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Mais le plus intéressé de tous, le comte de Toulouse, était aussi le plus faible, avec les garnisons royales à quelques dizaines de kilomètres de sa capitale, ses places fortes démantelées, et le contrôle incessant que l'autorité royale et l'Église ne cessaient d'exercer sur lui. Passant de Provence en Poitou, du Poitou en Espagne, Raymond VII avait consacré les années 1240-1242 à une intense activité diplomatique, en prenant du reste toutes les précautions pour ne pas éveiller les soupçons de Blanche de Castille: les 19 et 26 avril 1241, il signait avec le roi d'Aragon un traité d'alliance qui avait pour objet la défense de l'orthodoxie catholique et du Saint-Siège. Puis, il conclut une alliance offensive et défensive avec Hugues de Lusignan. Ensuite, il obtint l'adhésion des rois de Navarre, de Castille et d'Aragon, puis de Frédéric II. On ne peut dire que Raymond VII ait manqué de bonne volonté, ni même d'habileté; mais son sort, à présent, dépendait beaucoup moins de lui que de ses alliés, et pour eux la défaite de la France n'était pas d'un intérêt vital.

De retour d'Aragon et en chemin vers le Poitou, le comte tomba malade à Penne en Agenais, si gravement qu'on le crut à la mort (14 mars 1242). Cette maladie tombait assez maclass="underline" le comte de La Marche n'attendit pas le rétablissement de son allié pour dénoncer le lien de vassalité qui le liait aux rois de France. À peine rétabli, Raymond VII convoqua en hâte ses vassaux, au début d'avril, pour s'assurer de leur fidélité; tous jurèrent de le soutenir jusqu'à bout: Bernard comte d'Armagnac, Bernard comte de Comminges, Hugues comte de Rodez, Roger IV comte de Foix, les vicomtes de Narbonne, de Lautrec, de Lomagne, etc., s'engagèrent à aider le comte dans sa lutte contre le roi de France. C'était la déclaration de guerre.

Le jeune Louis IX, ne perdant pas de temps, se précipite avec son armée en Saintonge, où il écrase les troupes du comte de La Marche. La guerre débutait mal. Comptant sur la force du roi d'Angleterre et de ses autres alliés, Raymond VII ne songea pas à reculer: il savait qu'une deuxième occasion ne se représenterait pas. Mais la rapidité de la décision royale avait déjà compromis le succès de l'entreprise; et les vassaux du comte, toujours prêts à se battre pour leurs propres terres, ne tenaient pas à voler au secours d'Hugues de Lusignan.

Dans le peuple, la révolte, qui couvait comme un feu sous la cendre, flamba brusquement à la nouvelle de la guerre qui se préparait. Le signal en fut donné par le massacre d'Avignonet.

D'après les dépositions de témoins qui ont participé de près à l'affaire, ce massacre fut décidé à l'instigation directe du comte de Toulouse. Voici le récit que Fays de Plaigne, femme de Guillaume de Plaigne, fit aux inquisiteurs: "Guillaume et Pierre-Raymond de Plaigne, deux chevaliers de la garnison de Montségur, se trouvaient au château de Bram lorsqu'un certain Jordanet du Mas arriva pour dire à Guillaume que Raymond d'Alfaro l'attendait dans la forêt d'Antioche. R. d'Alfaro était viguier de Raymond VII et baile du château d'Avignonet. G. de Plaigne rencontra R. D'Alfaro au lieu indiqué, et le baile, après lui avait fait jurer le secret, lui dit: "Mon maître le comte de Toulouse ne peut pas se déplacer, non plus que Pierre de Mazerolles ou les autres chevaliers disponibles. Or, il faut tuer frère Guillaume Arnaud et ses compagnons. Je demande à P.-R. de Mirepoix et à tous les hommes d'armes de Montségur de venir au château d'Avignonet, où se trouvent en ce moment les inquisiteurs. Je conduirai d'ailleurs des lettres pour Pierre-Roger. Hâte-toi. En récompense, tu auras le meilleur cheval que l'on trouvera dans Avignonet après la mort des inquisiteurs177"".

Ce témoignage met en cause le comte de Toulouse de la façon la plus explicite. Peut-être Fays de Plaigne n'a-t-elle déposé dans ce sens que pour dégager en partie la responsabilité des siens? Le premier responsable direct est, dans tous les cas, Raymond d'Alfaro, qui a convoqué les hommes de Montségur et, seul, a rendu le meurtre possible. Il est douteux qu'il ait pu agir de sa propre initiative, ou du moins sans être sûr de l'approbation de Raymond VII; du reste, il était, en dehors de son titre de baile, très lié avec le comte, lequel était son oncle (R. d'Alfaro était le fils de Guillemette, fille naturelle de Raymond VI). Le comte, malgré sa haine pour les inquisiteurs, ne pouvait charger ses propres chevaliers d'un acte de violence; les chevaliers de Montségur n'étaient pas ses sujets, mais des rebelles déclarés et, de plus, demeuraient en un lieu réputé imprenable.

Mais ce n'était pas une corvée que le comte imposait aux chevaliers de Montségur, loin de là. C'était une aubaine, une faveur inespérée, une fête; ces hommes coururent au macabre rendez-vous avec une impatience d'amoureux pressés de revoir leur belle. Guillaume de Plaigne se rendit à franc étrier à Montségur annoncer la bonne nouvelle à Pierre-Roger de Mirepoix, commandant de la garnison; celui-ci rassembla aussitôt ses chevaliers et ses sergents d'armes, en leur disant: "Préparez-vous. Il s'agit d'une affaire très importante, qui nous rapportera un grand profit178!"

Ils étaient une soixantaine environ, soit près de la moitié de la garnison de Montségur, quinze chevaliers et quarante-deux sergents d'armes; tous appartenaient à la petit noblesse de la région, les Massabrac, les Congost, les Plaigne, les hommes de Montferrier, d'Arzeus, de Laroque d'Olmes, de Castelbon, de Saint-Martin-la-Lande... tous croyants cathares, sans doute depuis deux ou trois générations, car la plupart étaient des jeunes gens. Peut-on croire que P.-R. de Mirepoix ait caché aux parfaits le but de cette expédition? Eût-il risqué de prendre une telle responsabilité sans consulter le chef de la communauté, l'évêque Bertrand Marty? Les bons hommes ne fréquentaient peut-être pas la salle d'armes, mais ils devaient participer avec ardeur à tout ce qui se passait au dehors, puisque eux-mêmes se déplaçaient sans cesse et entretenaient des rapports suivis avec les croyants des environs. La mission dont R. d'Alfaro avait chargé les hommes de Montségur était contraire à la charité chrétienne, mais il n'y a pas lieu de croire que Bertrand Marty et ses compagnons l'aient désapprouvée.

Guillaume-Arnaud entreprenait une nouvelle tournée inquisitoriale, accompagné du Franciscain Étienne de Saint-Thibéry que le pape Innocent IV lui avait adjoint pour satisfaire aux exigences du comte de Toulouse. Les deux inquisiteurs étaient assistés dans leurs fonctions par deux Dominicains, Garsias d'Aure et Bernard de Roquefort, d'un Franciscain, compagnon d'Étienne de Saint-Thibéry, de Raymond Carbonier, assesseur du tribunal, représentant l'autorité épiscopale, de Raymond Costiran, dit Raymond l'Écrivain, ancien troubadour devenu archidiacre de Lézat (cet homme avait, 10 ans plus tôt, pris la défense de B.-O. de Niort lors de son procès) et de quatre domestiques.

Avignonet, situé en plein Lauraguais, sur les confins du domaine du comte de Toulouse, passait pour un nid d'hérétiques; tous les pays des environs, les Cassés, La Bessède, Laurac, Sorèze, Saissac, Saint-Félix étaient de vieille tradition hérétique et il fallait à Guillaume-Arnaud et à ses compagnons un certain courage pour y organiser une Inquisition au moment même où le comte de Toulouse venait de déclarer la guerre au roi de France. Ils voyageaient à cheval, sans escorte, et s'installaient dans le logis que les autorités locales mettaient à leur disposition.