La lutte était inégale: Simon de Montfort, en quittant la Provence, avait défendu sous peine de mort, au courrier qui avait apporté la lettre de sa femme, de parler du soulèvement de Toulouse et de la présence du comte dans la cité; mais la nouvelle s'était déjà répandue par le pays. Les troupes de Provençaux qu'il voulait emmener avec lui l'abandonnent; l'archevêque d'Auch, à l'appel de Guy de Montfort, avait rassemblé des troupes et celles-ci se débandent en route et refusent de marcher sur la capitale. Les soldats et les chevaliers français, les seuls sur lesquels Simon puisse compter, sont immobilisés dans les garnisons des villes qui ont été confiées à leur garde.
Montfort lance un appel aux puissances catholiques: Foulques quitte de nouveau Toulouse et se rend en France, à la demande du cardinal-légat, pour prêcher une croisade contre sa ville, rebelle et repaire d'hérétiques; la comtesse Alice, femme de Montfort, va elle-même implorer le roi de France; elle compte sur ses relations personnelles (son frère est le connétable de l'armée royale), plus peut-être que sur l'appui du roi, qui semble ne s'intéresser qu'aux causes déjà gagnées. Et les échecs de Montfort suivent de trop près son investiture pour que le roi ait intérêt à soutenir un vassal si peu maître de ses domaines.
C'est le pape, encore une fois, qui tentera de sauver la situation. Honorius III lance une nouvelle campagne de propagande contre l'hérésie et cherche à attirer sur le Languedoc une nouvelle croisade. Alors que le sort du premier pays chrétien qui s'était montré infidèle à l'Église semblait définitivement réglé, tout est à recommencer et dans des conditions beaucoup plus difficiles qu'en 1208. L'enthousiasme des croisés du Nord est dissipé depuis longtemps, et l'Église n'a plus pour adversaires quelques hérétiques ennemis de la violence, donc passifs, et des barons toujours prêts à lui jurer fidélité, mais tout un peuple qui rejette ouvertement et consciemment son autorité.
Toulouse continue à se fortifier et à se ravitailler, par terre et par eau, sous les yeux d'un assiégeant trop faible, qui n'a plus que la ressource de se retrancher lui-même dans un camp fortifié et d'attendre des renforts. Les combats qui se poursuivent durant tout l'hiver ne sont guère que de brèves escarmouches et les deux camps rivalisent de cruauté envers les prisonniers: dans Toulouse, la haine des Français est telle que les malheureux qui se sont laissés prendre vivants sont promenés en triomphe par les rues de la ville, puis ont les yeux arrachés, la langue coupée, tandis que d'autres sont dépecés tout vifs, brûlés, traînés à la queue des chevaux. Et dans le camp de Montfort, la haine commence à céder le pas au découragement.
Les vrais combats reprennent au printemps. Tous les assauts de Simon de Montfort sont repoussés avec tant de vigueur que ses chevaliers (selon la "Chanson") montrent franchement leur exaspération. L'auteur n'a (probablement) pas pu assister aux discussions de Simon avec ses lieutenants, et les discours qu'il met dans la bouche d'un Gervais de Champigny ou d'un Alain de Roucy sont sans doute imaginaires; rien ne nous dit cependant que l'historien n'a pas pu s'inspirer de bruits qui couraient réellement dans le camp français. On pourrait le soupçonner de prudence ou d'opportunisme quand on le voit attribuer des propos pleins de modération à Guy de Lévis ou à Guy de Montfort dont les fils, à l'époque où il écrivait, étaient solidement installés dans le Languedoc; ce ne serait pas le cas pour Foucaut de Berzy, chevalier brigand exécuté en 1221 par Raymond VII. Dans les longs conciliabules que tiennent avec leur chef les chevaliers français, on sent ces derniers poussés à bout, presque affolés, tentés de rejeter la responsabilité de leurs échecs sur Simon; ils lui resteront cependant fidèles jusqu'au bout, autant par dévouement personnel que par cette union que crée entre eux et lui la haine dont ils sont entourés. "Orgueil et dureté se sont emparés de vous, dit Alain de Roucy à son chef. Vous aimez ce qui est triste et ce qui est lâche123..."
Les renforts de croisés du Nord arrivent enfin; un contingent de Flamands, conduits par Michel de Hames et Amaury de Craon. Au cours de combats acharnés, Montfort parvient à s'emparer du faubourg Saint-Cyprien, sur la rive gauche du fleuve, et attaqué les ponts qui ouvrent l'accès de la ville; les Français ne parviennent pas à y prendre pied et battent en retraite.
Le siège dure depuis huit mois. À la Pentecôte, le jeune comte arrive avec de nouveaux renforts et entre dans la ville sous le nez des assiégeants. La population le reçoit dans des transports d'allégresse, on se presse pour le voir, on le regarde "comme la fleur de rosier". "Le fils de la Vierge, pour les réconforter (les Toulousains), leur transmit une joie avec un rameau d'olivier, une claire étoile, l'étoile du matin sur la montagne. Cette clarté, c'était le vaillant jeune comte, l'héritier légitime, qui franchit la porte avec la croix et l'acier124". L'auteur se fait ici l'écho de la tendresse fervente du peuple pour le jeune héros de Beaucaire, et ces lignes à elles seules peuvent nous faire mesurer l'abîme qui séparait les deux camps: les uns savaient pourquoi et pour qui ils se battaient, les autres ne faisaient qu'essayer de retenir un bien à peine conquis et qui leur glissait déjà entre les mains; leur combativité et leur colère (amplement soulignées par le chroniqueur) vient de l'humiliation d'être tenus en échec par des gens qu'ils estiment inférieurs à eux, "des bourgeois désarmés".
Pendant que Simon, qui, malgré l'arrivée d'une importante troupe de croisés commandés par le comte de Soissons, parvient à peine à se parer contre les attaques des assiégés, le cardinal-légat Bertrand lui reproche son manque d'ardeur: "Or, le comte (Montfort) était atteint de langueur et d'ennui, amoindri par tant de coûts et tout épuisé; pas plus qu'il ne supportait patiemment l'aiguillon dont le légat le poignait chaque jour pour autant qu'il était paresseux et relâché: d'où vient, comme on le disait, qu'il priait le Seigneur de lui donner la paix en le guérissant par la mort de tant de souffrances125".
Le légat pouvait à bon droit s'acharner contre le vieux guerrier: celui qui avait tant de fois vaincu et attribué ses victoires à la protection divine devenait, par ses échecs, suspect de quelque faute qui lui eût valu le châtiment de Dieu. L'homme courageux et catholique que l'Église avait honoré au point de lui livrer une terre plus grande que les domaines du roi de France, qui bénéficiait de l'aide de soldats que l'Église lui faisait envoyer depuis des années, se révélait incapable de forcer une ville mal fortifiée et défendue par des hommes qu'il avait tant de fois battus!
En juin, neuvième mois de ce siège désastreux, Montfort décide de construire une "chatte" géante, tour roulante qui pourrait être peu à peu rapprochée des fortifications ennemies et du haut de laquelle ses soldats pourraient dominer les quartiers des assiégés et les écraser par un tir serré. Les Toulousains endommagent la machine par le tir de leurs pierriers, puis, lorsqu'elle est réparée et prête à se mettre en mouvement, font une sortie à l'aube et attaquent le camp français de deux côtés. Simon entend la messe quand on vient lui dire que les Toulousains sont déjà dans le camp, que les Français se replient. Ses dévotions terminées, il court au combat et parvient à repousser l'adversaire jusqu'au fossé.