Cet évêque, qui avait déjà réussi à lever, parmi les membres de sa Confrérie, une milice de cinq cents Toulousains qu'il avait envoyés se battre avec les croisés devant Lavaur malgré l'opposition formelle du comte, était, à sa façon, populaire. Ses hommes allaient au combat en chantant de pieux "sirventès" composés par lui pour l'occasion. Sa Confrérie de fanatiques créait dans la capitale un véritable climat de guerre civile. Or, l'évêque était, dès le début, un ennemi déclaré du comte dont il réprouvait la tolérance pour les hérétiques. Depuis que le comte était de nouveau excommunié, il poussait ouvertement les citadins à la révolte contre leur seigneur. De toute évidence, l'évêque se considérait, en droit, maître de la ville.
Le comte, attaqué sur ses terres, menacé d'un siège, n'a nul besoin de cet ennemi dans la place. Le jour où Foulques poussera l'insolence jusqu'à l'inviter à faire une promenade hors de Toulouse parce que la présence d'un excommunié dans la ville l'empêche de procéder à des ordinations, le comte fera dire à son évêque "de vider au plus vite Toulouse et tout le territoire de sa domination". Foulques commence par faire parade de son intrépidité: "Ce n'est pas, dit-il, le comte de Toulouse qui m'a fait évêque, ni est-ce par lui que j'ai été colloqué en cette ville, ni pour lui; l'humilité ecclésiastique m'a élu et je n'y suis venu par la violence d'un prince; je n'en sortirai donc à cause de lui. Qu'il vienne, s'il ose: je suis prêt à recevoir le couteau pour gagner la majesté bienheureuse par le calice de la passion. Oui, vienne le tyran avec ses soldats et ses armes, il me trouvera seul et désarmé: j'attends le prix et je ne crains point ce que l'homme peut me faire89".
Le chef de la Confrérie blanche n'était à coup sûr ni seul ni désarmé; et Raymond VI ne se souciait nullement de prendre à son compte le meurtre d'un évêque. Le discours de Foulques était donc une bravade gratuite et l'homme avait le sens de l'attitude théâtrale. Au bout de quelques jours, lassé d'attendre un martyre ou du moins une provocation qui ne venait pas et sentant probablement que sa popularité ne pouvait contrebalancer celle du comte, il quitta la ville et se rendit au camp des croisés.
Or, Toulouse, comme nous l'avons vu, n'était pas une ville hérétique; les catholiques y étaient nombreux et influents. L'année précédente, les consuls avaient accompagné le comte à Rome pour obtenir du pape la levée de l'interdit jeté sur leur ville. Les Toulousains tiennent à faire la paix avec leur évêque; Foulques leur répond par un ultimatum: qu'ils refusent obéissance à leur seigneur excommunié et le chassent de la ville, sinon Toulouse est mise au ban de l'Église. Cette proposition est repoussée avec indignation et Foulques ordonne au clergé de quitter la ville, pieds nus, en emportant le Saint Sacrement. L'interdit est jeté à nouveau sur la capitale et Toulouse devient la cité hérétique promise au glaive des croisés.
Simon de Montfort vient mettre le siège devant Toulouse, avec des renforts de croisés, parmi lesquels se trouvent le comte de Bar, le comte de Châlons et un grand nombre de croisés allemands. La guerre contre Toulouse avait bien commencé: Montfort a déjà pris quelques châteaux dans les environs de la capitale, brûlé les soixante hérétiques des Cassés, obtenu la capitulation du propre frère du comte, Baudouin, qui, après une belle résistance, est passé à l'ennemi par rancune contre son aîné; et avec les troupes fraîches que lui amène le comte de Bar, il se croit assez fort pour assiéger Toulouse. Il comprend bien vite son erreur et lève le camp après douze jours de siège; la quarantaine des croisés tire à sa fin et l'armée manque de vivres.
Cet échec, très prévisible et tout à fait excusable du point de vue stratégique, n'en entraîne pas moins pour Simon une grosse perte de prestige: l'homme qui, jusqu'ici, a triomphé partout, a dû reculer devant Toulouse; la chevalerie occitane et les milices bourgeoises commencent à se dire que l'ennemi n'est pas invincible. Un vent de courage et d'espoir souffle sur le pays. Désormais, Simon ne pourra plus se contenter d'assiéger les châteaux l'un après l'autre, il sera attaqué lui-même de tous les côtés, "trahi" à tout moment par ses nouveaux vassaux, à la fois assiégeant et assiégé, attaquant et fuyant, dans une suite ininterrompue de chevauchées qui l'entraîne de Pamiers à Cahors et d'Agenais en Albigeois; parfois repoussé, jamais battu.
L'échec devant Toulouse pousse d'abord les croisés vers le comté de Foix où ils s'empressent de semer la terreur, brûlent Auterive, saccagent les châteaux, incendient les bourgs, déracinent les vignes. Ayant échoué devant Foix, ils remontent vers Cahors dont l'évêque réclame Simon pour suzerain à la place du comte excommunié. Après avoir reçu la soumission de Cahors, Simon apprend que le comte de Foix a fait prisonnier deux de ses meilleurs compagnons, Lambert de Thury (ou de Croissy) et Gauthier Langton; il revient en hâte vers Pamiers et apprend que les gens de Puylaurens ont rappelé leur ancien seigneur et assiègent dans le donjon la garnison qu'il y a laissée. Il repart donc vers Puylaurens, puis finalement se retire dans Carcassonne.
Pendant ce temps, le comte de Toulouse a regroupé ses forces et, avec le comte de Foix et un renfort de deux mille Basques envoyé par le roi d'Angleterre, passe à l'attaque et s'apprête à son tour à assiéger l'adversaire. Simon, à qui ses propres succès ont fait mesurer les risques de la situation d'assiégé, se jette dans Castelnaudary, "le plus faible château", mal protégé et, de plus, récemment brûlé par le comte: un système de fortifications trop parfait empêche bien les assaillants de pénétrer dans une place, il empêche aussi les assiégés d'en sortir. Assiégé dans Castelnaudary par une armée très supérieure en nombre à la sienne, Simon en sortira, y reviendra, enverra des émissaires chercher des secours, donnera des combats en rase campagne, mettra en déroute les troupes du comte de Foix (malgré l'héroïsme de ce comte et, de son fils Roger-Bernard); et les assaillants, découragés par sa résistance, finiront pair se retirer.
Mais cette défense, pour méritoire qu'elle soit, n'est pas un triomphe: ceux à qui Simon avait demandé des renforts n'ont pas répondu à son appel, les Narbonnais n'ont voulu marcher que sous la conduite de leur vicomte, Aimery, qui a refusé; Guillaume Cat, chevalier de Montréal, chargé de ramener des renforts, recrute en effet des hommes, mais c'est pour attaquer les troupes des croisés; Martin d'Algais, qui commande les routiers, fuit en pleine campagne, emmenant ses troupes, et s'excuse ensuite en rejetant la faute de cet abandon sur l'indiscipline de ses soldats. Il devient évident que Montfort ne peut compter que sur son équipe française et les renforts venus de l'étranger. D'autre part, les comtes de Foix et de Toulouse présentent l'affaire de Castelnaudary comme une victoire; tous les châteaux pris par les croisés leur ouvrant leurs portes, massacrent les garnisons, font fête aux libérateurs. Les armées des comtes, moins organisées et moins homogènes que la garde d'élite de Simon, mais supérieures en nombre et sûres de l'appui de la population, talonnent l'adversaire, le poursuivent, reculent, jamais victorieuses et jamais battues.