutes les sœurs virent les tissages et purent constater qu’Egwene ne criait pas, alors qu’aucun bâillon d’Air ne l’en empêchait. Les bras en sang, rouée de coups, elle ne voyait aucune raison de hurler.

Intérieurement, elle remercia les Matriarches de l’avoir fait bénéficier de leur sagesse.

— Et que m’arrive-t-il, Elaida ? lança-t-elle, ironique.

La correction continua, terriblement douloureuse. Egwene en eut les larmes aux yeux, mais elle avait connu pire. Bien pire, même. En matière de souffrance, rien n’égalait les moments où elle pensait aux torts que cette femme faisait à une institution qu’elle chérissait.

Le pire, ce soir, c’était le spectacle qu’Elaida offrait aux représentantes.

— Par la Lumière…, souffla Rubinde.

— J’aimerais ne pas avoir besoin d’être ici, Elaida, dit Egwene. Si la tour avait une grande Chaire d’Amyrlin, ce serait le cas. Alors, je pourrais m’écarter et accepter ton autorité. Je voudrais vraiment que tu le mérites. Tu sais quoi ? J’accepterais une exécution, si je laissais derrière moi une dirigeante compétente. La Tour Blanche est bien plus importante que moi. En dirais-tu autant de toi ?

— Tu veux une exécution ? brailla Elaida. Eh bien, tu ne l’auras pas. Pour un Suppôt tel que toi, la mort est un châtiment bien trop doux. Je te regarderai encaisser des coups – tout le monde te verra – jusqu’à ce que je me lasse de ce spectacle. Après, tu crèveras !

Elaida se tourna vers les domestiques plaquées peureusement contre les murs.

— Allez chercher des gardes ! Je veux qu’on jette cette créature dans la plus petite et la plus sombre cellule de la tour. Partout en ville, qu’il soit proclamé qu’Egwene al’Vere est un Suppôt des Ténèbres et qu’elle a refusé la grâce de la Chaire d’Amyrlin.

Les servantes obéirent prestement.

Les coups continuèrent à pleuvoir, mais Egwene ne les sentait presque plus. Ayant perdu beaucoup de sang – surtout à cause de son bras gauche, salement amoché –, elle se sentait partir…

Comme elle le redoutait, on en était arrivé au point de non-retour. Et son sort était scellé.

Mais elle ne s’inquiétait pas pour sa vie. L’important, c’était la Tour Blanche, plus menacée que jamais…

Alors qu’elle s’adossait au mur, au bord de l’inconscience, une extraordinaire tristesse la submergea.

D’une manière ou d’une autre, sa bataille à l’intérieur de la tour était terminée.

17

Une affaire de contrôle

— Tu devrais être plus prudente, dit Sarene dans la salle d’interrogatoire. Nous avons une grande influence sur la Chaire d’Amyrlin. Si tu coopérais, on pourrait la convaincre de te punir moins sévèrement.

Assise sur un siège confortable, dans le couloir, Cadsuane entendit nettement le grognement dédaigneux de Semirhage.

Dans le corridor aux cloisons de bois, la légende contemplait le tapis des plus ordinaires en sirotant une infusion.

Elle n’était pas seule, puisque Daigian, Erian et Elza avaient pour mission de maintenir le bouclier qui neutralisait la Rejetée. À part Cadsuane elle-même, toutes les Aes Sedai s’y collaient à tour de rôle. Face à un tel danger, il aurait été suicidaire de confier cette tâche uniquement à des sœurs de second rang. Le bouclier devait être puissant. Si Semirhage se libérait, la Lumière seule savait ce qui se passerait.

Tout à fait à l’aise, la légende continua à savourer son infusion. En plus des sœurs qu’elle avait sélectionnées, le fichu garçon insistait pour que « ses » Aes Sedai puissent interroger Semirhage. Une timide tentative pour asseoir son autorité ? La conviction sincère que ces femmes pouvaient réussir là où Cadsuane avait échoué – jusque-là, en tout cas ?

La légende n’aurait su le dire. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, c’était Sarene qui menait le jeu. Délicate et très modeste, la Tarabonaise ne semblait pas consciente qu’elle était une des plus jolies femmes à avoir reçu le châle depuis des années. Cette déconnexion d’avec la réalité n’avait rien de surprenant, puisque les sœurs blanches se montraient souvent aussi « décalées » que les marron.

En outre, Sarene ignorait que Cadsuane suivait l’interrogatoire grâce à un tissage d’Air et de Feu. Un « truc » assez simple, souvent maîtrisé par des novices. Combinée à la nouvelle découverte – comment inverser ses flux –, l’astuce permettait à la légende d’espionner sans que quiconque, dans la pièce, ait conscience de sa présence.

Les sœurs qui maintenaient le bouclier savaient ce qu’elle faisait, bien entendu. Mais aucune ne se serait permis un commentaire. Même si deux d’entre elles – Elza et Erian – appartenaient à la bande d’idiotes qui avait juré fidélité au garçon, en présence de Cadsuane, elles gardaient profil bas. Sans doute parce qu’elles devinaient comment leur consœur les voyait.

Des imbéciles heureuses ! Parfois, il semblait que la moitié des alliées de la légende s’évertuaient à lui mettre des bâtons dans les roues.

Dans la salle, Sarene continuait la séance. Désormais, presque toutes les sœurs présentes au manoir avaient pu s’y essayer. Qu’elles soient vertes, blanches, jaunes ou marron, toutes avaient échoué.

Cadsuane, elle, ne s’y était pas encore collée directement.

Les autres sœurs la regardaient quasiment comme un mythe, et elle ne faisait rien pour les décourager. À une époque, elle était restée loin de la Tour Blanche – pendant assez longtemps pour qu’on la croie morte. Puis sa réapparition avait fait du bruit. Parce que c’était nécessaire et parce que chaque homme capturé faisait un bien fou à sa réputation, elle était partie à la chasse aux faux Dragons.

Son labeur ne visait qu’un objectif : les derniers jours ! Que la Lumière l’aveugle si elle laissait ce maudit garçon saboter tous ses efforts.

Pour cacher son air maussade, Cadsuane prit une nouvelle gorgée d’infusion. Fil après fil, elle perdait le contrôle de la situation. Naguère, les querelles qui faisaient rage à la Tour Blanche – un véritable drame – auraient retenu toute son attention. Là, elle ne pouvait pas leur accorder une minute. La Création elle-même se délitait. Sa seule option, pour s’y opposer, restait de se concentrer sur al’Thor.

Mais chaque fois qu’elle tentait de l’aider, il se dérobait. Lentement, il devenait un homme dur comme la pierre à l’intérieur et incapable d’évoluer ou de s’adapter. Une statue dépourvue de sentiments ne pèserait pas lourd face au Ténébreux.

Maudit gamin ! Et maintenant, c’était au tour de Semirhage de défier la légende !

Cadsuane brûlait d’envie d’entrer pour affronter la Rejetée. Mais Merise avait posé les questions qu’elle aurait posées – sans le moindre résultat. Si elle se montrait aussi impuissante que les autres, que deviendrait la réputation de Cadsuane ?

Sarene reprit la parole :

— Les Aes Sedai, tu ne devrais pas les traiter comme ça.

— Les Aes Sedai ? répéta Semirhage, caustique. N’avez-vous pas honte d’utiliser ces deux mots pour vous décrire ? Comme un chiot qui se prendrait pour un loup…

— Nous ne savons peut-être pas tout, je l’admets, pourtant…

— Vous ne savez rien ! Des enfants qui s’amusent avec les jouets de leurs parents.

Cadsuane tapota sa tasse du bout d’un index. Pas pour la première fois, elle était frappée par d’évidentes ressemblances entre la Rejetée et elle. Et comme toujours, cette constatation la troublait.

Du coin de l’œil, elle vit dans l’escalier une servante à la taille de guêpe approcher avec une assiette fumante de haricots et de radis. Le déjeuner de la prisonnière… Il était déjà si tard ? Trois heures d’interrogatoire, et tout ça pour tourner en rond ?