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Au lendemain de cette nuit tragique, le cor sonna sur le mur de la forteresse. Raymond de Perella et Pierre-Roger de Mirepoix demandaient à négocier.

II - LE BÛCHER

Les pourparlers commencèrent le 1 mars 1244. Après plus de neuf mois de siège, Montségur capitulait. Excédés eux aussi par ce siège trop long, les croisés ne discutèrent pas longtemps. Les conditions de la capitulation étaient les suivantes:

1° Les défenseurs garderaient la place pendant quinze jours encore et livreraient des otages.

2° Ils obtenaient le pardon pour toutes leurs fautes passées, y compris l'affaire d'Avignonet.

3° Les hommes d'armes se retireraient avec armes et bagages, mais devraient comparaître devant les inquisiteurs en vue d'une confession de leurs fautes. Ils ne seraient passibles que de pénitences légères.

4° Toutes les autres personnes se trouvant dans la citadelle demeureraient libres et ne seraient soumises qu'à des pénitences légères, moyennant abjuration de l'hérésie et confession devant les inquisiteurs. Celles qui n'abjureraient pas seraient livrées au bûcher.

5° Le château de Montségur serait rendu au roi et à l'Église.

En somme, ces conditions étaient bonnes; il eût été difficile d'en obtenir de meilleures: grâce à leur héroïque résistance, les hommes de Montségur échappaient à la mort et leurs proches à la prison perpétuelle. Les auteurs du massacre d'Avignonet se voyaient garantir non seulement la vie sauve mais la liberté.

Comment l'Église - en la personne de ses représentants qui participaient au siège - a-t-elle pu consentir à absoudre un crime aussi grand, alors que le châtiment des assassins de Guillaume-Arnaud devait lui paraître aussi important que celui des hérétiques? Il semble pourtant que si les deux parties étaient tombées d'accord si vite sur ce point, c'est que le terrain était déjà préparé. Les messages à plusieurs reprises échangés entre le comte de Toulouse et les assiégés de Montségur devaient concerner, entre autres, l'affaire d'Avignonet.

En effet, à l'époque du siège, le comte était en pourparlers avec le pape en vue de faire lever son excommunication qu'il avait encourue au lendemain de ce crime dont il se proclamait innocent. Ce fut vers la fin de 1243 que le pape Innocent IV révoqua la sentence d'excommunication de Frère Ferrier, en déclarant que le comte de Toulouse était son "fils fidèle et catholique". L'excommunication lancée par l'archevêque de Narbonne devait être levée le 14 mars 1244, deux jours avant la prise de possession de Montségur par l'armée royale. Cette coïncidence de dates est peut-être fortuite; mais il est possible qu'il ait existé un rapport étroit entre les démarches du comte et le sort des hommes de Montségur et, en particulier, de P.-R. de Mirepoix qui s'intéressait tant à la bonne marche des affaires du comte de Toulouse. Le comte aurait conseillé aux assiégés de tenir bon, non dans l'intention d'amener des renforts (il est évident qu'il n'y songeait guère), mais dans l'intention d'obtenir le pardon total de l'affaire d'Avignonet. Les dépositions des gens de Montségur devaient compromettre beaucoup de personnes du dehors (en plus du comte lui-même), et ces personnes ne furent jamais inquiétées.

D'autre part, les mérites personnels des défenseurs et la nécessité d'en finir avec un siège qui, si la grâce était refusée, pouvait durer encore, avaient pu engager Hugues des Arcis et ses chevaliers à faire pression sur l'archevêque et sur Frère Ferrier. Le crime politique qu'était le meurtre des inquisiteurs ne devait pas être réprouvé outre mesure par les Français, qui commençaient peut-être à comprendre la situation du pays et les sentiments de la population indigène. Les soldats de Montségur n'étaient plus que des hommes qui avaient vaillamment combattu et qui avaient droit au respect de l'adversaire.

Une trêve était accordée à Montségur; quinze jours, pendant lesquels la forteresse déjà rendue refusait encore à l'ennemi l'accès de ses portes. Quinze jours pendant lesquels, sur la foi de la parole donnée, les deux adversaires resteraient sur leurs positions, sans chercher à attaquer ni à fuir. La machine de l'évêque Durand s'était tue, les sentinelles n'avaient plus à guetter sur les remparts; les soldats n'avaient plus à vivre dans l'attente perpétuelle d'une alerte. Montségur allait passer ses derniers jours de liberté dans la paix - si l'on peut appeler paix une attente de la séparation et de la mort, sous le regard vigilant de l'ennemi posté dans sa tour à moins de cent mètres du château.

À côté des heures tragiques qu'ils venaient de vivre c'était, pour les habitants de Montségur, la paix; pour beaucoup, un dernier répit. On a pu se demander pourquoi les assiégés exigèrent ce délai, qui prolongeait inutilement une existence devenue intenable. Peut-être cette demande s'explique-t-elle par le fait que l'archevêque de Narbonne et Frère Ferrier ne pouvaient prendre sur eux la responsabilité d'absoudre les assassins des inquisiteurs et ont jugé nécessaire de s'en référer au pape? Il est plus probable que le délai ait été demandé par les assiégés eux-mêmes, dans le but de rester encore avec ceux des leurs qu'après la reddition du château ils ne devaient plus revoir. Il est très probable (comme le suggère F. Niel) que l'évêque Bertrand Marty et ses compagnons aient voulu, avant de mourir, célébrer une dernière fois la fête qui correspondait pour eux à celle de Pâques. On sait que les cathares célébraient cette fête, puisqu'un de leurs grands jeûnes précédait justement Pâques.

Faut-il croire que sous ce nom ils désignaient la fête manichéenne de la Bema, qui se situait à peu près à la même époque de l'année? Aucun document ne permet de l'établir avec certitude et, comme nous l'avons vu, le rituel cathare qui cite avec tant d'insistance et si abondamment les Évangiles et les Épitres, ne mentionne pas une seule fois le nom de Manès. Cette religion aurait-elle eu deux enseignements distincts et le consolamentum, tenu pour le sacrement suprême, ne serait-il qu'une manifestation de piété réservée aux non-initiés? Il semble assez difficile de l'admettre; le catharisme, manichéen par sa doctrine, était profondément chrétien quant à la forme et à l'expression de sa pensée. Les cathares vénéraient trop exclusivement le Christ pour pouvoir accorder dans leur culte une place importante à Manès. Cependant, on manque de données qui pourraient faire comprendre ce que représentait exactement pour eux la célébration de la fête de Pâques, ou celle de la Bema.

Il est vraisemblable aussi, et humain, qu'avant de se séparer à jamais, les uns et les autres aient voulu s'accorder ce répit suprême. Ce n'était vraiment pas trop. Et il était sans doute difficile d'obtenir davantage.

Des otages furent livrés, dans les premiers jours de mars. C'étaient, comme il ressort des interrogations, Arnaud-Roger de Mirepoix, vieux chevalier, parent du chef de la garnison; Jordan, fils de Raymond de Perella; Raymond Marty, frère de l'évêque Bertrand; d'autres dont on ignore les noms, la liste des otages n'ayant pas été retrouvée.

Certains auteurs ont cru que Pierre-Roger de Mirepoix lui-même se serait retiré du château avant la fin de la trêve, voire avant la signature de l'acte de capitulation. Cette supposition n'est guère vraisemblable, puisque d'après la déposition d'Alzeu de Massabrac, Pierre-Roger se trouvait encore dans la forteresse le 16 mars. On sait qu'ensuite il se retira à Mongaillard, puis on perd sa trace, pour dix ans. Le silence qui s'est fait autour de son nom a peut-être contribué à le faire accuser sinon de trahison, du moins de désertion? Il est pourtant logique de penser que les vainqueurs devaient trouver gênante la présence du principal auteur du coup d'Avignonet, et qu'ils lui aient demandé de s'éclipser avec le maximum de discrétion: l'homme qui avait manifesté un si vif désir de boire du vin dans le crâne de Guillaume-Amaud ne pouvait bénéficier que d'une grâce accordée pour ainsi dire à la sauvette. Onze ans plus tard, il est mentionné par les enquêteurs royaux comme "faidit et dépossédé pour avoir été fauteur et défenseur d'hérétiques au château de Montségur". Il ne devait réintégrer ses droits civils qu'en 1257. Il est donc difficile de croire que cet homme ait, d'une façon quelconque, pactisé avec l'ennemi.