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Retiré dans Montréal et à son tour assiégé, Raymond Trencavel se vit forcé à négocier. Le comte de Toulouse n'avait pas bougé; il attendait la suite des événements. Sommé par Pierre-Amiel et Raymond du Fauga de porter secours au sénéchal selon les engagements pris par lui au traité de Meaux, il avait demandé à réfléchir. Il n'était pas allé jusqu'à se soulever à son tour et voler au secours de son cousin: il guettait une meilleure occasion. De concert avec le comte de Foix, il s'entremit auprès des représentants du roi pour négocier une paix honorable pour Raymond Trencavel, qui fut autorisé à repartir en Espagne avec armes et bagages.

Les villes qui s'étaient soulevées furent sévèrement châtiées: le bourg de Carcassonne complètement incendié, Limoux, Montréal et Montoulieu saccagés; les autres payèrent de lourdes contributions. L'armée royale monta vers les Corbières et obtint la soumission des seigneurs de Pierrepertuse et de Cucugnan, puis celle des seigneurs de Niort.

Raymond VII, dont l'attitude pendant la révolte avait paru plus qu'écivoque aux Français, se vit obligé de se rendre à Paris pour y renouveler ses serments de fidélité au jeune roi Louis IX (à présent âgé de 25 ans); il jura de faire la guerre à tous les ennemis du roi, de chasser les hérétiques et les faidits, et de prendre et de détruire Montségur. De plus, le comte donnait des gages de sa loyauté au légat en faisant la paix avec le comte de Provence, qu'il attaquait pour: servir la politique de l'empereur Frédéric II, ennemi juré du pape.

De toute évidence, Raymond VII ne tenait à aucun prix à se brouiller avec le roi à ce moment-là et voulait effacer la fâcheuse impression qu'avait pu produire la révolte de Trencavel. Cette révolte était arrivée trop tôt; et il faut croire que ni les années ni les malheurs n'avaient pu détruire la vieille rivalité entre les comtes de Toulouse et les Trencaveclass="underline" le jeune Raymond n'avait pas consulté son cousin, et ce dernier ne l'avait pas soutenu. Il est vrai qu'il préparait une opération de grande envergure et son heure n'était pas encore venue.

Raymond VII avait renoncé à l'espoir de reconquérir son indépendance par une résistance locale condamnée d'avance à l'échec: il avait déjà fait l'impossible, et sa victoire sur les troupes de Montfort l'avait amené au traité de Meaux. Ce n'est qu'en affaiblissant d'une façon durable la puissance des rois de France qu'il pouvait rendre à son pays sa liberté et sa prospérité; il n'avait aucune chance d'y parvenir par ses propres forces. Il songeait donc à des combinaisons politiques plus vastes: ce n'était pas Trencavel et Olivier de Termes qui pouvaient chasser les Français du pays; c'étaient le roi d'Angleterre, l'empereur d'Allemagne et une ligue de grands vassaux qui, en cas de victoire, pourraient dicter leurs conditions à la France. Pour assoupir les soupçons du pape et du roi, le comte de Toulouse était prêt à toutes les soumissions et à toutes les manifestations d'orthodoxie; du reste, les souverains qu'il se cherchait pour alliés étant tous catholiques, il tenait moins que jamais à passer pour un protecteur de l'hérésie.

De plus, il avait, du pape, deux faveurs importantes à obtenir: la permission d'enterrer son père et celle de répudier sa femme. Il était assez vain, en effet, de vouloir secouer le joug des Français, si de toute façon le Languedoc devait, après la mort du comte, tomber automatiquement aux mains du roi de France par droit d'héritage. Or, Raymond VII ne parvenait toujours pas à se séparer de sa femme, stérile depuis vingt ans: le pape se gardait bien d'autoriser un divorce qui nuisait aux desseins du roi de France. Pour complaire au pape, le comte sacrifia son alliance avec l'empereur (pas pour longtemps comme on le verra) et s'en trouva mieux armé pour procéder à l'annulation de son mariage, d'autant plus qu'il était soutenu par Jacques I, neveu de la comtesse. Raymond prétendit avoir découvert, après vingt-cinq ans de mariage, que son père Raymond VI avait été un des parrains de la princesse Sancie, et qu'il se trouvait avoir épousé une filleule de son père. Il produisit des témoins et le mariage fut déclaré nul, à la grande indignation de l'évêque de Toulouse et au mécontentement, plus grand encore, d'Alphonse de Poitiers et de son épouse Jeanne, fille de Raymond VII.

Débarrassé de sa femme, le comte de Toulouse devenait un assez bon parti pour les filles des grands féodaux du Midi de la France. Raymond-Bérenger, comte de Provence (fils d'Alphonse, frère cadet de Pierre II d'Aragon), après s'être appuyé sur le roi de France pour se défendre contre les prétentions de l'empereur, songeait à présent à un moyen de se débarrasser de la tutelle des Français; Raymond VII, après avoir fait, en 1239, la guerre au comte de Provence pour servir les intérêts de l'empereur, lui proposait la paix, faisant ainsi coup double: d'un côté il donnait satisfaction au pape, d'un autre côté il s'acquérait un allié dans sa lutte future contre le roi.

Raymond-Bérenger n'avait que des filles; l'aînée était mariée à Louis IX, la cadette à Henri III d'Angleterre; deux autres restaient à pourvoir. Pas plus que Raymond VII, le comte de Provence, ne tenait à voir le roi de France hériter ses domaines: dix ans de domination française dans le Carcassès et l'Albigeois avaient dû amplement édifier les seigneurs méridionaux sur le sort qui attendait leurs pays en cas de mainmise royale. Raymond-Bérenger élut pour son troisième gendre le comte de Toulouse, dans l'espoir de fonder, avec lui et son cousin Jacques I d'Aragon, une ligue de barons du Midi assez puissante pour mettre en échec l'autorité royale. Pour Raymond VII, le mariage était une question vitale, puisque seul un héritier mâle pouvait (malgré les clauses du traité de Meaux) sauvegarder l'indépendance de sa terre.

Le comte avait, en 1241, quarante-quatre ans; il n'y avait aucune raison de supposer qu'il n'aurait plus de descendants, et cette circonstance pouvait compromettre, pour la France, les avantages du traité de Meaux. Or, à moins d'aller chercher une fiancée au Danemark, aucun prince d'Europe ne pouvait se marier sans une dispense du Saint-Père, et les familles des grands barons du Midi étaient toutes unies entre elles par des liens de parenté: Raymond VII se trouvait être parent par alliance des filles de Raymond-Bérenger, son épouse répudiée étant (ironie du sort) grand-tante de ces jeunes princesses. La dispense ne semblait pas être difficile à obtenir et le roi Jacques I d'Aragon représenta le comte de Toulouse à Aix, pour un mariage par procuration avec Sancie, troisième fille du comte de Provence. Ce mariage ne devait pas être consommé: Grégoire IX mourut le 21 août 1241, son successeur Célestin IV n'eut pas le temps de s'occuper de la dispense: son pontificat ne dura que quelques semaines; après sa mort (octobre 1214), le siège pontifical resta vacant vingt mois et le comte de Provence (se disant sans doute que cette dispense qui tardait trop risquait de ne jamais venir) maria sa fille à Richard, frère du roi d'Angleterre.

Le comte de Toulouse n'eut plus qu'à se chercher un nouveau beau-père: il porta son choix sur la fille d'Hugues de Lusignan, comte de La Marche. Là aussi, une dispense était nécessaire: Marguerite de La Marche et Raymond VII étaient consanguins au quatrième degré, descendant tous deux de Louis VI le Gros. Cette dispense-là, pour d'autres raisons, ne sera pas obtenue non plus.

Hugues de Lusignan, suzerain du Poitou, poussé par sa femme Isabelle d'Angoulême, veuve de Jean sans Terre, se cherchait, lui aussi, des alliés contre le roi de France. En 1242, le jeune Louis IX vit se former contre lui une ligue où prenaient part (plus ou moins directement) le duc de Bretagne Pierre Mauclerc, le comte de Toulouse, le comte de La Marche, le comte de Provence, soutenus d'un côté par le roi d'Angleterre Henri III, d'autre part par Jacques I d'Aragon. La coalition, en apparence puissante, n'était ni assez unie ni assez organisée pour mettre en échec la jeune et combative monarchie française. Nous avons vu que sur le plan militaire les Français du Nord avaient sur les Méridionaux une incontestable supériorité; et la défaite rapide de Raymond Trencavel avait montré qu'en pays ennemi et avec des troupes numériquement faibles les Français finissaient toujours par avoir le dessus. L'espoir de Raymond VII: encercler les domaines du roi et frapper l'adversaire sur plusieurs fronts en même temps, eût pu se réaliser si tous ses alliés avaient été aussi désireux que lui de faire la guerre au roi de France.