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À la différence des vampires, les choses à cercle rouge sur le front ne réagissaient pas au nom du Dieu de Callahan. Tout ce qu’il lui restait à faire, c’est espérer que Jake ne s’arrêterait pas, et surtout qu’il ne ferait pas demi-tour. Mais Ote et lui fileraient comme le vent, ils retrouveraient Susannah. Ils la sauveraient, s’ils le pouvaient. Ou mourraient avec elle, dans le cas contraire. Et ils tueraient son bébé, s’il leur en était donné l’occasion. Pour l’amour de Dieu, il s’était trompé, à ce sujet. Ils auraient dû réduire à néant ce bébé dès La Calla, tant qu’ils le pouvaient.

Il sentit quelque chose plonger très profond dans son cou. Les vampires allaient venir, à présent, avec ou sans croix. Ils lui tomberaient dessus comme des requins qu’ils étaient, dès qu’ils auraient reniflé les premiers effluves de son sang gorgé de vie. Mon Dieu, aidez-moi, prêtez-moi la force, pensa Callahan, et il sentit la force déferler en lui. Il roula sur la gauche au moment où des griffes déchiquetaient sa chemise, la réduisant en lambeaux. Pendant un instant, sa main droite se retrouva libre, et elle tenait toujours le Ruger. Il le pointa en direction du visage suant, congestionné et affairé de cette espèce de gros tas dénommé Andrew, et appuya le barillet du pistolet (acheté à des fins domestiques, bien longtemps auparavant, par le père de Jake, huile de la télé un tantinet paranoïaque) contre la blessure rouge et tendre au milieu du front de la créature.

— Noooooon, tu n’oseras pas ! s’exclama Tirana en tendant le bras vers l’arme, faisant finalement éclater le devant de sa robe, libérant ainsi son énorme poitrine. Qui était recouverte d’une couche de fourrure rêche.

Callahan appuya sur la détente. La détonation fut assourdissante et son écho emplit la salle à manger. La tête d’Andrew explosa comme une gourde gonflée de sang, aspergeant les créatures qui s’étaient agglutinées derrière lui. Callahan entendit des cris d’horreur et de surprise. Il eut le temps de se dire : Ça n’était pas censé se passer comme ça, pas vrai ? Puis : Je suis admis au club ? C’est bon ? Je suis enfin un pistolero ?

Peut-être pas. Et en face de lui se tenait l’homme-oiseau, debout entre deux tables, son bec s’entrouvrant et se refermant, gonflant le cou d’excitation.

Le sourire aux lèvres, prenant appui sur un coude tandis que le sang s’échappant de sa gorge déchirée se répandait sur le tapis, Callahan visa avec le Ruger de Jake.

— Non ! s’écria Meiman, en levant ses mains déformées devant son visage, en un geste dérisoire de protection. Non, vous ne POUVEZ PAS…

La preuve que je peux, pensa Callahan avec une jubilation de gosse, avant de tirer à nouveau. Meiman fut déporté de deux pas en arrière, puis d’un troisième, chancelant. Il se cogna à une table et s’écroula dessus. Trois plumes jaunes restèrent suspendues dans l’air, puis descendirent doucement, en zigzags paresseux.

Callahan entendit des mugissements féroces, pas des mugissements de peur ou de colère, non, seulement les cris de la faim. L’arôme du sang avait fini par s’insinuer dans les narines blasées des Aïeux et plus rien ne les arrêterait, à présent. Aussi, s’il ne voulait pas les rejoindre…

Père Callahan, jadis le Père Callahan de ’Salem’s Lot, retourna le canon du Ruger contre lui-même. Il ne perdit pas de temps à contempler les ténèbres de l’éternité dans la gueule de l’arme et l’appuya directement sous son menton.

— Aïle, Roland ! dit-il en sachant

(la vague ils sont emportés par la vague)

qu’il était entendu. Aïle, pistolero !

Son doigt se tendit sur la détente à l’instant où ces monstres des ténèbres fondaient sur lui. Il se retrouva enseveli sous la puanteur de leur haleine glaciale et exsangue, mais il ne se laissa pas décourager. Jamais il ne s’était senti si fort. De toutes les années de sa vie écoulée, les plus heureuses avaient été celles du vagabond, non plus prêtre, mais Callahan de La Route, et il sentait qu’il serait bientôt libre de reprendre cette vie-là, et d’errer comme bon lui semblerait, son devoir accompli, ce qui était une bonne chose.

— Puisses-tu trouver ta Tour, Roland, et en forcer l’accès, pour monter jusqu’au sommet !

Les dents de ses vieux ennemis, anciens frères et sœurs de cette chose qui se faisait appeler Kurt Barlow, se plantèrent dans sa chair comme des dards. Callahan ne les sentait pas. Et c’est en souriant qu’il appuya sur la détente, leur échappant pour toujours.

CHAPITRE 2

Soulevés par la vague

1

Alors qu’ils quittaient la demeure de l’écrivain qu’ils étaient venus voir à Bridgton, par ce petit chemin de terre, Eddie et Roland tombèrent sur un camion orange portant l’inscription MAINTENANCE ÉLECTRIQUE DU MAINE sur les flancs. Debout à côté, un homme en gilet orange fluorescent et casque jaune taillait des branchages bas qui menaçaient la sécurité des lignes à haute tension. Et Eddie ressentit-il alors quelque chose de spécial, comme une force qui se rassemblait ? Peut-être anticipait-il la vague qui dévalait le Rayon, se précipitant vers eux ? C’est ce qu’il s’était dit, ensuite, mais il ne pouvait l’affirmer avec certitude. Dieu savait que déjà alors il se trouvait d’humeur étrange, et ça s’expliquait… Combien de gens vont à la rencontre de leur créateur ? Eh bien…

Stephen King n’avait pas à proprement parler créé Eddie Dean, ce jeune homme dont le Coop City se trouvait à Brooklyn et non pas dans le Bronx — pas encore, pas en 1977, mais Eddie était certain que King finirait par le faire. Comment expliquer autrement sa présence à lui, dans ces lieux ?

Le jeune homme se faufila devant le camion, descendit de voiture et demanda à l’homme en sueur avec son sécateur à la main comment se rendre au Chemin du Dos de la Tortue, dans la ville de Lovell. Le type de la Maintenance électrique du Maine lui donna volontiers les indications qu’il demandait, puis ajouta :

— Si vous tenez vraiment à aller à Lovell aujourd’hui, il va falloir que vous empruntiez la Route 93. La Route du Marécage, comme les gens d’ici l’appellent.

Il leva la main en direction d’Eddie, en secouant la tête comme un homme qui voit arriver la dispute, alors qu’Eddie n’avait pas ajouté un mot.

— Elle fait dix kilomètres de plus, je sais ! Et puis c’est un vrai traquenard, mon salaud, mais on peut pas traverser East Stoneham, aujourd’hui. Les flics ont tout bouclé. Les Fédéraux, les péquenauds du coin, et même les types du Bureau du Shérif du comté d’Oxford.

— Vous voulez rire ? fit Eddie.

Ce qui lui parut une réponse sans risque.

Le type de la compagnie d’électricité secoua la tête d’un air sombre.

— Personne n’a l’air de savoir ce qui se passe, exactement, mais il y a eu une fusillade — peut-être même des armes automatiques — et des explosions.

Il tapota le vieux talkie-walkie déglingué qu’il portait à la ceinture.

— J’ai même entendu deux trois rumeurs, cet après-midi. Ça m’a pas surpris plus que ça.

Eddie n’avait aucune idée de quelles rumeurs il s’agissait, mais ce qu’il savait, c’est que Roland voulait reprendre la route. Il sentait l’impatience du Pistolero dans sa propre tête. Il voyait presque le moulinet impatient de la main, celui qui voulait dire : On y va, on y va.