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— Pendant la guerre, explique-t-il, on avait monté une équipe avec le Turc, le Grenoblois, et plusieurs autres « que c’est pas la peine de causer » pour faire passer les types traqués en Angleterre… On prenait une bonne somme pour le prix du voyage, mais on faisait du travail sérieux… C’était dangereux, d’accord, pourtant on se régalait côté osier… Ça a duré plusieurs mois, et puis l’un de nous, « Jim Mayeux », est allé nous balancer à la Kommandantur moyennant finances et on s’est fait coiffer comme des rois ! Heureusement, on a pu se faire la paire de la fourgonnette qui nous transportait à la Gestapo, grâce au Turc qui a étranglé deux gardiens à la fois !

Il s’arrête.

— Dans le fond, c’était le bon temps, soupire-t-il.

Puis, revenant à ses moutons :

— On s’est planqués. Mayeux est resté au service de MM. les sulfatés et il a pris du galon, rue Lauriston. Les combines, il les faisait officiellement, du coup, et tout le bénef allait sur son livret de caisse d’épargne à lui…

— Quel salopard ! dit Bérurier.

Je coupe :

— C’est lui, le décapité ?

— Vous avez deviné, dit Magnin. À la Libération, cette vache s’est tiré aux États… Là-bas, il a su exploiter la fortune qu’il avait ramassée au service d’Adolf. Il est devenu riche… Nous, les autres enviandés, on avait juré d’avoir sa peau s’il revenait. Mine de rien, on était au courant de sa vie privée… On attendait notre heure…

— Et elle a sonné ? demandé-je, impatient.

— Oui.

— Mayeux a eu le mal du pays… Il est revenu…

— C’est ça… D’abord il est allé en Italie. Seulement ça ne lui a pas suffi… Il lui fallait la France… Il a envoyé des potes à Pantruche pour voir si tout était tranquille… Ils lui ont assuré que oui… Personne ne se souciait plus de ce traître. Y avait prescription, quoi ! Et puis, il s’était fait bricoler la bouille, ou je ne sais quoi ! Bref, il a décidé de revenir… Alors on s’est réunis, nous, ses victimes… Le Turc, moi, le Grenoblois, un autre…

— L’Espiègle ? interrogé-je.

— Dites, vous en savez, des trucs !

— On fait ce qu’on peut !

— On s’est réunis et on a tiré au sort pour savoir qui se chargerait de l’accueillir…

— Et c’est le Grenoblois qu’a tiré la bûche ?

— Oui…

— Et puis le Turc a été chargé de faire disparaître le corps ?

— Oui…

— Pourquoi ?

— On s’était mis dans l’idée de se sucrer la fortune de Mayeux. Seulement, pour ça, il fallait pas qu’on le croie mort…

— Et pourquoi vos amis l’ont-ils buté à l’intérieur de la gare ? Il était attendu ?

Magnin hoche la tête.

— Non. Mais ils ont été pris de vitesse : Mayeux les a reconnus… Ils se sont dit que s’ils n’intervenaient pas illico, l’autre œuf allait se faire la valoche… Vous comprenez, il a eu sur eux un avantage : leurs visages n’avaient pas beaucoup changé, tandis que le sien était difficile à reconnaître… C’est, paraît-il, à la dernière seconde, comme il fonçait vers la sortie, que le Grenoblois l’a identifié…

Maintenant tout est clair. J’éprouve un grand calme et je regarde avec attendrissement Pinaud qui dort, sur la table.

— Comment espériez-vous choper sa fortune ?

— Nous savions qu’il s’était fait ouvrir un compte à la Banco di Roma… On aurait imité sa signature sur un chèque. Mais pour ça, je vous le répète, il fallait qu’on le croie encore vivant !

Je me lève et secoue Pinuche :

— Allez, on est arrivés, vieux hibou !

CONCLUSION

Ce sont trois fantômes titubants qui poussent la porte du restaurant Grodu.

Le taulier, plus rubicond que jamais, se précipite.

— Alors, demande-t-il. Vous avez du nouveau ? Bérurier lui fait signe de la boucler.

— Qu’est-ce que tu as au menu ? questionne-t-il. Grodu sourit.

— Si je te le dis, tu ne me croiras pas !

— Vas-y toujours…

Alors, le gargotier, en accentuant son petit sourire gêné, balbutie :

— De la tête de veau. C’est bête, hein ?