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Pierre-Roger de Mirepoix et son beau-père Raymond de Perella restèrent donc dans la place jusqu'à la fin de la trêve, avec la majorité de la garnison, leurs familles, et les hérétiques - ceux qui ne voulaient pas abjurer leur foi et devaient, suivant les clauses de la capitulation, être livrés au bourreau. Les quinze jours durent être consacrés à des cérémonies religieuses, à la prière et aux adieux.

De la vie des habitants de Montségur durant cette quinzaine tragique, nous ne connaissons que ce que les inquisiteurs ont bien voulu demander aux témoins qu'ils interrogèrent par la suite: des détails précis, dépouillés, dont la sécheresse voulue ne parvient pas à cacher l'émouvante grandeur. D'abord le dernier partage des biens de ceux qui allaient mourir: en reconnaissance pour son dévouement les hérétiques Raymond de Saint-Martin, Amiel Aicart, Clamens, Taparell et Guillaume Pierre apportèrent à Pierre-Roger de Mirepoix une couverture pleine de deniers. Au même Pierre-Roger, l'évêque Bertrand Marty donna de l'huile, du poivre, du sel, de la cire, et une pièce d'étoffe verte: cet austère vieillard ne possédait sans doute pas d'objets plus précieux. C'est encore à Pierre-Roger de Mirepoix que les hérétiques attribuèrent une grande quantité de blé et cinquante pourpoints pour ses hommes. La parfaite Raymonde de Cuq donna une arche de froment à Guillaume Adhémar, sergent d'armes (les provisions déposées dans la forteresse étaient donc bien considérées comme appartenant à l'Église cathare et non aux propriétaires du château)191.

La vieille Marquesia de Lantar donna tous ses effets à sa petite-fille Philippa, femme de Pierre-Roger. D'autres hérétiques donnaient aux soldats quelques sous melgoriens, de la cire, du poivre, du sel, une paire de souliers, une bourse, des braies, du feutre192... tout ce que les bons hommes possédaient encore; et certains de ces objets devaient sans doute avoir surtout une valeur de reliques.

Les dépositions relatent ensuite les cérémonies auxquelles les témoins assistèrent ces jours-là - les seules sur lesquelles on leur ait demandé des détails - les consolamenta. En ces jours où le fait d'entrer dans l'Église cathare signifiait une mort certaine et imminente, il se trouva au moins dix-sept personnes assez croyantes pour aspirer à cette faveur. Ils étaient six femmes, et onze hommes, tous chevaliers ou sergents d'armes.

L'une de ces femmes était l'épouse du seigneur de Montségur, Corba de Perella. Corba, fille de la parfaite Marquesia, mère d'une enfant infirme et probablement déjà "consolée", devait s'être depuis longtemps préparée à ce pas décisif; elle le franchit le dernier jour, l'avant-veille de la fin de la trêve, abandonnant son mari, ses deux filles mariées, ses petits-enfants, son fils, dont la présence l'avait sans doute retenue jusque-là et auxquels elle préférait à présent le martyre pour sa foi193. Ermengarde d'Ussat était une noble femme de la région, Guillelme, Bruna et Arssendis étaient des femmes de sergents (les deux dernières devaient monter au bûcher en même temps que leurs maris, eux aussi volontaires de la onzième heure); ce n'étaient pas de vieilles femmes, les sergents d'armes étaient en général jeunes. Guillelme de Lavelanet était peut-être âgée, puisqu'elle était la femme du chevalier Bérenger de Lavelanet.

Parmi les hommes qui avaient reçu le consolamentum pendant la trêve figuraient deux chevaliers: Guillaume de l'Isle - grièvement blessé quelques jours plus tôt - et Raymond de Marciliano. Les sergents d'armes Raymond-Guillaume de Tornaboïs, Brasillac de Calavello (tous deux avaient participé au massacre d'Avignonet), Arnaud Domerc (mari de Bruna), Arnaud Dominique, Guillaume de Narbonne, Pons Narbona (mari d'Arssendis), Johan Reg, Guillaume du Puy, Guillaume-Jean de Lordat, enfin Raymond de Belvis et Arnaud Teouli entrés à Montségur au moment où la situation de la citadelle était déjà désespérée, et qui semblent n'y être venus au prix de tant dangers que pour devenir martyrs. Tous ces soldats qui pouvaient quitter le château avec les honneurs de la guerre et la tête haute ont préféré s'en laisser chasser comme des bêtes pour être parqués sur des fagots de bois sec et brûler vifs à côté de leurs maîtres dans la foi.

Sur ces derniers, nous ne savons pas grand-chose - à part le fait que l'évêque Bertrand, Raymond de Saint-Martin, Raymond Aiguilher accordèrent le consolamentum aux personnes qui l'avaient demandé, et distribuèrent leurs biens. Les parfaits et les parfaites étaient au nombre de 190 environ, puisque l'on sait que les hérétiques brûlés à Montségur étaient près de 210 ou 215; et les noms des personnes que l'on peut citer de façon certaine sont presque tous des noms de simples croyants, de ceux qui s'étaient convertis au dernier moment.

Il est assez émouvant de constater que, de ce qui restait de la garnison, un bon quart étaient des hommes prêts à mourir pour leur foi, non pas dans un sursaut d'enthousiasme, mais après des jours et des jours de consciente préparation. Les martyrs d'une religion vaincue ne sont pas canonisés; mais ces hommes et ces femmes dont le nom ne fut enregistré que dans le but de porter sur la liste noire ceux qui assistèrent à leur initiation, méritent pleinement le titre de martyrs.

Parmi les parfaits enfermés dans la place au moment de la capitulation, trois au moins échappèrent au bûcher. Ce fait constituait une violation des accords conclus; il ne fut du reste connu qu'après l'occupation du château par les Français: dans la nuit du 16 mars Pierre-Roger faisait évader, au moyen de cordes suspendues au-dessus de la falaise occidentale, les hérétiques Amiel Aicart et son compagnon Hugo Poitevin et un troisième homme dont le nom est resté inconnu, peut-être un guide de montagne. Pendant que les croisés entraient dans Montségur, ces hommes étaient restés cachés dans un souterrain et échappèrent ainsi au sort de leurs frères; ils devaient mettre à l'abri ce qui restait dans le château du trésor des hérétiques, et retrouver la cachette où était enfoui l'argent qu'ils avaient évacué deux mois plus tôt. En effet, P.-R. De Mirepoix et ses chevaliers quittèrent le château les derniers, après les parfaits, et après les femmes et les enfants; ils devaient donc, jusqu'à un certain point, rester maîtres de la place. L'évasion, semble-t-il, réussit pleinement, puisque ni les trois hérétiques ni le trésor ne furent découverts par les autorités.

"Lorsque les hérétiques sortirent du château de Montségur qui devait être rendu à l'Église et au roi, Pierre-Roger de Mirepoix retint dans ledit château Amiel Aicart et son ami Hugo, hérétiques; et dans la nuit pendant laquelle les autres hérétiques furent brûlés, il cache lesdits hérétiques; et il les fit évader; et cela fut accompli afin que l'Église des hérétiques ne perde pas son trésor qui était caché dans les forêts; et les fugitifs connaissaient la cachette...194" B. de Lavelanet dit aussi que l'on aurait descendu sur des cordes A. Aicart, Poitevin et deux autres, qui étaient restés cachés sous terre pendant que les croisés entraient dans le château. Montségur tombé, l'Église cathare continuait la lutte.