— Mais…, intervint Bill en faisant un geste. Ça n’a aucun sens. Pourquoi reviendrait-il ?
— Dites-moi d’abord pourquoi Jeff a vécu, répondit Tim. Ensuite je pourrai peut-être vous dire pourquoi il est revenu. Pourquoi vivez-vous ? Dans quel but avez-vous été créé ? Vous ne savez pas qui vous a créé – à supposer que quelqu’un l’ait fait – et vous ne savez pas pourquoi – à supposer qu’il y ait un pourquoi. Peut-être que personne ne vous a créé et que votre vie n’a aucun but. Pas de monde, pas de but, pas de Créateur, et Jeff n’est pas revenu parmi nous. Est-ce là votre logique ? Est-ce là ce que l’Être, au sens où l’entendait Heidegger, représente pour vous ? C’est une vision appauvrie d’un Être sans authenticité. C’est fragile, stérile et, en fin de compte, vain. Il doit y avoir quelque chose en quoi vous pouvez croire, Bill. Croyez-vous en vous-même ? Admettrez-vous que vous, Bill Lundborg, vous existez ? Vous l’admettrez ; c’est très bien. Cela nous donne un point de départ. Examinez votre corps. Avez-vous des organes sensoriels ? Disposez-vous de la vue, de l’ouïe, du goût, du toucher et de l’odorat ? Alors, il est probable que ce système de perceptions a été conçu pour recevoir des informations. S’il en est ainsi, il est raisonnable de supposer qu’il existe des informations. Et s’il existe des informations, elles ont probablement trait à quelque chose. Il est probable qu’il y a un monde – pas certain mais probable –, et vous êtes relié à ce monde par l’intermédiaire de vos organes sensoriels. Est-ce que vous créez ce que vous mangez ? Est-ce que de vous-même, de votre corps, vous produisez la nourriture dont vous avez besoin pour rester en vie ? La réponse est non. Par conséquent il est logique d’assumer que vous êtes dépendant de ce monde extérieur, de l’existence duquel vous ne possédez qu’une connaissance probable, et non pas une connaissance nécessaire ; pour nous le monde est seulement une vérité contingente, pas une vérité inéluctable. En quoi consiste ce monde ? Qu’est-ce qu’il y a là-bas ? Est-ce que vos sens mentent ? S’ils mentent, pourquoi ont-ils été faits ? Avez-vous créé vos organes sensoriels ? Non. Quelqu’un ou quelque chose d’autre les a créés. Qui est ce quelqu’un qui n’est pas vous ? Apparemment vous n’êtes pas seul, vous n’êtes pas l’unique réalité existante ; apparemment il y en a d’autres, et l’une d’elles ou plusieurs d’entre elles vous ont conçu et construit, vous et votre corps, de la même façon que Cari Benz a conçu et construit la première voiture à moteur. Comment sais-je qu’il y a eu un Cari Benz ? Parce que vous me l’avez dit. Moi je vous ai dit que mon fils Jeff était revenu…
— C’est Kirsten qui me l’a dit, rectifia Bill.
— Est-ce que Kirsten vous ment en temps normal ? questionna Tim.
— Non, répondit Bill.
— Qu’est-ce qu’elle et moi avons à gagner en affirmant que Jeff est revenu de l’autre monde ? Beaucoup de gens ne nous croiront pas. Vous-même vous ne nous croyez pas. Nous le disons parce que nous croyons que c’est vrai. Et nous avons des raisons de croire que c’est vrai. Nous avons tous les deux assisté à des choses. Je ne vois pas Cari Benz dans cette pièce mais je crois qu’il a existé autrefois. Je crois que la Mercedes-Benz a été baptisée d’après le prénom d’une petite fille et le nom d’un homme. J’ai été avocat ; les critères permettant de passer au crible des données me sont familiers. Nous – Kirsten et moi – avons la preuve de la présence de Jeff : ce sont les phénomènes.
— Oui, mais tous ces phénomènes ne prouvent rien, rétorqua Bill. Vous supposez simplement que c’est Jeff qui les a causés. Vous n’en avez pas la preuve. »
Tim déclara : « Laissez-moi vous donner un exemple. Vous regardez sous votre voiture et vous découvrez une flaque d’eau. Vous ne savez pas que cette eau vient de votre moteur ; c’est une chose que vous êtes obligé de supposer. Mais en l’occurrence vous avez une preuve. En tant qu’avocat, je sais ce qui constitue une preuve. Vous, en tant que spécialiste en mécanique automobile…
— Est-ce que la voiture est garée dans votre place de Parking réservée ? demanda Bill. Ou bien dans un parking public, comme celui d’une grande surface ? »
Légèrement décontenancé, Tim observa un silence. « Je ne vous suis pas.
— Si c’est dans votre garage ou votre place de parking, expliqua Bill, là où vous êtes seul à vous ranger, alors ça vient probablement de votre voiture. En tout cas, ça ne coulerait pas du moteur ; ça proviendrait du radiateur ou de la pompe à eau ou d’un tuyau.
— Mais c’est une chose que vous supposez, reprit Tim, en vous fondant sur l’évidence.
— Ça pourrait aussi être de l’essence. Elle ressemble beaucoup à de l’eau, sauf qu’elle est un peu rose. Ou bien votre Lockheed. Ou encore ça pourrait venir de votre transmission : si c’est une boîte automatique, il y a un liquide spécial. Avez-vous une boîte automatique ?
— Sur quoi ? demanda Tim.
— Sur votre voiture.
— Je ne sais pas. Je parle d’une voiture hypothétique.
— Ou bien ça pourrait être de l’huile, continua Bill, auquel cas ce ne serait pas rose. Il faut bien distinguer si c’est de l’eau, de l’essence, de l’huile ou un autre liquide. Si vous êtes dans un parking public et que vous aperceviez une flaque sous votre voiture, ça ne veut pas dire grand-chose de toute façon, parce qu’il y a plein d’autres voitures qui se garent au même emplacement ; ça pourrait venir de celle qui était là juste avant vous. Le mieux à faire, c’est de…
— Mais vous ne pouvez que procéder à une supposition, dit Tim. Vous ne savez pas que cela vient de votre voiture.
— Vous ne pouvez pas le savoir tout de suite, mais vous pouvez le trouver. Bon, admettons que c’est dans votre garage et qu’il n’y a pas d’autre voiture qui se gare à cet endroit. La première chose à faire, c’est de savoir de quel liquide il s’agit. Alors, vous vous couchez par terre et vous allongez le bras sous la voiture pour tremper un doigt dans la flaque. Maintenant, est-ce que c’est rose ? Est-ce que c’est brun ? Est-ce que c’est de l’huile ? Est-ce que c’est de l’eau ? Disons que c’est de l’eau. D’abord, ça pourrait être normal : quand le moteur marche et que l’eau du radiateur chauffe, elle se dilate et il y a parfois un trop-plein qui s’écoule par un orifice spécialement prévu à cet effet.