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STEPHEN KING

La Tour Sombre

Celui qui parle sans l’écoute d’une oreille attentive est comme muet.

Par conséquent, Fidèle Lecteur, ce dernier livre du cycle de la Tour Sombre t’est dédié.

Que tes jours soient longs et tes nuits plaisantes.

Aucun son ? Quand le bruit était partout ! Et j’entendis Le carillon croître à mon oreille. Ces noms à mon oreille tendue Ceux d’aventuriers perdus, Mes pairs — celui-ci était si fort, celui-là si hardi, Et l’autre si chanceux, et tous, vieux amis enfuis Perdus, perdus ! Un instant sonna le glas du malheur des ans déchus.
Tous, debout là, alignés le long des collines réunis, Pour me voir avant le grand départ, cadre vivant et plein d’espoir D’un ultime tableau ! Sur une feuille en flammes dans le soir Je les vis, tous je les reconnus. Et c’est alors qu’en un geste infini, Intrépide, je portai à mes lèvres mon cor béni Et sonnai. « Le Chevalier Roland s’en vint à la Tour Noire »
Robert Browning « Le Chevalier Roland s’en vint à la Tour Noire »

Je suis né

Un six-coups à la main

Et c’est derrière mon arme levée

Que je mènerai mon dernier assaut.

Bad Company
Que suis-je devenu ? Mon doux ami Tous ceux que je connus Finissent par disparaître Tu pourrais tout posséder De mon empire de poussière Je te laisserai sombrer Je te ferai souffrir
Trent Reznor

PREMIÈRE PARTIE

LE PETIT ROI-ROUGE

DAN-TETE

CHAPITRE I

Callahan et les vampires

1

Autrefois, le Père Don Callahan avait été prêtre catholique dans une ville du nom de ’Salem’s Lot, une ville qui n’existait plus sur aucune carte. Il s’en moquait. Les concepts tels que le réel n’avaient plus d’importance pour lui.

Cet ancien prêtre tenait à présent dans sa main un objet bien païen, une figurine d’ivoire en forme de tortue. Elle avait une entaille dans le bec et une éraflure en point d’interrogation, sur le dos, mais hormis ces petites imperfections, c’était un objet magnifique.

Magnifique et puissant. Il en sentait la force dans sa main, comme des volts qui lui auraient parcouru les doigts.

— Comme elle est jolie, dit-il dans un souffle au garçon qui se tenait à ses côtés. C’est Maturin la Tortue ? C’est elle, n’est-ce pas ?

Ce garçon, c’était Jake Chambers, et il avait fait une grande boucle, avant de revenir quasiment à la case départ, ici, à Manhattan.

— Je ne sais pas, répondit Jake. Probablement. Elle l’appelle la sköldpadda, et elle pourrait nous être utile, mais elle ne tuera pas les écumeurs qui nous attendent là-dedans, rappela-t-il avec un mouvement de tête en direction du Cochon du Sud.

Jake se demanda au passage si ce « elle » bien pratique désignait Susannah ou Mia. Autrefois il aurait dit que ça n’avait pas d’importance, tant les deux femmes étaient intimement liées. À présent, néanmoins, il comprenait que cette distinction était capitale, ou qu’elle le serait bientôt.

— Il n’y a que nous qui puissions le faire, Père. Vous vous en sentez capable ?

Sous-entendu : de tenir le coup ? De tuer ?

— Oh oui, dit Callahan d’un ton calme.

Il glissa la tortue d’ivoire, avec ses yeux pleins de sagesse et sa carapace éraflée, dans sa poche de chemise, où elle alla rejoindre les balles du revolver qu’il portait, puis tapota une dernière fois le tissu, pour vérifier que cette astucieuse petite chose était bien en sécurité.

— Je tirerai jusqu’à épuisement de mes munitions, ou jusqu’à la mort. Si j’arrive à court de munitions avant qu’ils me tuent, je les rouerai de coups avec… la crosse.

Il avait marqué une hésitation si brève que Jake ne la releva pas. Mais dans ce court intervalle, le Blanc parla au Père Callahan. C’était là une force qu’il connaissait de longue date, depuis son enfance même, en dépit des quelques années de « mauvaise foi », des années où la compréhension qu’il avait de cette force élémentaire avait d’abord vacillé progressivement, pour finalement se perdre complètement. Mais cette époque était révolue, le Blanc était de nouveau sien, et il dit grand merci à Dieu.

Jake parlait en hochant la tête, Callahan entendit à peine ce qu’il disait. Et peu importait ce que disait le garçon. En revanche, ce que disait cette autre voix — la voix de quelque chose

(Gan)

quelque chose de trop grand, peut-être, pour être appelé Dieu — voilà qui importait.

Le garçon doit continuer, lui dit la voix. Quoi qu’il se passe à l’intérieur, quoi qu’il advienne, le garçon doit continuer. Ton rôle dans cette histoire est presque achevé. Le sien, non.

Ils dépassèrent le panneau suspendu à son poteau chromé (FERMÉ POUR CAUSE DE RÉCEPTION PRIVÉE) avec Ote, le grand ami de Jake, qui trottinait entre eux, la tête haute et le museau décoré de son habituel sourire jusqu’aux dents. Arrivé en haut des marches, Jake se mit à fouiller dans le sac tissé que Susannah-Mio avait rapporté de Calla Bryn Sturgis, et il empoigna deux des plats qu’il contenait — les Rizas. Il les cogna l’un contre l’autre, opina du chef en les entendant tinter faiblement, puis dit :

— Voyons la vôtre.

Callahan leva le Ruger que Jake avait rapporté de Calla New York, et qui était de retour au bercail ; la vie est une roue et nous disons tous grand merci. Pendant une seconde, le Père tint l’arme à hauteur de sa joue droite, comme un duelliste son fleuret. Puis il toucha sa poche de chemise, bombée et alourdie par les balles. Et par la tortue. La sköldpadda.

Jake hocha la tête d’un air satisfait.

— Une fois à l’intérieur, on reste ensemble. Toujours groupés, avec Ote entre nous. À trois. Et une fois partis, on ne s’arrête plus. Jusqu’à la mort.

— On ne s’arrête plus.

— C’est ça. Vous êtes prêt ?

— Oui. L’amour de Dieu t’accompagne, mon garçon.

— Vous aussi, Père. Un… deux… trois.

Jake ouvrit la porte et ils pénétrèrent ensemble dans la semi-pénombre et l’odeur rance et doucereuse de porc grillé.

2

Jake se précipita vers ce qu’il croyait dur comme fer devoir être sa mort en se remémorant deux choses que lui avait dites Roland Deschain, son vrai père. Il arrive que des batailles qui ne durent que cinq minutes donnent naissance à des légendes qui perdurent pendant un millénaire. Et Tu n’as pas à mourir heureux, lorsque ton jour viendra, mais tu dois mourir satisfait, car tu auras vécu ta vie du début jusqu’à la fin, et que tout sert le ka.