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— La mort de ta mère est une catastrophe, dit-elle. C’était une femme de bien et une grande reine.

Beslan serra les dents.

— Tu peux parler, l’encouragea Tuon.

— Sa mort reste inexpliquée…, rappela Beslan.

Inutile d’être devin pour comprendre.

— J’ignore si Suroth en est responsable, avoua Tuon. À l’entendre, ce n’est pas le cas. Mais l’enquête reste ouverte. S’il s’avère qu’elle est coupable, ton peuple et toi recevrez les excuses de l’Empire.

De nouveau, les membres du Sang sursautèrent. D’un regard, Tuon les calma, puis elle se tourna de nouveau vers Beslan :

— La disparition de Tylin est une grande perte. Tu dois savoir qu’elle était fidèle à ses serments.

— Oui, et du coup, elle a abandonné le trône.

— Non, démentit Tuon. Le trône te revient. Elle est là, l’ignorance dont je parlais. Tu dois diriger ton peuple. Les Altariens ont besoin d’un roi. Je n’ai ni l’envie ni le temps de prendre ta place.

» Tu postules que notre domination sur ton pays aura pour conséquence un lourd déficit de liberté. C’est faux. Tes sujets seront plus libres, mieux protégés et plus puissants quand ils auront accepté nos règles.

» Je suis plus haut placée que toi. Mais est-ce un tel drame ? Avec le soutien de l’Empire, tu pourras contrôler tes frontières et patrouiller partout à l’extérieur d’Ebou Dar. Tu me parles de ton peuple ? Eh bien, j’ai fait préparer quelque chose à ton intention.

Tuon jeta un coup d’œil sur sa gauche. Un da’covale aux jambes très fines se leva et avança, une sacoche de cuir à la main.

— Dedans, tu trouveras les chiffres collectés par mes éclaireurs et mes gardes. Tu pourras consulter, par exemple, les statistiques criminelles depuis que nous vous « occupons ». Des rapports compareront la situation du peuple avant et après le Retour.

» Je parie que tu sais d’avance ce que tu trouveras. L’Empire est une mine d’or pour ton pays, Beslan. Un allié hyperpuissant ! Je ne t’insulterai pas en te proposant des couronnes dont tu ne veux pas. Mais je te convaincrai en te promettant la stabilité, la prospérité et la sécurité pour ton peuple. En échange de quoi ? Ta loyauté, tout simplement.

Non sans hésiter, Beslan s’empara de la sacoche.

— Je t’offre un choix, Beslan, continua Tuon. L’exécution, si tu préfères, car je ne ferai pas de toi un da’covale. Non, je t’offrirai une mort honorable, et il sera de notoriété publique que tu auras péri pour avoir rejeté le joug des Seanchaniens et refusé de prêter leurs serments. Si c’est ta volonté, je ne m’y opposerai pas. Ton peuple saura que tu es mort du défi au cœur.

» Ou tu peux choisir de mieux servir tes sujets – en vivant, tout simplement. Dans ce cas, tu deviendras membre du Haut Sang. En pleine lumière, tu régneras selon les besoins de ton peuple. Je te promets, Beslan, de ne pas me mêler de vos affaires intérieures. Bien entendu, je réquisitionnerai des ressources et des soldats pour mes armées, comme il convient, et tes ordres ne pourront pas contredire les miens. À ces exceptions près, ton pouvoir sur l’Altara sera absolu. Sans ta permission, aucun Seanchanien n’aura le droit de commander, de maltraiter ou d’emprisonner un de tes sujets.

» J’accepterai et réviserai éventuellement une liste de familles nobles qui te sembleront devoir accéder au Sang inférieur. Elles seront au nombre de vingt au minimum. De ce côté de l’océan, l’Altara sera le fief permanent de l’Impératrice. À ce titre, il deviendra le plus puissant royaume du continent. À toi de choisir.

Tuon se pencha un peu plus et décroisa les mains.

— Mais comprends une chose : si tu décides de nous rejoindre, tu m’offriras ton cœur, et pas seulement des paroles. Après, je ne t’autoriserai pas à renier tes serments. Si je te donne cette chance, c’est parce que tu peux être un allié précieux. Et parce que je te crois égaré par les sombres machinations de Suroth.

» Tu as un jour pour te décider. Réfléchis bien. Ta mère était une femme avisée, et elle a opté pour une alliance. L’Empire est synonyme de stabilité. Une rébellion se solderait par des souffrances, une famine et un retour à l’obscurantisme. Par les temps que nous vivons, il ne fait pas bon être seul, Beslan.

Tuon se radossa à son siège et Beslan observa la sacoche qu’il tenait. Voulant implorer le droit de se retirer, il fit une révérence – mais maladroite, comme s’il était distrait.

— Tu peux t’en aller, lui dit Tuon.

Le roi se releva mais ne se détourna pas pour partir. Dans un silence de mort, il continua à étudier la sacoche.

Tuon comprit qu’il était en proie à un conflit intérieur. Un da’covale approcha pour le raccompagner, comme s’il venait d’être congédié, mais la Fille des Neuf Lunes arrêta le serviteur d’un geste.

Alors que plusieurs membres du sang sautaient presque d’un pied sur l’autre, à bout de patience, Tuon se pencha de nouveau en avant.

Beslan leva enfin les yeux, l’air déterminé. Puis, contre toute attente, il mit un genou en terre.

— Moi, Beslan de la maison Mitsobar, je prête allégeance à la Fille des Neuf Lunes, et, à travers elle, à l’Empire du Seanchan. Je la servirai jusqu’à mon dernier souffle, sauf si elle choisit de me libérer de mes engagements. Mon royaume et mon trône lui appartiennent, et je les lui remets solennellement. Je le jure au nom de la Lumière.

Tuon s’autorisa un sourire. Le capitaine général Galgan avança et s’adressa au roi :

— Ce n’est pas la façon rituelle de…

Tuon leva une main.

— Nous demandons à ce peuple d’adhérer à nos coutumes, général. En échange, il est juste que nous adoptions certaines des siennes.

En nombre très limité, bien entendu. Mais lors de ses longues conversations avec maîtresse Anan, Tuon avait compris que certaines concessions s’imposaient. Jusque-là, les Seanchaniens avaient peut-être commis une erreur en forçant ces gens à prêter les serments d’obéissance de l’Empire. Matrim les avait prononcés, puis oubliés à la première occasion. Pourtant, vis-à-vis d’elle, il avait toujours tenu parole, et ses soldats confirmaient qu’il était un homme d’honneur.

Une étrange hiérarchie des serments, il fallait en convenir… Mais de ce côté de l’océan, les gens étaient bizarres. Pour régner sur eux, Tuon devait les comprendre. Et pour retourner en force au Seanchan, le moment venu, elle avait besoin de régner sur eux…

— Roi Beslan, ton serment me convient tout à fait. En conséquence, je te fais membre du Haut Sang et te confère, ainsi qu’à ta maison, le pouvoir absolu sur l’Altara, maintenant et à jamais. À part le Trône de Cristal, aucune personne ni aucune institution n’aura la haute main sur toi.

Beslan se leva sur des jambes qui semblaient trembler un peu.

— Tu es sûre de ne pas être ta’veren, ma dame ? En entrant ici, j’étais très loin de me préparer à te jurer fidélité.

Ta’veren ? Ces gens et leurs superstitions grotesques !

— Je suis très satisfaite de toi, Beslan. Ta mère, je l’ai très peu connue, mais elle m’a paru compétente. J’aurais détesté devoir exécuter son seul descendant.

Beslan approuva du chef.

Selucia agita rapidement les doigts.

Très bien joué, ça… Peu conventionnel, sans doute, mais finement exécuté.

Le cœur gonflé de fierté, Tuon se tourna vers Galgan :

— Général, je sais que tu attends de pouvoir me parler, et je te félicite pour ta patience. À présent, tu peux t’exprimer. Roi Beslan, libre à toi de te retirer ou de rester. Assister à mes prestations publiques en Altara fait partie de tes droits. Pour ça, tu n’as besoin ni d’autorisation ni d’invitation.