— Qui est-ce ? s’inquiète une voix d’homme.
— Police !
On fait fissa pour tirer la bobinette. J’ai devant moi le sosie de Tartarin. Un monsieur en forme d’œuf reposant sur sa pointe, avec une moustache à la Salvador Dalí, fripée par le dodo, m’ouvre. Il a une chemise de nuit qui pend par-dessus son falzar comme la peau d’un obèse qui s’est fait maigrir.
— Quoi, qu’est-ce, qu’y a-t-il ? bavoche le digne commerçant.
J’entre et referme la porte.
— Vous êtes le disquaire d’en bas ?
— Oui.
— Vous employez Mlle Josée Boyer ?
— Oui.
Il bredouille ses « oui » d’une voix lamentable… Il a l’œil atone, il regarde derrière lui fréquemment. Je vois une dame passer sa tête frisée par un encadrement de porte.
— Qu’est-ce qui arrive ? demande la dame, pas commode.
— C’est la police ! explique sobrement Tartarin.
— Oh ! mon Dieu !
Oubliant toute décence, la personne se produit dans son entier. Un entier que dissimule mal et partiellement un baby-doll arachnéen. Elle a une paire de roberts du type roploplos tels qu’on les faisait en 1910. Le mignon baby-doll lui va comme un abat-jour à une bicyclette. Mais elle est soucieuse d’entretenir les élans de son ovoïde époux et tous les moyens lui sont bons, même lorsqu’ils sont d’inspiration américaine.
— C’est au sujet de Josée, dit le renflé, piteux.
La dame exulte !
— Quand je te disais que cette petite garce nous attirerait des ennuis. Elle a fait des bêtises, je parie ?
Je hoche la cabèche !
— Hélas, oui, madame !
— Quelle sorte de bêtise ? demande la débiteuse de Moreno en tranches.
Je réalise alors que c’est moi qui suis venu icigo pour poser des questions.
— Hier après-midi, attaqué-je…
Mais le carillon Westminster de l’appartement sonne une heure. Je réalise que nous sommes déjà demain, et que l’hier dont je parle a droit à l’appellation contrôlée d’avant-hier !
Je rectifie le tir.
— Mlle Boyer vous a demandé son après-midi ?
— Parfaitement ! explose Mme Tartarin. Mon mari avait toutes les faiblesses pour elle !
L’homme-bonbonne rougit. Sa moustache horizontale frémit comme une antenne de télé dans la brise.
Je vous parie n’importe quoi contre autre chose qu’il paluchait la petite péteuse derrière les rayons, quand son exciting wife avait le dos tourné. Et l’autre, l’enjôleuse aux yeux d’ange, se laissait fourbir le fourbi afin d’avoir barre sur lui. Elle promet ! Que dis-je ! elle tient déjà !
— Donc, elle n’a pas passé son après-midi d’avant-hier au magasin ?
— Non. Elle a prétendu qu’elle allait chez le docteur… Vous pensez ! Si elle allait chez un médecin, cette grue, ce serait chez un gynécologue.
La baby-dolleuse s’y entend pour les coups cinglants.
— À quelle heure est-elle revenue au magasin ?
— Une heure avant la fermeture ! s’écrie la houri. Il pouvait être cinq heures et demie !
— Et ensuite, elle est ressortie ?
— Non, dit vivement le mari.
Lui, il joue la défense. C’est l’avocat de la gosse.
Oh ! un avocat timoré, qui n’ose pas couper la parole du ministère public, mais un avocat plein de belles intentions.
— C’est juste, convient sa rombière. Cette coureuse qui rentre à des quatre heures du matin plus qu’à moitié saoule est restée chez nous toute la soirée d’avant-hier. Elle nous a même honorés de sa présence au dîner…
— Et vous êtes certaine qu’elle n’a pas quitté votre logement, dans la nuit ?
— Oui ! affirme Mme Reluquezmoi. Je me suis levée plusieurs fois dans le courant de la nuit.
Elle se tourne vers son mari.
— Tu sais, Étienne, les sardines m’avaient détraquée. Chaque fois, j’ai regardé dans sa chambre : elle dormait…
— Après son retour dans l’après-midi, a-t-elle reçu un coup de téléphone ?
— Non…
La dame trouve que ça se présente trop bien pour Josée et elle enfourche un nouveau dada, tout fringant et bourré d’avoine !
— Seulement elle est partie hier après le déjeuner et nous ne l’avons plus revue depuis. Qu’a-t-elle fait ?
Je fais la grimace.
— Des idioties. Il est prématuré pour en parler…
— Nous aimerions tout de même savoir… Son père qui est un camarade de régiment de mon mari nous l’a confiée et…
Je renaude :
— S’il vous l’a confiée, votre devoir était de la surveiller.
Sur ces paroles pertinentes, je laisse le couple à ses remords.
Une brasserie encore ouverte m’accueille. Je commande un demi et un jeton de téléphone, je mets le premier dans mon gosier et le second dans celui d’un taxiphone. Les mecs de la permanence m’ont l’air d’avoir le coup de pompe de la mi-nuit.
— Ouais ? grogne le standardiste.
Je me fais reconnaître.
— Des nouvelles de Pinaud ?
— Aucune…
Je grogne un vague merci et je les mets.
Le plus sage, après une telle journée, serait de regagner mon pavillon où Félicie doit se faire du mouron.
Une petite nuit de dorme me colmaterait les brèches.
Seulement, je suis trop énervé pour avoir un bon sommeil. J’ai pris de trop grosses responsabilités en laissant fuir Josée et en n’appréhendant pas Bisemont. L’un ou l’autre, et peut-être les deux, ont trempé dans le meurtre, j’en ai la conviction…
Alors, quelque diable me poussant (un diable noctambule, je présume), avant de rentrer je vais faire une virouze à La Savoie.
Il faut sur le métier remettre son ouvrage.
En arrivant avenue de Wagram, je constate que l’établissement est plein de soupeurs. Des mecs bien loqués qui viennent gober des belons pour faire admirer leurs robes de satin et leurs costards à revers de soie avant de se pieuter.
Quelle n’est pas ma stupeur de découvrir le Pinaud des Charentes affalé à la table où il était naguère, devant une pile de soucoupes impressionnante…
Plus de Josée à l’horizon.
Je bondis sur le paletot du vieux. Il a l’œil mi-clos. La biture qu’il trimbale ne tiendrait pas dans un triporteur.
— Alors ! lui dis-je, en m’asseyant, d’une voix terrible.
Il me sourit.
— Ah !… je… je… je…
Si je m’écoutais, je lui défoncerais le portrait à coups de talon.
— Tu tu tu tu quoi ?
— Je savais que tu… tu… tu… tu viendrais…
— Et la gosse ?
— Partie !
— Pourquoi ne l’as-tu pas suivie ?
— J’avais pas d’argent sur moi… J’ai oublié d’en demander en partant de la Boîte ! Lorsqu’elle a filé, j’ai voulu payer et… tintin !
Il est schlass, mais son rhume l’a quitté. C’est toujours ça de récupéré…
— Et t’as continué de lichetrogner, bougre de vieux bonze !
— Fallait bien que je meuble le temps !
— Tu ne pouvais pas téléphoner au bureau !
— Je te dis que j’ai plus un radis ; mes derniers flèches, je les ai utilisés pour t’appeler tout à l’heure. Je m’étais pas encore aperçu de mon impé… impécu… impécupéno… impécuniosité !
Retrouvant sa proverbiale volubilité, il enchaîne :
— Je vais t’expliquer : ce matin, Mme Pinaud voulait recoudre un bouton à mon veston des dimanches, celui qui a une tache d’encre sur le revers… Et puis la fille de la crémière est venue la chercher rapport à sa grand-mère qu’est une amie de la tante de Mme Pinaud et qui…