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A cette époque, les environs de Trapani étaient parcourus, paraît-il, par un brigand nommé Lombardo.

Or, M. Miraglia jeta au panier la lettre de son ami. Le domestique vida le panier dans la rue, puis le ramasseur d’ordures passa et porta dans la plaine ce qu’il avait recueilli. Un paysan, voyant dans la campagne un beau papier bleu à peine froissé, le ramassa et le mit dans sa poche, par précaution ou par un besoin instinctif de lucre.

Plusieurs mois se passèrent, puis cet homme, ayant été appelé à la questure, laissa glisser cette lettre à terre. Un gendarme la saisit et la présenta au juge qui tomba en arrêt sur les mots : intentions meurtrières, pris une autre route, réfugiés, capturés, Lombardo. Le paysan fut emprisonné, interrogé, mis au secret. Il n’avoua rien. On le garda et une enquête sévère fut ouverte. Les magistrats publièrent la lettre suspecte mais, comme ils avaient lu « Petronilla Olivieri » au lieu de « Polyphylla », les entomologistes ne s’émurent pas.

Enfin on finit par déchiffrer la signature de M. di Stephani, qui fut appelé au tribunal. Ses explications ne furent pas admises. M. Miraglia, cité à son tour, finit par éclaircir le mystère.

Le paysan était demeuré trois mois en prison.

Un des derniers brigands siciliens fut donc, en vérité, une espèce de hanneton connu par les hommes de science sous le nom de Polyphylla Ragusa.

Rien de moins dangereux aujourd’hui que de parcourir cette Sicile redoutée, soit en voiture, soit à cheval, soit même à pied. Toutes les excursions les plus intéressantes, d’ailleurs, peuvent être accomplies presque entièrement en voiture. La première à faire est celle du temple de Ségeste.

Tant de poètes ont chanté la Grèce que chacun de nous en porte l’image en soi ; chacun croit la connaître un peu, chacun l’aperçoit en songe telle qu’il la désire. Pour moi, la Sicile a réalisé ce rêve ; elle m’a montré la Grèce ; et quand je pense à cette terre si artiste, il me semble que j’aperçois de grandes montagnes aux lignes douces, aux lignes classiques, et, sur les sommets, des temples, ces temples sévères, un peu lourds peut-être, mais admirablement majestueux, qu’on rencontre partout dans cette île.

Tout le monde a vu Paestum et admiré les trois ruines superbes jetées dans cette plaine nue que la mer continue au loin, et qu’enferme, de l’autre côté, un large cercle de monts bleuâtres. Mais si le temple de Neptune est plus parfaitement conservé et plus pur (on le dit) que les temples de Sicile, ceux-ci sont placés en des paysages si merveilleux, si imprévus, que rien au monde ne peut faire imaginer l’impression qu’ils laissent à l’esprit.

Quand on quitte Palerme, on trouve d’abord le vaste bois d’orangers qu’on nomme la Conque d’or ; puis le chemin de fer suit le rivage, un rivage de montagnes rousses et de rochers rouges. La voie enfin s’incline vers l’intérieur de l’île et on descend à la station d’Alcamo-Calatafimi.

Ensuite on s’en va, à travers un pays largement soulevé, comme une mer, de vagues monstrueuses et immobiles. Pas de bois, peu d’arbres, mais des vignes et des récoltes ; et la route monte entre deux lignes ininterrompues d’aloès fleuris. On dirait qu’un mot d’ordre a passé parmi eux pour leur faire pousser vers le ciel, la même année, presque au même jour, l’énorme et bizarre colonne que les poètes ont tant chantée. On suit, à perte de vue, la troupe infinie de ces plantes guerrières, épaisses, aiguës, armées et cuirassées, qui semblent porter leur drapeau de combat.

Après deux heures de route environ, on aperçoit tout à coup deux hautes montagnes, reliées par une pente douce, arrondie en croissant d’un sommet à l’autre, et, au milieu de ce croissant, le profil d’un temple grec, d’un de ces puissants et beaux monuments que le peuple divin élevait à ses dieux humains.

Il faut, par un long détour, contourner l’un de ces monts, et en découvre de nouveau le temple qui se présente alors de face. Il semble maintenant appuyé à la montagne, bien qu’un ravin profond l’en sépare ; mais elle se déploie derrière lui, et au-dessus de lui, l’enserre, l’entoure, semble l’abriter, le caresser. Et il se détache admirablement avec ses trente-six colonnes doriques, sur l’immense draperie verte qui sert de fond à l’énorme monument, debout, tout seul, dans cette campagne illimitée.

On sent, quand on voit ce paysage grandiose et simple, qu’on ne pouvait placer là qu’un temple grec, et qu’on ne pouvait le placer que là. Les maîtres décorateurs qui ont appris l’art à l’humanité, montrent, surtout en Sicile, quelle science profonde et raffinée ils avaient de l’effet et de la mise en scène. Je parlerai tout à l’heure des temples de Girgenti. Celui de Ségeste semble avoir été posé au pied de cette montagne par un homme de génie qui avait eu la révélation du point unique où il devait être élevé. Il anime, à lui seul, l’immensité du paysage ; il la fait vivante et divinement belle.

Sur le sommet du mont, dont on a suivi le pied pour aller au temple, on trouve les ruines du théâtre.

Quand on visite un pays que les Grecs ont habité ou colonisé, il suffit de chercher leurs théâtres pour trouver les plus beaux points de vue. S’ils plaçaient leurs temples juste à l’endroit où ils pouvaient donner le plus d’effet, où ils pouvaient le mieux orner l’horizon, ils plaçaient, au contraire, leurs théâtres juste à l’endroit d’où l’œil pouvait le plus être ému par les perspectives. Celui de Ségeste, au sommet d’une montagne, forme le centre d’un amphithéâtre de monts dont la circonférence atteint au moins cent cinquante à deux cents kilomètres. On découvre encore d’autres sommets au loin, derrière les premiers ; et, par une large baie en face de vous, la mer apparaît, bleue entre les cimes vertes.

Le lendemain du jour où l’on a vu Ségeste, on peut visiter Sélinonte, immense amas de colonnes éboulées, tombées tantôt en ligne, et côte à côte, comme des soldats morts, tantôt écroulées en chaos.

Ces ruines de temples géants, les plus vastes qui soient en Europe, emplissent une plaine entière et couvrent encore un coteau, au bout de la plaine. Elles suivent le rivage, un long rivage de sable pâle, où sont échouées quelques barques de pêche, sans qu’on puisse découvrir où habitent les pêcheurs. Cet amas informe de pierres ne peut intéresser, d’ailleurs, que les archéologues ou les âmes poétiques, émues par toutes les traces du passé.

Mais Girgenti, l’ancienne Agrigente, placée, comme Sélinonte, sur la côte sud de la Sicile, offre le plus étonnant ensemble de temples qu’il soit donné de contempler.

Sur l’arrête d’une côte longue, pierreuse, toute nue, et rouge, d’un rouge ardent, sans une herbe, sans un arbuste, et dominant la mer, la plage et le port, trois temples superbes profilent, vus d’en bas, leurs grandes silhouettes de pierre sur le ciel bleu des pays chauds.

Ils semblent debout dans l’air, au milieu d’un paysage magnifique et désolé. Tout est mort, aride et jaune, autour d’eux, devant eux et derrière eux. Le soleil a brûlé, mangé la terre. Est-ce même le soleil qui a rongé ainsi le sol, ou le feu profond qui brûle toujours les veines de cette île de volcans ? Car, partout, autour de Girgenti, s’étend la contrée singulière des mines de soufre. Ici, tout est du soufre, la terre, les pierres, le sable, tout.