La décision du concile dépossédait le comte de Toulouse et son fils, mais ne conférait à Simon que le titre assez vague de "seigneur et chef unique" (dominas et monarcha), une espèce de lieutenant de la papauté, chargé de faire la police dans les États conquis. Il voulait davantage. Cependant, le comte de Toulouse, appuyé par son beau-frère, par l'oncle de son fils, Jean sans Terre, attendait la réunion du concile œcuménique pour faire valoir ses droits.
Épisode significatif de la guerre sourde et inlassable qui était menée dans le pays, derrière le dos des prélats occupés à légiférer et de Simon occupé à affermir les bases de sa domination: en février 1214 Baudouin de Toulouse, ce frère de Raymond VI qui s'était rallié à Montfort, est victime d'un complot, ou plutôt d'un coup de main dont tous les acteurs semblent avoir participé à l'affaire avec une égale certitude d'accomplir leur devoir de patriotes. Et cependant Baudouin fut capturé et livré par des seigneurs qui avaient fait en bonne et due forme leur soumission à Montfort. Baudouin de Toulouse avait reçu de Simon les terres du Quercy, venait en prendre possession, et s'était arrêté au château de l'Olme, près de Cahors. Le châtelain le livre à Ratier de Castelnau après avoir fait massacrer son escorte; il est emmené à Montauban, où il attendra le jugement de son frère, qui, prévenu, accourt aussitôt accompagné du comte de Foix.
Le "comte" Baudouin, ce traître à la cause de son pays, avait été élevé à la cour du roi de France, et était en fait plus Français que Toulousain, ce qui explique sa conduite sans l'excuser; né en France, à une époque où son père s'entendait fort mal avec son épouse Constance de France (dont il devait ensuite se séparer), Baudouin ne vint à Toulouse qu'en 1194, après la mort de Raymond V, et son frère le reçut de telle façon que le jeune homme fut obligé de retourner à Paris chercher des lettres prouvant qu'il était bien le fils du comte de Toulouse! Les deux frères, séparés d'ailleurs par une grande différence d'âge, s'entendaient assez mal, Baudouin était traité en parent pauvre et devait se sentir plutôt dépaysé à la cour de son frère. Il était cependant un vaillant chevalier, et avait brillamment défendu contre Montfort le château de Montferrand. Mais, passé du côté de l'ennemi, il devait rester fidèle jusqu'au bout à ses nouveaux maîtres.
Quoi qu'il en soit, pour ce frère aussi malheureux qu'indigne Raymond VI ne montre aucune pitié: arrivé à Montauban, il tient un conseil de guerre où assistent le comte de Foix et le chevalier catalan Bernard de Portella, et condamne sans hésiter le traître à la pendaison. Comme Baudouin, bon catholique, demande à recevoir les sacrements avant de mourir, son frère lui fera répondre qu'un homme qui a si bien combattu pour sa foi n'a guère besoin d'absolution. Il peut cependant se confesser, mais non recevoir la communion, et, conduit dans un pré devant le château, est pendu sous les yeux de son frère à un noyer, par le comte de Foix lui-même, assisté dans son office de bourreau par Bernard de Portella, qui en exécutant le traître veut venger la mort du roi d'Aragon.
Cette cruelle histoire montre que Raymond VI, qui deux mois plus tard offrira avec tant d'humilité sa personne et ses biens à l'Église, n'était nullement disposé à renoncer à la lutte, et ne faisait qu'attendre son heure, frappant partout où il pouvait frapper. En faisant froidement exécuter son frère pour satisfaire la haine patriotique de ses vassaux, il semble obéir au même instinct politique qui lui fera, devant le pape, protester de son dévouement à l'Église. Cet homme déconcertant sut se faire aimer parce qu'il est toujours resté le premier serviteur plutôt que le maître de son pays.
Le châtiment de Baudouin provoqua dans le Languedoc une explosion de joie, et inspira des chants de triomphe aux troubadours.
Cependant, Simon de Montfort, désigné par le concile de Montpellier pour tenir "Toulouse et les autres terres que le comte a possédées", n'ose pas encore se présenter dans Toulouse. Toulouse, la clef du Languedoc, fait encore mine d'ignorer le nouveau suzerain. Simon n'y entrera qu'accompagné d'un personnage dont le rang et la qualité peuvent légitimer, en quelque sorte, une soumission qu'on eût refusée à Montfort.
Philippe Auguste, depuis Bouvines, n'a plus à craindre les "deux lions", Jean sans Terre et l'Empereur, qui menaçaient ses provinces du Nord, et se décide enfin à s'intéresser à ce qui se passe dans le Midi. Les domaines du comte de Toulouse, où sa puissance a toujours été purement nominale, font partie des terres dépendantes de la couronne de France. Le jour où il croit le conflit réglé par la victoire de Montfort, il s'inquiète de savoir si l'Église n'a pas dépassé ses droits en attribuant à un de ses vassaux une terre dont il est le suzerain. Il se garde bien d'y paraître en personne, pour n'être pas amené à appuyer de son autorité une entreprise dont il ignore encore les avantages et les difficultés à venir. Il envoie, ou plutôt laisse partir, son fils qui depuis longtemps manifestait le pieux désir de participer à la croisade.
Le prince Louis fera, dans un pays théoriquement pacifié, un "pèlerinage" et non une expédition militaire. Il amène avec lui de nombreux chevaliers, en particulier les comtes de Saint-Pol, de Ponthieu, de Sées et d'Alençon et son armée, même si elle ne vient pas dans des intentions délibérément belliqueuses, est destinée à impressionner ceux des barons occitans qui pourraient vouloir s'opposer à l'autorité royale. Pour le moment, personne ne songe à s'y opposer: auprès de Montfort le diable même eût paru un bon maître, à plus forte raison le "doux et débonnaire" Louis. Il ne semble pas que le prince, lors de cette croisade pacifique, ait été mal accueilli; on l'attendait plutôt comme arbitre.
Le légat s'empresse de faire savoir à Louis qu'il "ne devait ni ne pouvait porter aucune atteinte104" à ce qui avait été réglé par les conciles, étant donné le fait que les forces de l'Église avaient triomphé seules, et sans le moindre secours (maintes fois sollicité cependant) du roi de France. En fait, Louis, très pieux, n'entreprends rien contre les décisions de l'Église, mais dans les différends qui surviennent donne plutôt raison à Montfort.
Ainsi, dans la querelle qui oppose Arnaud-Amaury, archevêque de Narbonne, à Simon de Montfort, le prince soutient ce dernier et ordonne la démolition des murailles de Narbonne, que l'archevêque, d'accord avec les consuls, voudrait conserver. De même, Louis ordonne de faire abattre les murailles de Toulouse qui, bien que relevant provisoirement de l'autorité de l'Église, devait se préparer à recevoir son nouveau maître. Le pape, apprenant que le fils du roi de France, à la tête d'une armée, arrivait en inspection sur des terres conquises par l'Église, s'était empressé de confirmer à Simon de Montfort "la garde" de ces terres, de peur que ce dernier, se désolidarisant de l'autorité de Rome, ne se fit octroyer le titre de comte par son suzerain légitime.
Enfin, en mai 1215, le prince Louis, le légat et Montfort entrent dans Toulouse d'où le comte était parti, n'ayant nulle envie d'orner le triomphe du vainqueur. Il fut établi que les fossés de la ville seraient comblés, les tours et les murs et les retranchements rasés jusqu'aux fondements; "que nul défenseur ne puisse s'y défendre avec aucune armure". Désarmée par avance et devenue ville ouverte au sens propre du mot, Toulouse n'avait plus qu'à laisser entrer le vainqueur et Montfort s'y installa aussitôt et conserva les fortifications du château narbonnais dont il fit sa résidence. Le prince Louis se retira, sa quarantaine finie, emportant comme trophée de cette pieuse expédition une moitié de la mâchoire de saint Vincent, qu'on vénérait à Castres: pour remercier le prince de sa bienveillance, Simon s'était chargé d'obtenir des religieux de Castres cette précieuse relique, qui lui fut cédée "en considération de l'utilité et de l'avancement qu'il avait procuré dans l'affaire de Jésus-Christ". (Il en garda l'autre moitié pour lui-même et en fit don à l'église de Laon).