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— Mort ? répété-je.

— Mort, réitère-t-elle…

— Mort comment ?

— Il avait une affreuse plaie à la gorge… et une immense tache de sang sous sa tête. C’était abominable. Tant que je vivrai, j’aurai cette vision devant les yeux.

Cette fois, je me sens des frémissements partout.

— Qu’avez-vous fait ?

— Eh bien, je… je suis repartie… Naturellement, j’ai eu l’idée de prévenir la police, mais je me suis dit que tout serait alors découvert. Mon mari est président du Syndicat des importateurs de licences d’exportation ! Officier de la Légion d’honneur… Il dirige l’une des plus importantes maisons de commerce de Paris… Il a eu un aïeul sous les croisades…

— Moi aussi, dis-je, mais il n’était que deuxième classe.

Elle passe outre, comme disent les caravaniers.

— Je préfère la mort au déshonneur… Sans compter qu’on va m’accuser de l’avoir tué, qui sait ?

— C’est en effet fort possible…

Et en moi-même je me demande si, au fond, la vioque ne s’est pas payé la peau de son gigolpince dans une crise de passion contrariée.

— Que faut-il faire, monsieur le commissaire ?… Je suis une femme perdue !

Je réfléchis…

— Écoutez, madame Bisemont, il se trouve que par hasard je suis en vacances. Je dispose donc de quelques loisirs. Si vous le voulez, nous allons retourner là-bas…

Elle meugle :

— Retourner là-bas !

— C’est indispensable. Il faut que je voie dans quelles circonstances est mort ce garçon… Ensuite… Eh bien, ma foi, nous essaierons de trouver une solution…

Vous le voyez, je ne me mouille pas trop. Parce qu’ensuite, il est fort possible que j’envoie la mère Tas-de-Pèze dans la villa aux cent lourdes pour y tricoter des chandails aux pauvres étudiants sans rombières.

CHAPITRE II

Dans lequel je m’aperçois qu’un mort peut ne pas faire de concessions

Elle avait parlé d’une maison de campagne ! C’est là que je pige à quel point le vocabulaire français, malgré sa multiplicité, peut faire l’élastique ! En fait de maison de campagne, c’est bel et bien une espèce de petit château. Y a même une tour grande comme Mary Marquet, un perron à double révolution, comme on les aime à Cuba, et un parc dans lequel on pourrait tourner un remake de Maria Chapdelaine

La grille est restée entrouverte, signe de la panique qui anima la mère Bisemont lorsqu’elle découvrit son barbiquet out.

Nous remontons la grande allée en forme d’épingle à cheveux. Les oiseaux sont en train de tenir leur réunion de printemps dans les frondaisons, sous la présidence d’honneur d’un pigeon-ramier.

Mame Bisemont est obligée de s’y prendre à deux fois pour gravir les marches du perron, tellement son émotion est grande. Qu’est-ce que ça devait être quand le petit gars l’expédiait au septième ciel avec bagages accompagnés !

Là encore, la lourde est ouverte. Elle a dû faire fissa pour prendre le large, la vioque, souvenez-vous ! À tombeau ouvert, c’est le cas de le dire !

Le hall est merveilleux, blanc, avec des plantes rares, des dalles rouges, un escalier à rampe de fer forgé et, comme dit mon collègue Béru, une descente de lit dans l’escalier.

Y a même une armure damasquinée dans un coin, souvenir de l’époque où les guerriers étaient livrés sous emballage.

Nous montons dans les étages.

Parvenue au faîte de la maison, tout en haut de la tour, Mme Bisemont se prend les abats à deux mains et gémit de façon à la fois nasale et pathétique.

— Je n’ose pas, je n’ose pas, brame-t-elle, sur le point de piquer une crise de nerfs… Entrez seul !

Et de m’indiquer une porte.

J’ouvre. La pièce est mignonne : le genre cretonne à fleurettes avec des meubles anciens. Tout est en ordre. Il n’y a pas plus de cadavre dans le local que de provisions sur le compte bancaire d’un producteur de films à la seconde semaine de tournage.

Je retourne sur le palier où Mme Bisemont continue de jouer Andromaque.

— Vous avez dû vous tromper de chambre, l’avertis-je, il n’y a personne…

Elle ouvre des carreaux grands comme le hall d’exposition de chez Simca.

— Co… co… comment !

Elle se hasarde, fait trois pas, bigle la strass et son dentier manque se décrocher.

— C’est impossible, bée-t-elle.

— Pourtant, à moins que nos sens nous abusent…

— Mais il était là !

Elle pointe un index démentiel (comme dirait un écrivain porté sur l’hyperbole) sur la carpette.

Moi, je commence à trouver ce micmac tartignole.

Les histoires de cadavres qui s’escamotent pendant qu’on va chercher les poulets, ça se fait dans les bouquins policiers d’avant-guerre, et encore, à petites doses ! Je sonde la dame (ce qui est une façon de parler) et je me dis que je suis tombé sur une personne victime de son arrière-saison. Elle doit avoir des ennuis avec son grand zygomatique, et son système vaso-vasculaire aurait une connexion défectueuse que ça ne serait pas pour surprendre.

— Madame Bisemont, interviens-je, n’auriez-vous pas été victime de votre imagination ? Peut-être avez-vous eu une hallucination, je ne saurais trop vous conseiller de faire vérifier votre tension artérielle.

Elle secoue ses joues, ses bajoues, ses bijoux.

— Non, monsieur le commissaire, dit-elle avec force. Hervé était là ! Là… M’entendez-vous, avec son pauvre cou tranché, son cher sang répandu…

Des larmes creusent de profonds sillons dans son plâtre. Elle a le chagrin en relief, la pauvre femme.

Je retourne dans la chambre afin de mater sérieusement le dessous des choses. Elle parle de sang. Si un type a été égorgé ici, cela a dû laisser des traces, ce me semble, non ?

J’ai beau jouer les Sherlock, je ne découvre rien d’insolite. Pas une éclaboussure : rien !

— C’est à perdre la raison, bafouille la dame patronnesse.

D’après moi, c’est déjà acquis en ce qui la concerne. Mon siège est fait, comme disent les gynécologues.

Elle comprend mon doute ! Alors, elle se fait véhémente. Ses diams se mettent à rutiler, sa quincaillerie à tintinnabuler, ses seins à palpiter, son visage à s’empourprer…

— Je vous jure que je ne suis pas folle. Lorsque je suis arrivée ici, la porte était ouverte. D’en bas, j’ai crié : « Tu es là, Bisou ? »

Elle ne peut s’empêcher de minauder, superbe de confusion :

— Je l’appelais Bisou !

Comme le ridicule ne tue plus, je m’abstiens de l’étrangler…

— J’ai gravi l’escalier, poursuit-elle. La porte de la chambre était ouverte… Il était là… là…

Toujours la même antienne !

— J’ai fait deux pas dans la chambre, j’ai compris qu’il était mort… Je suis repartie… Voilà !

Comme je n’ai pas de secrets pour vous, je dois vous avouer que j’ai le sentiment ridicule de m’être fourvoyé dans un coup foireux. Me voilà aux prises avec la folie d’une dame respectable qui doit faire poirer sa valetaille avec ses sornettes.

Si mes collègues me voyaient, ils voudraient drôlement se payer ma hure !

Tout à coup, Mme Bisemont s’écrie en me prenant le bras :

— Monsieur le commissaire !

— Oui ?

— Ce n’est plus la même carpette !

— Que dites-vous !

— Comment ne l’ai-je pas vu au premier coup d’œil ! Dans cette chambre, il y en avait une bleue… Or, celle-ci est blanche. D’ordinaire, elle se trouve dans la chambre voisine…