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Les sul’dam présentes vinrent examiner les têtes pendant que les Gardes de la Mort, en silence, formaient un cercle autour de Tuon. Une fois en position, ils surveillèrent l’assistance comme si des Trollocs avaient pu en jaillir.

Tuon songea qu’elle aurait dû être bouleversée. Mais il n’en était rien.

Ainsi, Matrim ne racontait pas n’importe quoi, dit-elle par signes à Selucia.

Dire qu’elle avait cru qu’il répandait d’absurdes superstitions ! Regardant de nouveau les têtes, la Fille des Neuf Lunes serra les poings de rage.

Et s’il avait dit la vérité sur d’autres point ? demanda Selucia par signes.

Dubitative, la Voix de la Vérité ? Voilà qui n’arrivait pas tous les jours.

Il faudra le lui demander… J’aimerais beaucoup qu’il soit avec moi.

Tuon se pétrifia. Voilà qui s’appelait en dire trop. Mais dès qu’on abordait ce sujet, ses propres émotions la perturbaient. Si ridicule que ça paraisse, avec Matrim, elle s’était sentie en sécurité. Et elle aurait vraiment voulu qu’il soit là.

Ces têtes prouvaient une fois de plus qu’elle savait très peu de choses sur lui.

Mais il était temps de reprendre en main l’assistance.

— Silence, tous ! tonna Selucia.

Aussitôt, le calme revint, même si les membres du Sang et les sul’dam continuèrent à paraître troublés.

Le soldat qui avait dévoilé les têtes toujours à son côté, Tylee gardait un genou en terre.

Oui, il allait falloir l’interroger à fond, cette femme…

— Cette nouvelle ne change rien, dit Selucia, traduisant les signes de Tuon. Nous savons tous que l’Ultime Bataille approche. Les révélations de Tylee Khirgan sont précieuses et nous la félicitons. Mais la seule conséquence, c’est qu’il est encore plus urgent qu’avant d’obliger le Dragon Réincarné à s’incliner devant le Trône de Cristal.

Dans la salle, bien des gens approuvèrent, y compris le général Galgan. Beslan, lui, n’avait toujours pas l’air convaincu. Perturbé, certes, mais dubitatif…

— Si la Très Haute Fille me permet…, souffla Tylee.

— Tu peux parler.

— Ces dernières semaines, j’ai vu beaucoup de choses qui m’ont donné à réfléchir. Avant même l’attaque surprise, je m’inquiétais. La Très Haute Fille est sûrement bien plus sage et clairvoyante qu’une humble guerrière comme moi, mais je trouve que la reconquête du continent, jusque-là, s’est déroulée sans accrocs. Hélas, les choses pourraient bien changer. En d’autres termes, je pense que le Dragon Réincarné et ceux qui le soutiennent seraient de terribles ennemis… alors qu’ils pourraient faire de parfaits alliés.

Une opinion audacieuse. Ses ongles laqués pianotant sur l’accoudoir de son siège, Tuon se pencha une fois de plus en avant. Impressionnés d’être face à une représentante de la maison impériale, bien des membres du Sang inférieur en perdaient la voix. Alors, face à la Très Haute Fille… Mais cette militaire se permettait de faire des suggestions. Dans un sens radicalement opposé à ce que prônait Tuon.

— Un choix délicat, dit soudain Selucia, parlant pour son propre compte, ce n’est pas toujours un cas où les deux options sont égales. Dans cette affaire, une décision difficile est peut-être un choix judicieux, mais pourtant fondamentalement imparfait.

Tuon en cilla de surprise. Puis elle se souvint que Selucia était désormais sa Voix de la Vérité. Pour s’habituer à la voir dans ce rôle, il faudrait du temps. Depuis des années, Selucia n’avait pas repris ou contredit sa maîtresse en public.

D’accord, mais quand même, rencontrer le Dragon Réincarné ? Elle devait entrer en contact avec lui, et c’était d’ailleurs prévu, mais…

Ne valait-il pas mieux attendre que ses armées aient été vaincues, les ruines de la Tour Blanche encore fumantes ?

Al’Thor devait être conduit devant le Trône de Cristal dans des circonstances très précises, avec en tête l’idée qu’il se soumettrait à l’autorité de Tuon.

Certes, mais… À ce jour, le chaos régnait au Seanchan et la « stabilité » de l’Altara ne tenait qu’à un fil… Au fond, un peu de temps pour réfléchir – de quoi reprendre son souffle et consolider les acquis – ne serait pas une mauvaise chose.

Assez bonne pour retarder l’attaque sur la Tour Blanche ?

— Général Galgan, envoie des raken à nos forces cantonnées dans la plaine d’Almoth et dans l’est de l’Altara. Ordonne-leur de défendre nos positions et nos intérêts, mais en évitant d’affronter le Dragon Réincarné. Et réponds à sa demande de rencontre. La Fille des Neuf Lunes consent à le voir.

Galgan acquiesça et s’inclina.

Il fallait que l’ordre règne dans le monde. Pour ça, si Tuon devait baisser très légèrement les yeux et frayer avec le Dragon Réincarné, eh bien, qu’il en soit ainsi.

Très bizarrement, elle se surprit à souhaiter une fois de plus que Matrim soit à ses côtés. Sans doute parce que tout ce qu’il savait sur Rand al’Thor aurait pu l’aider à préparer la rencontre.

Porte-toi bien, étrange garçon, pensa la Fille des Neuf Lunes en jetant un coup d’œil au balcon, orienté vers le nord. Et ne te fourre pas dans la mouise au point de ne plus pouvoir en sortir. Tu es le Prince des Corbeaux, désormais. Essaie de te comporter en conséquence.

Où que tu puisses être.

20

Sur une route défoncée

— Les femmes, déclara Mat alors qu’il chevauchait Pépin sur une route poussiéreuse et peu fréquentée, ressemblent beaucoup aux mules. (Il se rembrunit.) Minute ! Non, aux chèvres. Les femmes sont comme des chèvres, effectivement. Sauf que chacune d’entre elles croit être une jument – de course et primée, par-dessus le marché. Tu comprends ce que je veux dire, Talmanes ?

— C’est de la pure poésie, Mat, répondit le militaire en finissant de bourrer sa pipe.

Mat secoua ses rênes et Pépin continua à avancer placidement. De chaque côté de la route, de grands pins jaunes faisaient un écran à la colonne.

Ils avaient eu de la chance de trouver cette ancienne voie, très certainement antérieure à la Dislocation. Depuis, la végétation avait repris ses droits, faisant disparaître une bonne partie des pavés.

Entre les rochers, des jeunes pins, fils méritants de leurs géants de pères, luttaient pour pousser. Très accidentée, la voie était cependant assez large, une très bonne chose.

Mat avançait quand même en tête de sept mille hommes, tous montés. Depuis le départ de Tuon pour Ebou Dar, un peu moins d’une semaine plus tôt, les cavaliers progressaient à un rythme éprouvant.

— Raisonner avec une femme est impossible, développa Mat, le regard rivé devant lui. En fait, non, c’est comme s’asseoir pour disputer une partie de dés entre amis. Sauf que la dame refuse de respecter les règles du jeu. Un homme va tricher, bien sûr, mais il le fera honnêtement. Par exemple, il utilisera des dés pipés, pour que l’arnaque ne se remarque pas trop. Alors, s’il n’est pas assez malin pour voir le truc, le perdant mérite bien d’y laisser des plumes. Ça, c’est la vie, tout simplement.

» Une femme, en revanche… Elle s’assied à la table, souriante, comme si elle avait décidé de jouer. Mais quand vient son tour de lancer, elle sort de sa poche deux dés dont toutes les faces sont blanches. Pas le moindre point noir, mon vieux ! Son coup joué, elle regarde le « résultat » et déclare avoir gagné.