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– Il faut le supprimer!

– Ah! voilà la première idée qui vous vient! Il en sera de même à la loge. N’avais-je pas raison de vous dire que cela finirait par un meurtre?

– Bien entendu, cela finira par un meurtre! N'est-ce pas une conclusion banale par ici?

– Sans doute. Mais ce n'est pas à moi de désigner l'homme à abattre. Je n'aurais jamais la conscience tranquille. Et cependant ce sont nos propres têtes qui sont en jeu. Au nom du Ciel, que dois-je faire?

Il arpentait la pièce, en proie à la plus grande indécision.

Mais ses paroles avaient profondément ému McMurdo. Il suffisait de le voir pour comprendre qu’il partageait l'opinion de Morris quant au danger et à la nécessité d'y parer. Il empoigna l’épaule de son compagnon et le secoua violemment.

– Écoutez-moi bien! lui cria-t-il. Vous n’obtiendrez rien en vous lamentant comme une vieille femme. Des faits d'abord! Qui est ce type? Où est-il? Comment avez-vous appris son existence? Pourquoi êtes-vous venu me trouver?

– Je suis venu vous trouver parce que vous êtes le seul homme capable de me donner un conseil. Je vous ai dit qu'avant de m'établir ici, j'avais un magasin dans l'Est. J'y ai laissé de bons amis; l'un d'eux est au service postal du télégraphe. J'ai reçu hier une lettre de lui. C'est ce passage, depuis le haut de la page. Vous pouvez le lire.

Et voici ce que lut McMurdo:

Comment se comportent les Éclaireurs dans votre région? Nous lisons dans les journaux beaucoup de choses sur leur compte. De vous à moi, je m'attends à avoir de vos nouvelles d'ici peu. Cinq grosses corporations et deux compagnies de chemin de fer ont pris la chose en main et s'en occupent sérieusement. Elles veulent aboutir. Vous pouvez parier sans crainte qu'elles y parviendront. Pinkerton dirige les opérations sur leur ordre, et il a envoyé sur place son meilleur agent, Birdy Edwards. On s'attend à ce que l’abcès soit crevé d'un moment à l'autre.

– Maintenant lisez le post-scriptum.

Bien sûr, ces indications sont ce que j'ai appris dans mon travail; aussi n'en faites état devant personne. Ils utilisent un code bizarre que vous pourriez travailler pendant des jours sans rien y comprendre.

McMurdo demeura silencieux quelques instants sans lâcher la lettre. La brume venait de se dissiper: un gouffre béant s'ouvrait devant lui

– Quelqu'un d'autre est-il au courant? demanda-t-il.

– Je n'en ai parlé à personne.

– Mais cet homme, votre ami, ne connaît-il personne à qui il aurait écrit la même chose?

– Je pense qu'il doit connaître deux ou trois habitants d’ici.

– Affiliés à la loge?

– Vraisemblablement.

– Je vous le demandais parce qu'il aurait pu leur donner un signalement de ce Birdy Edwards. Nous serions alors en état de le démasquer.

– C'est possible. Mais je ne pense pas qu'il le connaisse. Il n'a fait que me transmettre des informations qu'il a recueillies dans son travail. Comment connaîtrait-il personnellement ce lieutenant de Pinkerton?

McMurdo fit un bond.

– Sapristi! s'écria-t-il. Je le tiens! Quel imbécile j'ai été de ne le deviner plus tôt! Seigneur, nous avons de la chance! Nous lui réglerons son compte avant qu'il puisse nous nuire. Dites, Morris, me laissez-vous le soin de m'en occuper?

– Bien sûr! Du moment que vous m'en déchargez!…

– Je m'en occuperai. Vous pouvez être tranquille, et me laisser faire. Votre nom ne sera même pas cité. Je prendrai tout sur moi comme si la lettre m'avait été adressée. Cela vous suffit-il?

– Je ne demande rien de plus.

– Alors restons-en là, et pas un mot à qui que ce soit! Pour l’instant, je descends à la loge, et nous fournirons bientôt au vieux Pinkerton une occasion de se lamenter.

– Vous ne tuerez pas le détective?

– Moins vous en saurez, ami Morris, plus vous aurez la conscience tranquille et mieux vous dormirez. Ne me posez pas de questions. Je tiens désormais l'affaire en main.

Morris hocha tristement la tête.

– J'ai l'impression que j'ai son sang sur les mains, gémit-il.

– La légitime défense n'est pas un assassinat, répondit McMurdo avec un sourire sinistre. C'est lui ou nous. Je suppose que cet homme nous anéantirait tous si nous le laissions trop longtemps dans la vallée. Eh bien! frère Morris, vous serez sûrement élu chef de corps, car vous avez sauvé la loge!

Mais ses actes indiquèrent clairement qu'il prenait cette menace plus au sérieux que ses paroles ne l'auraient fait croire. Peut-être était-ce sa conscience coupable; peut-être la réputation de l'organisation de Pinkerton; peut-être la nouvelle que de grosses et puissantes sociétés s'étaient attelées à la tâche de détruire les Éclaireurs. Toujours est-il qu'il agit comme quelqu'un se préparant au pire. Avant de quitter sa pension, il détruisit tous les papiers qui pouvaient l'incriminer. Cela fait, il poussa un long soupir de satisfaction, car il lui semblait qu'à présent il se trouvait en sécurité. Tout de même il devait craindre encore quelque danger, car il s'arrêta devant la pension du vieux Shafter. L'entrée de la maison lui était interdite, mais quand il frappa à la fenêtre, Ettie sortit. Toute espièglerie irlandaise avait disparu de la physionomie de son amant. Sur la gravité de son visage, elle lut l'approche d'un danger.

– Il est arrivé quelque chose! s'écria-t-elle. Oh! Jack, vous êtes en danger!

– Le danger n'est pas encore terrible, ma chérie. Mais nous ferions peut-être bien de partir avant qu'il devienne pire.

– Partir!

– Je vous ai promis un jour que je partirais. Je pense que l'heure est venue. J'ai eu des nouvelles ce soir, de mauvaises nouvelles, et je vois des ennuis qui menacent.

– La police?

– Un Pinkerton. Mais naturellement vous ne savez pas ce que c'est, petite fille. Sachez que je suis engagé trop profondément dans cette affaire et que je veux m'en sortir sans délai. Vous m'avez dit que vous m'accompagneriez si je partais.

– Oh! Jack, ce serait votre salut!

– Dans certains cas, je suis un honnête homme, Ettie. Je ne toucherais pas à un seul de vos cheveux fins pour tout ce que le monde pourrait m'offrir, et je ne vous descendrais pas d'un pouce de ce trône doré où je vous vois déjà au-dessus des nuages. Me faites-vous confiance?…

Sans un mot elle mit sa main dans la sienne.

– … Bien. Alors, écoutez ce que je vais vous dire et agissez exactement comme je vais vous l'ordonner, car nous n'avons pas le choix des moyens. Les événements vont se précipiter dans cette vallée. Je le sens, j'en suis sûr. Il se peut que beaucoup d'entre nous aient à se débrouiller. Dont moi, de toute façon. Si je pars, de jour ou de nuit, vous devez partir avec moi!

– Je vous suivrai, Jack.

– Non: vous partirez avec moi. Si cette vallée m'est interdite et si je ne peux jamais revenir, comment pourrai-je vous laisser derrière moi? Je me cacherai peut-être de la police, sans pouvoir vous faire parvenir un message. C'est avec moi que vous devez partir: en même temps que moi. Je connais une brave femme dans l'endroit d’où je viens; c'est chez elle que je vous laisserai jusqu'à ce que nous soyons mariés. Viendrez-vous?

– Oui, Jack. Je viendrai.