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Comme ma plaquette est noire, je la loge dans l'angle d'un carré noir, et je suis prêt à vous parier une douzaine de momies contre une bande Velpeau que personne ne s'apercevra jamais de sa présence.

Je me paierais bien une petite perquise, mais je crains, ce faisant, d'éveiller l'attention du vieux sir. M'est avis qu'il doit être fine mouche et repérer les objets déplacés, le rosbif ! Je me retire donc promptement et vais fumer quelques cigarettes dans un fauteuil du hall en attendant le retour du Gros.

Mon vaillant compagnon réapparaît une heure plus tard. Je ne sais pas s'il a encore éclusé, toujours est-il qu'il a la démarche vachement flottante, le pèlerin. On dirait que ses jambes sont à coulisse et qu'à chaque enjambée elles rentrent un peu plus en elles-mêmes.

Ses yeux sont fanés et rouges, ses bras ballants, son chapeau de travers, sa cravate dans sa poche, ses souliers intervertis ; son pan de chemise avant passé par-dessus son futal comme un tablier maçonnique. Il est pâle sous la trame de veinules violettes de ses joues. William qui l'escorte prend congé de lui. J'attends que le pelé du promontoire ait disparu avant d'émettre ce léger sifflement que les tympans béruréens connaissent bien.

Gras-du-bide se retourne et m'avise dans mon fauteuil-club. Il a un hochement de tête, ou plutôt un chancellement de tête, car sa hure paraît brusquement trop lourde pour le (pourtant robuste) cou qui la porte. Ce ne sont pas, cependant, les pensées du Gros qui lui donnent cette pesanteur !

— Eh bien mon yeux ! fait-il en s'approchant de moi. Eh ben mon yeux !…

Ayant proféré, il veut s'asseoir sur l'immense cendrier de métal, large comme des cymbales, le prenant vraisemblablement pour un moderne tabouret. Mais l'objet est monté sur un socle hémisphérique qui dérobe le siège improvisé au monumental fessier.

Le Mastar s'affale sur le tapis.

Compatissant de nature, je l'aide à retrouver son équilibre.

La bouche bourrée de cendres et de mégots, il suffoque, s'étouffe, expectore violemment.

— Je tiens plus sur mes fumerons, lamente-t-il en s'abattant dans le fauteuil que j'occupais.

— Que t'est-il arrivé, ô, homme invincible ?

Son lourd visage se fend comme un melon tombé d'une voiture de maraîcher.

— Si tu saurais, mon pote, c'est toi qu'aurais voulu interpréter le rôle du négus !

— Because ?

— Parle-moi z'en pas, ça me file des vertiges. Cette séance, mon neveu !

— Une séance de quoi, crème d'abrutissement ? Solidification de la pensée humaine ! Putréfaction de l'intelligence ! Avarie de la matière grise ! Malodorance permanente ! Eloge vivant de l'idiotie !

Ce déferlement de qualificatifs passe très au-dessus de sa tête.

— Une séance de radada, mon pote, si tellement formide qu'il va me falloir une pleine bonbonne de Quintonine pour me reconstituer.

La clique de Saint Boufzidontou interpréterait « Elle me fait pouett pouëtt » au moment de l'élévation pendant la grand-messe donnée en la cathédrale de Sartre que ça ne provoquerait pas une plus vive stupeur.

— Quoi ! coassé-je, car je n'ai même plus la force de rouler les « r » pour croasser.

Comme Béru parle couramment grenouille, il répond du talc au talc, comme on dit dans les pouponnières :

— T'aurais maté cette armada de pépées, Mec, et par suroît tu les aurais utilisées, c’t’avec des béquilles que tu serais été te coucher. Blondes ! Toutes ! Allemandes et Scandinaves ! Des beautés magistrates ! Et cette technique, miséricorde (à nœuds !). Jamais vu une telle pothéose. Huit greluses qui t'entreprennent, ça énerve ! Cette précision, maâme la dusèche ! Chacune à son poste ! Un vrai petit équipage d'épongeuses. Pas un geste de trop ! Pas un mot (d'ailleurs ces demoiselles ne causent pas français). Jamais de toute ma vie essensuelle j'ai déniché des gonzesses pareillement expertises. A devenir dingue, mec ! A devenir dingue, positivement.

— Raconte !

— Raconter ! Mais qu'est-ce que je fais-je ? s'égosille le tonitruant. Ces nières, c'est des exclaves, San-A. Des exclaves blondes recrutées et dressées pour embellir les noyes de la reine Kelbobaba. Mine de rien, au retour, j'ai conversationné avec l'English et j'y ai estirpé les vers du naze. Paraît que ma pseudo-souveraine organise des grandes soirées animées à sa cour. Sa passion, c'est de mater ses seigneurs bougnouls en train de se farcir des jolies blondes. L'amour en noir et blanc, c'est son vice. Elle casque des fortunes pour se composer des cheptels bien salaces. C't'une veuve, la reine. D'après la constitution de son pays, elle a pas le droit de reconvoler. Ni même de se faire batifoler dans la broussaille par ses champs bêlants. C'est braconnier comme mœurs, non ? Son seul luxe c'est de regarder. Le supplice de Chantal, en somme. V’là pourquoi la pauvrette organise des délices pour les autres. Elle se rabat sur le visuel. La reine guette-au-trou, quoi ! D'après selon ce que j’ai cru comprendre, les nanas qui partent dans les Malotrus n'en reviennent jamais. Sa Majesté les efface pour pas qu'elles racontent à Pleyel ou à Cinq Colonnes le comment on vit à la cour de Kelbobaba. D'où la difficulté de recrutasser les mômes. Faut toucher des bergères dégagées de toute obligation familiale et capables de disparaître sans que quéqu'un brame au charron !

— Insensé, murmuré-je. Ainsi donc, Tabobo Hobibi venait ici uniquement pour acquérir un troupeau de péteuses ! Et nous qui nous farcissions le chou avec des hypothèses hautement stratégiques…

Par moments, le Gros a des exhalaisons philosophiques.

— La vie n'est que poudre aux yeux, assure cet homme marqué par la clémence des dieux.

— Pourtant, objecté-je…

— Qu'est-ce tu vas encore nous sortir ? résigne Béru.

— Pourtant le ministre s'est fait assassiner, mon ami.

— Et alors ?

— Alors j'en déduis qu'il avait une affaire autrement plus importante qu'un ramassis de putes à conclure.

Ça défrise le faux Noir qui en rougit sous son fond de teint.

— Je vais te faire remarquer deux choses, San-A. La première, c'est que tu pourrais employer un autre mot pour parler de jeunes filles formidablement douées et que je m'ai permis d'honorer toutes les huit !

Il se fourrage l'entre-jambes à onglées laboureuses.

— La deuxième, c'est que l'assassinat du ministre s'éclaircit. Il devait être bourré de dollars pour traiter l'affaire, un malin l'a su et lui a secoué le paquet dans les cagoinsses d'Orly en le poinçonnant pour le faire tenir tranquille.

Une nouvelle fois, force m'est d'agréer la version du Dodu. Il raisonne bien… Comme tout ce qui est creux !

* * *

Il est neuf heures moins quatre minutes (notez-le soigneusement afin de ne pas oublier), lorsque je quitte ma chambre le lendemain matin.

Un magnifique soleil illumine Genève et je me sens d'une humeur délicieuse. Dévasté par sa performance de la veille, le Gros dort avec une telle énergie que je n'ose le réveiller.

Comme je débouche dans le hall, j'avise sir Harry Dezange en grande conversation dans le hall du bas avec son secrétaire et un troisième individu portant au revers de son veston un insigne de la Swissair.

Je pénètre dans l'un des magasins de l'hôtel afin d'observer ces messieurs. Je les vois échanger des papiers et des chèques. Ensuite de quoi, ils se séparent. Dezange et son acolyte se rendent dans la salle à manger for the breakfast comme dit un ami à moi qui est un peu anglais sur les bords, mais qui ne s'en vante pas.