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Le saluer, lui ? Avaient-ils oublié que Perrin était l’un des leurs ? Qu’il avait grandi avec eux ? Le temps où Jori se moquait de sa lenteur d’élocution était-il si loin que ça ? Et l’époque où ce même Jori passait à la forge pour se vanter d’avoir volé un baiser à une nouvelle fille ?

Perrin se contenta d’un salut de la tête. À quoi bon remuer le passé, alors que la fidélité de tous ces gars à « Perrin Yeux-Jaunes » l’avait grandement aidé à sauver Faile ?

Quand il les eut dépassés, les oreilles hyperpuissantes de Perrin lui permirent d’entendre ce que disaient les deux gars. Des anecdotes au sujet de la bataille… Avec la liste de leurs exploits.

L’un des deux empestait encore le sang. Normal, car il n’avait pas encore nettoyé ses bottes. Sans doute parce qu’il n’avait pas remarqué qu’elles étaient tachées de sang.

Parfois, Perrin se demandait si ses sens étaient vraiment supérieurs à ceux des autres. En fait, il prenait le temps de bien examiner des choses que les gens ignoraient. Mais comment pouvaient-ils ne pas sentir cette odeur de sang, justement ?

L’air des montagnes, du côté nord, embaumait comme celui de la maison. Pourtant, ils étaient à des lieues de Deux-Rivières.

Si les autres hommes avaient pris le temps de fermer les yeux et de se concentrer, n’auraient-ils pas pu sentir la même chose que lui ? Et s’ils levaient les paupières et regardaient pour de bon le monde, n’auraient-ils pas des yeux aussi perçants que les siens ?

Non, il délirait. Ses sens étaient bien meilleurs, parce que s’être rapproché des loups l’avait changé à jamais.

Ces derniers temps, il n’avait pas beaucoup pensé à ses frères de chasse. Trop occupé par Faile pour ça. Mais il apprenait peu à peu à être moins susceptible au sujet de ses yeux. Ils faisaient partie de lui, alors, pourquoi perdre son temps à se plaindre ?

Pourtant, cette fureur qu’il éprouvait au combat… Une totale perte de contrôle qui l’inquiétait de plus en plus. La première fois qu’il avait ressenti ça, c’était une certaine nuit, très ancienne, où il avait affronté des Capes Blanches.

Un moment, il avait été incapable de dire s’il était un homme ou un loup.

Et voilà qu’une nuit, pendant une visite dans le Rêve des loups, il avait essayé de tuer Sauteur. Dans ce songe-là, toute mort était définitive. Mais à cette occasion, Perrin avait failli se perdre dans le Rêve.

Hanté par ses vieilles peurs réveillées après qu’il les eut pendant si longtemps repoussées… Les angoisses d’un homme, mais qui se comportait comme un loup en cage…

En approchant de sa tente, le jeune seigneur prit enfin plusieurs décisions. Acharné à retrouver Faile, il avait négligé le monde du Rêve et fui toutes ses responsabilités. En clamant que rien d’autre n’importait, mais la vérité était beaucoup plus complexe. Bien sûr, s’il s’était focalisé sur Faile, c’était par amour. Mais en plus, ça l’avait bien arrangé. Ainsi, pas besoin de réfléchir à son malaise à l’idée de commander, ni de s’interroger sur la trêve fragile qu’avaient signée en lui l’être humain et le loup.

Aujourd’hui, il avait sauvé Faile, mais tant de choses clochaient encore. Sans nul doute, les réponses se trouvaient dans ses rêves.

Il était temps d’y retourner.

18

Un message délivré à la hâte

Son panier de linge sale calé contre une hanche, Siuan se pétrifia à l’instant même où elle entra dans le camp des Aes Sedai. Cette fois, c’était son propre linge, car elle avait compris que rien ne l’obligeait à faire sa lessive en plus de celle de Bryne. Pourquoi ne pas confier la sienne à quelques novices ? Au camp, ce n’était pas ce qui manquait, ces derniers temps.

Et ces filles grouillaient autour du pavillon dressé au milieu du camp. Serrées comme des sardines, elles formaient une muraille blanche surmontée par des têtes de toutes les couleurs et des cheveux de toutes les teintes. Aucune réunion ordinaire du Hall n’aurait attiré tant de monde. Il se passait quelque chose d’important.

Siuan posa son panier sur une souche puis étendit une serviette dessus. Même s’il n’avait pas plu depuis une semaine – n’était le crachin habituel –, elle se méfiait de ce ciel. Ne jamais faire confiance à un ciel de capitaine des quais. Une devise vitale. Y compris quand l’enjeu était seulement du linge encore sale.

Traversant la « rue » boueuse, Siuan grimpa sur un des trottoirs en bois qui grinça et tangua pendant qu’elle se ruait vers le pavillon. Depuis peu, on parlait de remplacer les trottoirs par des équipements plus durables – peut-être même des pavés, et tant pis pour la dépense.

Très vite, l’ancienne Chaire d’Amyrlin atteignit la lisière de la foule. La dernière session du Hall aussi suivie avait été marquée par deux révélations. Primo que les Asha’man avaient lié des sœurs, et secundo que la souillure était désormais éliminée. La Lumière veuille qu’il n’y ait pas de surprises de cette envergure au menu d’aujourd’hui ! Pour les nerfs de Siuan, frayer avec ce maudit Gareth Bryne était déjà assez éprouvant.

N’avait-il pas proposé de lui apprendre à manier une épée, au cas où ? Aux yeux de Siuan, ces armes n’avaient jamais paru utiles. De plus, qui avait entendu parler d’une Aes Sedai ferraillant avec une arme, tel un sauvage fou furieux ?

Franchement, ce type était imbuvable…

Ennuyée d’attirer leur attention, Siuan joua des coudes pour se frayer un passage parmi les novices. Bien entendu, elles s’écartaient dès qu’elles reconnaissaient une sœur, mais, hautement distraites, il leur fallait un moment pour que l’information aille de leur cerveau jusqu’à leurs jambes.

Siuan en sermonna quelques-unes parce qu’elles n’étaient pas en train de travailler. Où était donc Tiana ? Sans nul doute, elle aurait renvoyé ces gamines à leurs corvées.

Même si Rand al’Thor en personne était apparu dans le camp, ça n’aurait pas justifié qu’elles négligent leurs cours.

Enfin, près du rabat du pavillon, Siuan trouva la femme qu’elle cherchait. Gardienne des Chroniques, Sheriam ne pouvait pas entrer dans le Hall sans sa Chaire d’Amyrlin. Du coup, elle devait attendre dehors – ce qu’elle préférait sans doute à rester confinée sous sa tente.

Ces dernières semaines, la sœur aux cheveux roux avait perdu pas mal de rondeurs. Sans blague, il était temps qu’elle se fasse tailler de nouvelles robes, car elle flottait dans les anciennes. Cela dit, elle semblait avoir retrouvé son calme et se comporter plus logiquement. Était-elle guérie de ce qui la tourmentait ? À l’en croire, rien n’avait jamais cloché chez elle, mais…

— Entrailles puantes de poiscaille ! s’écria Siuan quand une novice lui flanqua involontairement un coup de coude dans les côtes.

Elle foudroya du regard la maladroite, qui s’empressa de filer, sa « famille » la suivant à contrecœur. Siuan se tourna alors vers Sheriam :

— Que se passe-t-il ? Un des garçons d’écurie s’est-il révélé être le roi de Tear ?

Sheriam arqua un sourcil :

— Elaida et les autres savent Voyager.

— Quoi ? s’écria Siuan en jetant un coup d’œil sous le pavillon.

Les Aes Sedai étaient presque au complet, et la mince Ashmanaille, de l’Ajah Gris, s’adressait à elles. Pourquoi cette session n’était-elle pas protégée par un dôme de silence ?

— Nous avons découvert ça quand Ashmanaille est allée collecter des fonds au Kandor.

Les dons étaient une des sources de revenus majeures pour les Aes Sedai d’Egwene. Depuis des siècles, tous les royaumes contribuaient à la prospérité de Tar Valon. Ces derniers temps, la Tour Blanche ne se risquait plus à envoyer des sœurs récupérer l’argent. En bon comptable, le trésorier du Kandor ne s’était pas soucié de l’obédience d’Ashmanaille. Tant que le tribut était payé, il se fichait de savoir qui l’encaissait.