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— Je m'excuse, Monsieur, ne seriez-vous pas Sir Harry Dezange ? que je lui bonnis avec force civilité, le bout de la langue sur la couture de mon pantalon.

Il était perdu en ses pensées, le ressortissant de Sa Gracieuse Majesty. Il marque un temps d'arrêt et son regard bleuâtre finit par se poser sur moi après un vol plané magistral dans le hall.

— En effet, laisse-t-il tomber d'un ton hostile.

On doublerait sa voix à cet instant, on pourrait lui faire dire « Et merde » sans difficulté tellement l'expression est conforme.

— Je me présente : Alcide Citrique, fais-je en me cassant en deux, je suis le secrétaire de monsieur… heu, Kakaocho, si vous voyez ce que je veux dire ?

Il semble voir en effet, car un peu d'intérêt ôte à ses yeux leur aspect d'huîtres avariées.

— Oh, parfaitement, exhale Dezange dans un soupir.

Je baisse la voix.

— Nous avons un certain retard rapport à un ennui mécanique de notre avion qui a dû être dérouté.

— Sorry ! laisse tomber le Sir.

— Son Excellence souhaiterait vous rencontrer le plus rapidement possible, ajoute-je en baissant la voix.

— Naturellement, rétorque l'Anglais. Où est-elle ?

Je désigne la salle à manger.

— Elle est eu train de dîner. Peut-être pourrions-nous prendre le café ensemble ?

Sir (conspect) médite un instant. Ses paupières battent à peine. Il regarde un tableau au mur qui représente une portion de raclette sur de la marmelade d'orange et qui s'intitule « Coucher de soleil sur le Léman ».

— L'hôtel n'est pas très indiqué : trop de gens curieux, dit-il enfin.

Je flotte dans ce que les chimistes appellent une joie sans mélange. Ainsi, le hasard et ma proverbiale jugeote m'ont permis de harponner le correspondant du ministre en quelques heures ! Bravo, San-Antonio ! Une prouesse de plus à ajouter à ton actif !

— Que proposez-vous, en ce cas, Sir ? insisté-je.

— Un de mes amis possède une propriété sur la rive du lac, nous y serons mieux pour causer.

— L'adresse, je vous prie, Sir ?

Il caresse un gros poil blanc planté à l'extrémité de son nez écarlate.

— Le plus simple est que mon secrétaire vous y conduise, décide-t-il. Il vous attendra dans une heure au parking de l'hôtel. Vous le reconnaîtrez : il est à ma table présentement.

— Entendu, Sir.

Il entre le premier et ne s'occupe plus de moi. Je lui rends l'appareil en ne m'occupant plus de lui.

— Ça usine ? me demande Béru dont la bouche graisseuse ressemble à un pain de margarine.

— Plutôt, oui ; j'avais vu juste, il s'agit bel et bien de notre homme.

Le Gros sursaute :

— Si vous voudrez bien me permettre, Baron, c'est plutôt le citoilien Bérurier qu'avait vu juste. Si on t'aurait écouté, on serait encore dans notre piaule à faire de la contemplation téléphonique un tantinet mordbide.

Je rends hommage au sûr instinct qui le fit se rabattre sur ce restaurant.

— Nous avons rendez-vous dans une plombe pour une conférence au sommet, Gros. N'oublie pas que tu as un rôle capital à jouer ! Mets-toi bien dans la peau d'un ministre. Du tact, du doigté, de la diplomatie !

— Et t'essaieras, et t'essaieras ! termine le Mastar. On dirait que tu ne me connais pas, San-An.

Il libère un borborygme intempestif qui fait se retourner la moitié de la salle.

— Pour ce qui est de l'éducation, continue mon sagace ami, c'est pas un ministre qui pourrait m'en remontrer, je tiens à te le souligner pour si des fois ça t'aurait échappé.

Puis, essuyant sa bouche avec la partie la plus large de sa cravate, il ajoute négligemment.

— Tu ferais bien de te recommander une raie au beurre noir, Mec ; vu que je m'ai permis de becter la tienne qui refroidissait.

CHAPITRE FOR (et même extrêment fort)

On croit que certaines gens sont intelligents alors qu'ils n'ont que de la mémoire. On s'imagine que d'autres sont bêtes parce qu'ils se contentent de réfléchir. Dans la vie, faut choisir, mes princes : s'écouter parler, ou se faire entendre !

Un restaurant offre toujours une gamme très variée de lavedus. Je les écoute se vanter d'un tympan distrait en regardant disparaître sir Dezange, flanqué de son acolyte déplumé. Béru, repu, transpire son dîner autant qu'il le digère, en piquetant les plus grosses miettes émaillant la nappe. Pour ce faire, il s'humecte un doigt et l'applique sur la proie croûteuse. Puis il le porte à sa bouche, le tout avec une promptitude de langue caméléonesque.

Il a encore faim, le Gros. Et il aura toujours faim.

— T'as l'air tout chose ? me questionne-t-il après avoir consciencieusement nettoyé la table. Je lui souris.

— J'étais en train de me dire que tout le monde fait semblant de vivre, Gros, mais que dans le fond, personne n'en a vraiment très envie.

Il fronce ses épais sourcils de brute incomplètement divorcée du règne animal.

— T'as de la constipation dans le caberlot, Bonhomme ! s'exclame mon ami ; ou alors c'est glandulaire !

Il me frappe l'épaule, recule sa chaise et, épanoui, s'auto-désigne de ses deux à la fois.

— J'ai pas envie de vivre, moi ? questionne-t-il en réprimant le plus gourmand, le plus insolent de tous les rires.

— Toi, si, conviens-je, mais tu es une exception. Les autres se forcent ; le cœur n'y est pas. Ils sont pleins de « pas d'entrain », empêtrés dans leurs sales combines, lourds des problèmes qu'ils se sont forgés. Il n'est que de les écouter parler, que de les voir se taire, que de contempler leurs agissements. Tiens, je pense à notre affaire, Béru, et je la trouve tristette.

— Sept à dire, ? demande le Dodu.

— Je reprends la genèse, fais-je. La France et ses bombinettes pour noces et banquets, tout juste bonnes à faire tarter les gens heureux du Pacifique, mais bien incapables d'impressionner les grands méchants de ce monde ! La France, donc, notre amère patrie, veut installer des nouvelles bases de lancement sur des territoires qui ne lui appartiennent pas. Jusqu'ici, ils vivaient peinards dans l'archipel des Malotrus. Noix de coco à tous les étages, fleurettes dans les cheveux, mer couleur des mers du Sud ! Sable d'or. Soleil ! Un vrai dépliant du Club Méditerranée. Et puis les chers Occidentaux radinent avec leur matériel de mort ! Ah ! j'ai honte, Gros, de les voir si c…, mes contemporains ; si dissemblables, messemblables ! si dévastateurs ! si anéantisseurs ! si pollueurs ! Ils détruisent ce qu'ils ont bâti et — pire encore — ce que Dieu a bâti. Ils contaminent l'espèce. Ils déciment les futurs ! Biscornus, ils seront tous, les enfants de bientôt. Pourris avant de naître. Condamnés ! Damnés ! Heureux seront les anéantis du premier jour ! Malheur à ceux qui s'achèveront en même temps que l'espèce, informes et inconsistants, monstres et molusques victimes retardées des vieux marchands de foudre dont les squelettes présentables triompheront encore et se pavaneront dans les mausolées épargnés.

— Tu dois avoir soif à jacter de la sorte, m'interrompt Béru, on devrait commander une nouvelle boutanche.

— Commande ! Mais laisse-moi poursuivre, j'ai besoin de me répandre, de me répondre ! Je deviens mon dernier interlocuteur valable, Gros.

— Mouche-toi pas du coude, sermonne cet être équilibré en hélant le loufiat d'un claquement de doigts. Mais avant que tu t'égarasses et te répandasses en circonlocutions, t'entreprenais une revue de l'affaire ?

— Oui, je pensais à ces îles aussi pacifiques que l'Océan qui les baigne et auxquelles on va offrir un mirifique feu d'artifice, en vertu de ce qu'on n'arrête plus le progrès. L'essor en est jeté ! La quiétude de ces braves gens est terminée. Pour eux, il ne s'agît plus que de savoir à quel souffle ils seront désintégrés. Sera-ce par des atomiseurs américains, anglais, égyptiens, ou par ceux de notre cinquième, l'hagarde républicaine ? Leurs gouvernants, alléchés par les chatoyantes promesses, sont décidés au feu d'arti-fesses. Mais au moment de traiter avec la France, v'là qu'il y a vasouillage. On envoie en loucedé le ministre des Affaires étrangères (ô combien !) à Genève pour y rencontrer un vieil Anglais. Le ministre se fait poignarder à Orly.