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Eux, les temples, demeures éternelles des dieux, morts comme leurs frères les hommes, restent sur leur colline sauvage, loin l’un de l’autre d’un demi-kilomètre environ. Voici d’abord celui de Junon Lacinienne, qui renferma, dit-on, le fameux tableau de Junon par Zeuxis, qui avait pris pour modèles les cinq plus belles filles d’Acragas.

Puis le temple de la Concorde, un des mieux conservés de l’Antiquité, parce qu’il servit d’église au Moyen Age. Plus loin les restes du temple d’Hercule.

Et, enfin, le gigantesque temple de Jupiter, vanté par Polybe et décrit par Diodore, construit au Ve siècle, et contenant trente-huit demi-colonnes de six mètres cinquante de circonférence. Un homme peut se tenir debout dans chaque cannelure.

Assis au bord de la route qui court au pied de cette côte surprenante, on reste à rêver devant ces admirables souvenirs du plus grand des peuples artistes. Il semble qu’on ait devant soi l’Olympe entier, l’Olympe d’Homère, d’Ovide, de Virgile, l’Olympe des dieux charmants, charnels, passionnés comme nous, faits comme nous, qui personnifiaient poétiquement toutes les tendresses de notre cœur, tous les songes de notre âme, et tous les instincts de nos sens.

C’est l’Antiquité tout entière qui se dresse sur ce ciel antique. Une émotion puissante et singulière pénètre en vous, ainsi qu’une envie de s’agenouiller devant ces restes augustes, devant ces restes laissés par les maîtres de nos maîtres.

Certes, cette Sicile est, avant tout, une terre divine, car si l’on y trouve ces dernières demeures de Junon, de Jupiter, de Mercure ou d’Hercule, on y rencontre aussi les plus remarquables églises chrétiennes qui soient au monde. Et le souvenir qui vous reste des cathédrales de Cefalu, ou de Monreale, ainsi que la chapelle Palatine, cette unique merveille, est plus puissant et plus vif encore que le souvenir des monuments grecs.

Au bout de la colline aux temples de Girgenti commence une surprenante contrée qui semble le vrai royaume de Satan, car si, comme on le croyait jadis, le diable habite dans un vaste pays souterrain, plein de soufre en fusion, où il fait bouillir les damnés, c’est en Sicile assurément qu’il a établi son mystérieux domicile.

La Sicile fournit presque tout le soufre du monde. C’est par milliers qu’on trouve les mines de soufre dans cette île de feu.

Mais d’abord, à quelques kilomètres de la ville, on rencontre une bizarre colline appelée Maccaluba, composée d’argile et de calcaire, et couverte de petits cônes de deux à trois pieds de haut. On dirait des pustules, une monstrueuse maladie de la nature ; car tous les cônes laissent couler de la boue chaude, pareille à une affreuse suppuration du sol ; et ils lancent parfois des pierres à une grande hauteur, et ils ronflent étrangement en soufflant des gaz. Ils semblent grogner, sales, honteux, petits volcans bâtards et lépreux, abcès crevés.

Puis nous allons visiter les mines de soufre. Nous entrons dans les montagnes. C’est devant nous un vrai pays de désolation, une terre misérable qui semble maudite, condamnée par la nature. Les vallons s’ouvrent, gris, jaunes, pierreux, sinistres, portant la marque de la réprobation divine, avec un superbe caractère de solitude et de pauvreté.

On aperçoit enfin, de place en place, quelques vilains bâtiments, très bas. Ce sont les mines. On en compte, parait-il, plus de mille dans ce bout de pays.

En pénétrant dans l’enceinte de l’une d’elles, on remarque d’abord un monticule singulier, grisâtre et fumant. C’est une vraie source de soufre, due au travail humain.

Voici comment on l’obtient. Le soufre, tiré des mines, est noirâtre, mélangé de terre, de calcaire, etc., et forme une sorte de pierre dure et cassante. Aussitôt apporté des galeries, on en construit une haute butte, puis on met le feu dans le milieu. Alors un incendie lent, continu, profond, ronge, pendant des semaines entières, le centre de la montagne factice et dégage le soufre pur, qui entre en fusion et coule ensuite, comme de l’eau, au moyen d’un petit canal.

On traite de nouveau le produit ainsi obtenu en des cuves où il bout et achève de se nettoyer.

La mine où a lieu l’extraction ressemble à toutes les mines. On descend par un escalier étroit, aux marches énormes et inégales, en des puits creusés en plein soufre. Les étages superposés communiquent par de larges trous qui donnent de l’air aux plus profonds. On étouffe, cependant, au bas de la descente ; on étouffe et on suffoque asphyxié par les émanations sulfureuses et par l’horrible chaleur d’étuve qui fait battre le cœur et couvre la peau de sueur.

De temps en temps, on rencontre, gravissant le rude escalier, une troupe d’enfants chargés de corbeilles. Ils halètent et râlent, ces misérables gamins accablés sous la charge. Ils ont dix ans, douze ans, et ils refont, quinze fois en un seul jour, l’abominable voyage, moyennant un sou par descente. Ils sont petits, maigres, jaunes, avec des yeux énormes et luisants, des figures fines aux lèvres minces qui montrent leurs dents, brillantes comme leurs regards. Cette exploitation révoltante de l’enfance est une des choses les plus pénibles qu’on puisse voir.

Mais il existe sur une autre côte de l’île, ou plutôt à quelques heures de la côte, un si prodigieux phénomène naturel, qu’on oublie, quand on l’a vu, ces mines empoisonnées où l’on tue des enfants. Je veux parler du Volcano, fantastique fleur de soufre, éclose en pleine mer. On part de Messine, à minuit, dans un malpropre bateau à vapeur, où les passagers des premières ne trouvent même pas de bancs pour s’asseoir sur le pont. Aucun souffle de brise ; seule la marche du bâtiment trouble l’air calme endormi sur l’eau.

Les rives de Sicile et les rives de la Calabre exhalent une si puissante odeur d’orangers fleuris, que le détroit tout entier en est parfumé comme une chambre de femme. Bientôt, la ville s’éloigne, nous passons entre Charybde et Scylla, les montagnes s’abaissent derrière nous, et, au-dessus d’elles, apparaît la cime écrasée et neigeuse de l’Etna, qui semble coiffé d’argent sous la clarté de la pleine lune.

Puis on sommeille un peu, bercé par le bruit monotone de l’hélice, pour rouvrir les yeux à la lumière du jour naissant.

Voici, là-bas, en face de nous, les Lipari. La première, à gauche, et la dernière à droite, jettent sur le ciel une épaisse fumée blanche. Ce sont le Volcano et le Stromboli. Entre ces deux volcans, on aperçoit Lipari, Filicuri, Alicuri, et quelques îlots très bas.

Et le bâtiment sera bientôt devant la petite île et la petite ville de Lipari.

Quelques maisons blanches au pied d’une grande côte verte. Rien de plus, pas d’auberge, aucun étranger n’abordant sur cette île.

Elle est fertile, charmante, entourée de rochers admirables, aux formes bizarres, d’un rouge puissant et doux. On y trouve des eaux thermales qui furent autrefois fréquentées, mais l’évêque Todaso fit détruire les bains qu’on avait construits, afin de soustraire son pays à l’influence des étrangers.

Lipari est terminée, au nord, par une singulière montagne blanche, qu’on prendrait de loin pour une montagne de neige, sous un ciel plus froid. C’est de là qu’on tire la pierre ponce pour le monde entier.