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Raymond de Perella, seigneur de Montségur, était suzerain des châteaux de Péreille, de Laroque d'Olmes, d'Alzen (act. Nalzen), et Montségur n'était pas sa seule résidence, ni sans doute celle que les sires de Perella préféraient, puisqu'en 1204 le château tombait en ruines. L'édifice devait exister avant l'établissement de la famille de Perella dans le pays, mais sa construction ne paraît pas remonter plus haut que le IXe siècle. Sa construction (ou plutôt son plan, car les murs ont été au moins partiellement reconstruits en 1204) révèle certaines connaissances techniques et mathématiques fort rares en Europe occidentale à cette époque, et du reste l'architecture de Montségur est unique en son genre, non seulement dans la région mais dans tout le Languedoc.

Le rocher, dont le sommet atteint 1207 mètres d'altitude, et d'accès difficile, pouvait servir de défense naturelle; mais à première vue il semblerait que le bâtisseur du château ait été plutôt mal inspiré d'aller se percher si loin et si haut. De nos jours, les ruines de châteaux forts ne manquent pas en haut de pics et de crêtes qui dominent les grandes routes, les fleuves, les cols; Montségur est parmi les rares ruines situées dans des endroits qui ne dominent rien et ne mènent à rien. Le constructeur a dû être plus influencé par la beauté du site que par ses avantages pratiques. On a vu des églises s'édifier dans des endroits invraisemblables - rochers escarpés, sommets isolés, lieux désignés par quelque vision miraculeuse ou consacrés par une tradition païenne christianisée. Le choix du site de Montségur s'apparenterait à celui de Rocamadour ou de Saint-Michel de l'Aiguilhe; mais on ne relève guère, dans la région, de traces d'un culte qui eût justifié la construction d'un temple en ce lieu précis. Du reste, l'architecture de ce château ne ressemble pas à celle d'un édifice religieux; ce n'est pas, non plus, celle d'un château fort. Commandée par la forme du rocher, elle n'en suit pas moins un plan qui semble se soucier avant tout des effets d'éclairage, et de l'orientation des murs par rapport au soleil levant. Mais la particularité la plus étrange de cette construction, ce sont ses deux portes et ce qui reste des fenêtres du donjon: aucun château médiéval - si l'on excepte les murs d'enceinte des grandes villes - ne possède de porte aussi monumentale que la grande porte d'entrée de Montségur. Elle mesure près de deux mètres de largeur et n'est protégée par aucune tour ni aucun ouvrage de défense; dans cet imprenable château on pouvait entrer comme dans un moulin, à condition de franchir d'abord la pente du rocher. De tels portails étaient un luxe réservé aux églises; et, que cette porte ait été percée en 1204 ou laissée telle lors de la reconstruction, un détail de ce genre montre que le château était considéré comme autre chose qu'un ouvrage de défense: la seule idée de faire percer un portail pareil a quelque chose d'insolite et de tout à fait contraire aux règles de l'architecture du moyen âge.

Toutes ces considérations donneraient à penser que Montségur a bien été, soit à l'origine, soit plus tard, destiné à l'exercice d'un culte, et peut-être d'un culte solaire; mais on ne voit pas quels auraient pu être le ou les personnages puissants qui auraient pu faire élever, entre le IXe et le XIIe siècle, cet édifice monumental pour y pratiquer une religion dont on ne retrouve pas de traces dans le pays. Les cathares, semble-t-il, ne vouaient pas de culte au soleil; les manichéens anciens le faisaient, mais il est peu vraisemblable qu'une secte manichéenne ait pu subsister aussi longtemps dans cette région. Cependant, si des survivances de traditions manichéennes ont pu se maintenir dans ces lieux reculés et peu fréquentés, elles ont pu y favoriser la diffusion du catharisme, et Montségur aurait ainsi bénéficié de la faveur des hérétiques en tant que lieu de refuge de leurs ancêtres dans la foi. Ils ne devaient guère y attacher d'importance avant 1204, puisque le château tombait en ruines et était abandonné; mais des parfaites y avaient déjà une "maison", comme elles en avaient du reste dans d'autres endroits montagneux et isolés: elles pouvaient avoir choisi ce site pour sa beauté et son silence. Il est fort probable qu'une tradition locale ait accordé une certaine importance au château de Montségur, et l'ait considéré comme un vestige laissé par les "bons chrétiens" d'autrefois. Car, comme nous l'avons vu, les cathares ne se regardaient nullement comme des novateurs, mais comme des gardiens d'une tradition plus ancienne que le catholicisme.

En 1233, Montségur commençait à apparaître aux catholiques comme la "Synagogue de Satan" - terme emprunté au vocabulaire cathare qui désignait sous ce vocable l'Église romaine. Menacée de mort violente l'Église cathare du Languedoc se serait créé spontanément une capitale terrestre dont le rayonnement pût faire contrepoids à l'ombre de plus en plus dense que Rome projetait sur le pays; et, à l'heure où tant de croyants étaient envoyés, à travers toute l'Europe, vers des lieux de pèlerinage catholiques par mesure de contrôle policier, leurs chefs spirituels dressaient pour eux dans les Pyrénées un lieu saint dont la noblesse pût contrebalancer les splendeurs de Rome, de Saint-Jacques-de-Compostelle, de Notre-Dame du Puy et de Notre-Dame de Chartres.

Le règne de Montségur fut bref. Il n'en constitue pas moins la tentative la plus marquante de l'Église cathare pour s'imposer dans le Languedoc en tant qu'Église nationale. L'Inquisition à elle seule n'aurait peut-être pas eu raison de Montségur, et ce lieu, qui était si rapidement devenu, pour un peuple humilié et traqué, le symbole de tous les espoirs, aurait peut-être pu avoir une influence durable sur l'"Histoire du Languedoc"; mais la citadelle cathare ne devait entrer dans la légende que mutilée et désertée. De la vie intense dont elle avait été le centre, il reste si peu de traces que les hommes, sans doute admirables et héroïques, qui l'ont habitée, sont moins vivants pour nous que les flammes de leur bûcher.

III - LA RÉVOLTE ET L'ÉCHEC DE Raymond VII

Pierre Seila et Guillaume Arnaud dans le diocèse de Toulouse, Arnaud Cathala et Frère Ferrier sur les territoires du roi continuaient leur tâche avec une ténacité exemplaire, malgré la résistance sourde que leur opposait la population du Languedoc. La révolte couvait: elle éclata, une première fois, en 1240: en avril de cette année Raymond Trencavel, à la tête d'une armée composée de faidits, d'exilés et de soldats aragonais et catalans, traversait les monts et, par la vallée de l'Aude, avançait dans le Carcassès. Olivier de Termes soulevait les Corbières et Jourdain de Saissac prenait les armes dans le Fenouillèdes.

Accueillis comme des libérateurs à Limoux, Alet et Montréal, les seigneurs occitans sont en quelques semaines maîtres de tout le pays. Pépieux, Alzille, Laure, Rieux, Caunes, Minerve ouvrent leurs portes; Montoulieu, ayant résisté, est pris d'assaut et la garnison massacrée.

Carcassonne, où le sénéchal Guillaume des Ormes s'est enfermé avec l'archevêque Pierre-Amiel et l'évêque de Toulouse, est investie le 7 septembre par les troupes de Trencavel qui pénètrent dans le bourg où elles sont accueillies avec joie; la révolte est si bien dirigée contre l'Église autant que contre les Français que trente-trois prêtres pris dans le bourg sont massacrés par la population malgré le sauf-conduit donné à eux par le vicomte. Le siège dura plus d'un mois. Malgré les attaques vigoureuses de Trencavel qui tentait de réduire la cité par des travaux de sape et des tirs de machines, Carcassonne résista. Le 11 octobre, l'avance d'une armée royale commandée par Jean de Beaumont força les assiégeants à lever le camp, et l'armée de Trencavel et une partie des habitants du bourg quittèrent Carcassonne après avoir ravagé le couvent des Frères prêcheurs et l'abbaye Notre-Dame et mis le feu à plusieurs quartiers.