Pendant ce temps, le pape confirme solennellement Simon de Montfort dans toutes ses possessions et lui fait don des biens conquis sur les hérétiques.
Pour Simon de Montfort, la tâche est claire: il s'agit de soumettre les places fortes qui commandent les routes principales, obtenir l'hommage des grands vassaux de la vicomté, ne pas laisser l'adversaire regrouper ses forces. Au début de 1210 il reçoit des renforts: en mars sa femme Alice de Montmorency lui amène quelques centaines de soldats. Il peut reprendre des châteaux, pendre des "traîtres", punir d'une manière plus cruelle encore la garnison de Bram, marcher sur Minerve, une des plus grandes forteresses du pays et capitale du Minervois. Il est assez habile pour profiter de la vieille hostilité qui oppose le vicomte de Minerve, Guillaume, aux habitants du pays narbonnais, et s'assure l'alliance de ces derniers.
Arrivé devant Minerve en plein été (juin 1210), il parvient à réduire les défenseurs par la faim et la soif, et négocie la capitulation de la place avec Guillaume; là, détail significatif, ce sont les légats, Thédise et Arnaud-Amaury, qui surviennent au milieu des débats, et semblent reprocher à Simon de se montrer trop conciliant: sans doute, avec son bon sens de soldat, Simon pense-t-il qu'avant d'entreprendre une répression méthodique de l'hérésie dans le pays il faut y être bien installé; en tout cas, dans l'affaire de Minerve, il semble avoir plutôt cherche à freiner le zèle des légats. Or, dans Minerve, un grand nombre de parfaits et de parfaites s'étaient réfugiés, Arnaud-Amaury ne l'ignore pas et craint qu'une maladresse de Simon ne prive l'Église d'une aussi belle capture. Dans cette négociation, l'abbé de Cîteaux, gêné de se montrer plus sévère que son impitoyable compagnon, car "s'il désirait la mort des ennemis du Christ, il n'osait pas les condamner à mort, étant moine et prêtre" a recours à une ruse qui fait rompre la trêve. Minerve se rend à merci, la vie sauve moyennant la soumission à l'Église. Les hérétiques, bien entendu, devaient choisir entre l'abjuration et la mort.
À ce sujet Pierre des Vaux de Cernay rapporte le propos d'un des meilleurs capitaines de Simon, Robert de Mauvoisin: ce bon chevalier ne pouvait admettre qu'un tel choix fût proposé à des parfaits, qui auraient ainsi le moyen d'échapper à la mort par une abjuration simulée; il avait pris la croix pour "perdre" les hérétiques, non pour leur faire grâce. L'abbé de Cîteaux le rassure: "Ne craignez rien, je crois que très peu se convertiront77". L'abbé des Vaux de Cernay, oncle de l'historien, et Simon de Montfort lui-même tentent cependant de convertir les condamnés. N'en obtenant rien "il les fit extraire du château, et un grand feu ayant été préparé, cent quarante et plus de ceux des hérétiques parfaits y furent jetés ensemble. Ni fut-il besoin, pour bien dire, que les nôtres les y portassent, car, obstinés dans leur méchanceté, tous se précipitaient de gaieté de cœur dans les flammes. Trois femmes, pourtant furent épargnées, lesquelles furent, par la noble dame mère de Bouchard de Marly, enlevées du bûcher et réconciliées à la sainte Église romaine78".
Minerve vit donc le premier grand bûcher d'hérétiques. Pourtant, dans cette guerre menée contre l'hérésie, les hérétiques eux-mêmes ne semblent jouer aucun rôle; on apprend seulement que tel château en contient un grand nombre; s'il est pris ils sont brûlés. Il ne s'agit évidemment que des parfaits, c'est-à-dire d'hommes et de femmes qui ont déjà solennellement abjuré la foi catholique et qui inspirent aux croisés une sorte d'horreur sacrée; ces exécutions en masse, voulues et approuvées par l'Église, sont cependant des actes de justice sommaire, sans procédure ni jugement, et imputables à la présence d'une armée fanatique et victorieuse.
Il nous est difficile d'imaginer la force des croyances et des superstitions de ces gens-là, et de comprendre à quel point l'esprit du mal qui habitait les ennemis de l'Église était réel à leurs yeux. Ceux qui s'étaient donnés corps et âme à la foi hérétique n'étaient plus des êtres humains, mais des créatures de l'enfer; et c'est ce qui explique les légendes grossières sur les orgies et les abominations auxquelles les cathares se seraient livrés. L'imagination du vulgaire, allant plus loin que l'Église, enlaidissait et défigurait à plaisir ces réprouvés, ne pouvant s'expliquer leurs égarements que par quelque dépravation surhumaine. De là la "joie" des pèlerins devant les bûchers: ils ne croient pas punir des criminels, ils croient voir une puissance diabolique réduite à néant par le feu purificateur.
Les parfaits sont peu nombreux; les simples croyants sont légion; et finalement, pour les croisés, tout homme qui protège les parfaits, et même tout homme qui n'est pas leur allié à eux, est un hérétique en puissance. Et ceux-là sont catholiques en apparence, se soumettent, jurent fidélité à l'Église, attaquent et massacrent les soldats du Christ où et quand ils le peuvent, se retirent dans leurs nids d'aigle d'où ils menacent sans cesse les détachements de croisés, se révoltent dans les villes et les bourgs contre l'autorité de l'occupant, bref ce ne sont pas les hérétiques qu'il faut combattre, mais tout un pays fauteur d'hérésie.
L'été 1210 amènera de nouveaux contingents de croisés. Le puissant château de Termes tombera après un long siège où prendront part les évêques de Beauvais et de Chartres, le comte de Ponthieu, Guillaume, archidiacre de Paris, réputé pour ses talents d'ingénieur, et de nombreux pèlerins de France et d'Allemagne. Le siège est dur. "Si quelqu'un voulait accéder au château, dit Pierre des Vaux de Cernay, il lui fallait d'abord se précipiter dans l'abîme, puis, pour ainsi dire, ramper vers le ciel79". Raymond, seigneur de Termes, est un vaillant guerrier, sa garnison est forte et effectue des sorties nombreuses, meurtrières pour les assaillants. Dans le camp des croisés les vivres manquent, Simon de Montfort lui-même n'a parfois "rien à se mettre sous la dent". L'été est torride, les nouveaux croisés parlent de repartir avant même la fin de leur quarantaine. Et quand la soif forcera les assiégés à négocier, l'évêque de Beauvais et le comte de Ponthieu lèvent le camp, seul l'évêque de Chartres, ému par les supplications de la comtesse Alice, femme de Montfort, consent à rester encore quelques jours. Des pluies torrentielles remplissent les citernes du château, qui reprend sa défense, au moment où l'armée croisée est réduite de plus de la moitié; et seule une épidémie survenue par suite de la pollution des eaux force Raymond de Termes à abandonner le château avec ses hommes, pendant la nuit. Capturé, il sera jeté dans un cachot où il mourra quelques années plus tard.
Le siège avait duré plus de trois mois. Simon est de nouveau maître de la situation, son prestige est accru, ses effectifs en hommes de nouveau très faibles: comme on le voit, les renforts de pèlerins que lui envoie la propagande du pape ne sont ni très réguliers ni très sûrs. Selon P. des Vaux de Cernay, Dieu a voulu que de nombreux pécheurs pussent travailler à leur salut en participant à l'œuvre de la croisade, et c'est pourquoi il a permis que cette guerre durât tant d'années; mais ces pécheurs étaient vraiment beaucoup plus soucieux de leur salut que des intérêts de la croisade. Ils vont et viennent à leur guise, et c'est à Simon d'adapter ses plans de campagne au bon vouloir de ces chasseurs d'indulgences.