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La garnison recevait le concours de forces fraîches; des hommes dévoués à la cause cathare traversaient de nuit les lignes ennemies pour grimper jusqu'au château et se joindre aux défenseurs. Tout le temps que dura le siège, les communications avec l'extérieur continuèrent: la montagne, longue, large, escarpée, énorme vague de blocs calcaires terminée au sommet par une roche nue descendant presque à pic dans la vallée, était très difficile à encercler complètement. L'armée assiégeante, dont les effectifs montèrent parfois jusqu'à dix mille hommes, ne pouvait contrôler de nuit et de jour tous les sentiers et pas de montagne par lesquels les assiégés sortaient, rentraient, ramenaient des amis, des provisions, des nouvelles du dehors. En fait, la difficulté du siège venait sans doute autant de la complicité inlassable et fervente de la population du pays avec les assiégés, que des merveilleuses défenses naturelles de la forteresse.

L'armée d'Hugues des Arcis, en se présentant au pied du roc formidable au sommet duquel le château semblait narguer l'adversaire, dut d'abord installer son camp au col du Tremblement, fermant ainsi aux assiégés l'accès le plus commode vers la vallée, et occuper le village; elle ne pouvait faire grand-chose d'autre, il ne restait qu'à attendre des renforts. L'archevêque de Narbonne envoya des milices recrutées parmi les bourgeois et les gens du peuple.

On ne possède aucun renseignement précis sur le nombre des chevaliers français amenés par le sénéchaclass="underline" peut-être plusieurs centaines, car Hugues des Arcis s'était préparé à un siège sérieux et avait dû faire appel à une bonne partie des effectifs militaires dont il disposait. Aussi bien, les défaites toutes récentes de Trencavel et de Raymond VII laissaient-elles aux Français les mains libres; cette chevalerie, qui n'avait pas fait les campagnes de Simon de Montfort, ne possédait sans doute pas l'expérience nécessaire pour combattre dans un pays de montagne, mais elle constituait un corps d'armée discipliné et solide, capable de prendre l'ennemi par l'usure, au cas où l'escalade du pog s'avérerait impossible. Mais les Français, même avec leurs écuyers et sergents d'armes, n'étaient évidemment pas assez nombreux. Les armées locales, supérieures en nombre, étaient surtout composées de fantassins que, sur réquisition de l'archevêque, villes et bourgs équipaient et envoyaient à leurs frais; beaucoup n'étaient même pas soldats de profession. La plupart ne devaient pas avoir un grand désir de se battre contre leurs compatriotes et faisaient leur temps de service à contrecœur. Il formaient les détachements qui encerclaient la montagne et contrôlaient les routes, les passages et les gorges; tout au long du siège, malgré les efforts de l'archevêque, il y eut dans cette armée des désertions et, bien entendu, une complicité passive avec les assiégés. Ceux-ci traversaient sans cesse les lignes, parfois en groupes nombreux, et le blocus de la montagne, sur lequel Hugues des Arcis comptait pour réduire l'adversaire, se trouvait être pratiquement impossible. Ce nid d'aigle ne pouvait qu'être pris d'assaut, entreprise qui, à première vue, semblait désespérée.

On ne pouvait songer à tenter l'escalade du rocher, ni même celle de la pente découverte, encore assez raide, qui, du col du Tremblement, menait au château: le détachement qui se fût risqué sur cette pente eût été écrasé par les pierres jetées par les défenseurs bien avant d'avoir fait la moitié de la côte. Les Français étaient donc forcés de se tenir à une bonne distance du château, et ne pouvaient se servir ni de leurs armes ni de leurs machines.

La crête orientale, la seule qui pût être escaladée sans danger - si l'on peut dire - ne pouvait être atteinte que par des sentiers de montagne assez raides, des pistes forestières connues des gens du pays mais assez difficilement accessibles; et d'ailleurs, la crête elle-même, parcourue par des sentinelles et, de plus, séparée du château par une dénivellation d'une dizaine de mètres, ne donnait pas encore directement accès à la citadelle. Cette crête étroite, longue d'une centaine de mètres environ, constituait le seul point d'accès et était protégée par des fortifications en bois, d'où les défenseurs pouvaient aisément repousser les assaillants dans l'abîme.

Pendant cinq mois, assiégés et assiégeants restèrent sur leurs positions respectives, les uns perchés au sommet de la montagne, les autres éparpillés dans les vallées et sur les pentes des alentours; il semble qu'il y ait eu des tentatives d'escalade repoussées, car on sait que trois hommes de la garnison de Montségur furent mortellement blessés avant octobre 1243. C'était à peu près le seul résultat obtenu par cinq mois d'un siège coûteux et épuisant.

Qui étaient les défenseurs et les habitants de la place assiégée? Les registres des inquisiteurs nous révèlent les noms de trois cents personnes qui se trouvaient dans le château pendant le siège; plus cent cinquante au moins dont les noms sont restés inconnus parce qu'on n'a pas jugé utile de les interroger, nous verrons plus tard pour quelle raison.

Le seigneur du château, Raymond de Perella, s'était pour ainsi dire mis au service des bons hommes; il se trouvait être plutôt l'intendant et le premier défenseur que le propriétaire de la place. Il y vivait avec sa famille: sa femme Corba de Lantar, ses trois filles et son fils. Le fils, Jordan, devait être tout jeune, car il ne semble pas avoir pris une part active à la défense; des filles, deux étaient mariées: Philippa à Pierre-Roger de Mirepoix, Arpaïs à Guiraud de Ravat; la troisième, Esclarmonde, était infirme et s'était vouée à Dieu, de même que sa mère, qui n'était pas encore parfaite mais devait donner plus tard une preuve éclatante de l'ardeur de sa foi; elle était, elle-même, fille de Marquésia de Lantar qui vivait également à Montségur et était une hérétique revêtue. Pierre-Roger de Mirepoix, mari de l'aînée des filles du châtelain, était, comme nous l'avons vu, le chef de la garnison, et un des meilleurs chevaliers du pays; faidit, puisque les héritiers de Guy de Lévis occupaient à présent le Mirepoix, et issu d'une famille dévouée à l'hérésie: Fomeria, la mère de son parent Arnaud-Roger de Mirepoix, avait été une des parfaites qui séjournaient à Montségur en 1204; la fille de Fomeria, Adalays, avait également vécu au couvent des parfaites de Montségur et ses fils Othon et Alzeu de Massabrac se trouvaient parmi les chevaliers de la garnison. Une fille de cette même Adalays avait épousé Guillaume de Plaigne (déjà cité). Bérenger de Lavelanet, un des co-seigneurs du lieu, était le beau-père d'Imbert de Salas, sergent d'armes de la garnison, et une de ses sœurs était parfaite à Montségur. Les chevaliers et leurs écuyers appartenaient tous à la petite noblesse des environs et formaient pour ainsi dire une grande famille. Chacun comptait parmi ses proches parentes au moins une parfaite.

À ce propos, on peut se demander quel fut exactement le rôle joué par les femmes dans la religion cathare. Il est certain que beaucoup de femmes nobles, veuves ou même mariées mais déjà âgées, se retiraient du monde pour mener une vie de prière, en compagnie d'autres parfaites; ces austères matrones élevaient leurs enfants dans un dévouement total à leur foi, et la plupart des chefs de l'Église cathare devaient être, dès l'enfance, promis au sacerdoce par des mères ardemment croyantes (ce qui explique, sans doute, certains cas éclatants d'apostasie observés chez des parfaits). Mais aucune de ces femmes ne semble avoir joué un rôle comparable, même de loin, à celui des évêques et des diacres cathares; si certaines ont mené une vie clandestine très active, elles n'occupaient tout de même dans la hiérarchie cathare que des emplois subalternes; la plupart vivaient retirées dans des ermitages et dans des grottes, jeûnant et priant et engageant d'autres femmes à suivre leur exemple. Ce qui paraît évident, c'est que le catharisme, que l'on a accusé de vouloir détruire les affections naturelles, a été une religion très patriarcale, et dont la force résidait justement dans les liens de famille qui, de la grand-mère aux petits-enfants, du beau-père au gendre et des oncles aux neveux, avaient fini par gagner à l'Église cathare une société puissamment unie, solidaire dans sa foi comme dans la défense de ses intérêts. Et c'est pourquoi le rôle des femmes y était si apparent: gardienne de la famille, la femme était aussi la gardienne des traditions religieuses. Et les chevaliers et dames qui montaient à Montségur pour y célébrer les fêtes de Noël ou de la Pentecôte y venaient également pour rendre visite à quelque vénérable mère, tante ou aïeule et recevoir sa bénédiction.