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Guy de Montfort, occupé à protéger les machines, est blessé par une flèche tirée de la ville. Simon, qui se précipite vers lui en se lamentant, est frappé à la tête d'une pierre, lancée par un pierrier manié (dit la "Chanson") par des dames et des demoiselles. "Une pierre vint tout droit où il fallait et frappa le comte Simon sur son heaume d'acier, de sorte que les yeux, la cervelle, les dents, le front et la mâchoire lui volèrent en éclats et qu'il tomba par terre, mort, sanglant et noir126".

Cette mort instantanée et brutale, en plein combat, sous les yeux des deux camps, est saluée dans le camp toulousain par une explosion de joie: "Les cors, les trompes, les carillons, les volées et les sonneries de cloches, les tambours, les timbales et les petits clairons font retentir la ville et le pavé127". À cet immense cri de soulagement répond la consternation du camp français. La mort du chef démoralise une armée déjà découragée par les échecs subis pendant le siège, et le fils de Montfort, après s'être fait accorder par le légat les anciens titres de son père, et avoir fait une tentative pour incendier la ville, se retire dans le château Narbonnais et, un mois après la mort de son père, lève le siège.

Toulouse a triomphé, et Amaury, rentré à Carcassonne où il fait enterrer son père en grande pompe, verra le jeune comte reconquérir peu à peu sur lui tous les domaines que Simon avait tenus, malgré les appels du pape et l'intervention du roi de France en la personne de son fils. Il y faudra sept ans de guerre, mais le coup de grâce a déjà été porté à l'envahisseur, qui, de moins en moins combatif, abandonne villes et places fortes les unes après les autres pour se trouver un beau jour sans soldats et sans argent pour son voyage de retour.

Simon de Montfort disparu, la croisade se trouvait décapitée. D'ailleurs, malgré les efforts du pape et des légats, cette guerre avait depuis longtemps cessé d'être une croisade. Amaury luttait pour son héritage et, comme tous les fils de dictateurs, n'inspirait ni crainte à ses ennemis ni confiance à ceux qui devaient le soutenir. En dépossédant le comte de Toulouse par la décision du concile, l'Église semblait avoir oublié que Simon de Montfort n'était pas immortel, et que cet homme qui pouvait en effet, "tenir" le pays, était le seul à pouvoir le faire. Par sa mort, le pape se trouvait dans la situation plutôt absurde de quelqu'un qui confie une tâche écrasante à un homme manifestement incapable de la remplir. Aussi se détournera-t-il bientôt du malheureux Amaury pour disposer de ses droits en faveur d'un allié plus puissant et investi d'un prestige qui en imposait à tous les pays d'Occident. C'est le roi de France qui parachèvera l'œuvre de Simon de Montfort.

"Tout droit à Carcassonne, ils le portent pour l'ensevelir, pour célébrer le service au moûtier Saint-Nazaire. Et on lit sur l'épitaphe, celui qui sait lire, qu'il est saint, qu'il est martyr, qu'il doit ressusciter, avoir part à l'héritage et fleurir dans la félicité sans égale, porter la couronne et siéger dans le royaume. Et moi j'ai ouï dire qu'il doit en être ainsi: si, pour tuer des hommes et répandre le sang, pour perdre des âmes, pour consentir à des meurtres, pour croire des conseils pervers, pour allumer des incendies, pour détruire les barons, pour honnir Parage, pour prendre des terres par violence, pour faire triompher orgueil, pour attiser le mal et éteindre le bien, pour tuer des femmes, égorger des enfants, on peut en ce monde conquérir Jésus-Christ, il doit porter couronne et resplendir dans le ciel128!"

Quel que puisse être le sort réservé pour l'éternité à l'âme de Simon de Montfort, ceux qui admirent Napoléon, César, Alexandre et leurs semblables ne sauront, en toute justice, refuser leur admiration à ce grand soldat; les autres sont libres de constater qu'il fut, somme toute, un être assez médiocre, choisi pour une besogne cruelle dont il s'est acquitté du mieux qu'il a pu. La responsabilité morale de ses actes lui incombe bien moins qu'à ceux qui avaient pouvoir de les bénir et de les absoudre au nom de Jésus-Christ.

105 Pierre des Vaux de Cernay, op. cit., ch. LXXXIII.

106 "Chanson de la Croisade", ch. CXLIV.

107 Op. cit., ch. CXLV, 3265-3274.

108 Op. cit., ch. CL, 3547-3553.

109 Décret du concile, promulgué le 14 décembre 1215.

110 Pierre des Vaux de Cernay, op. cit., ch. LXXX1II.

111 Op. cit., ch. CIII.

112 Pierre des Vaux de Cernay, op. cit., ch. LXXXIII.

113 Id.

114 Guillaume de Puylaurens, ch. XXIX.

115 "Chanson de la Croisade", ch. CLXXII, 5112-5113.

116 Op. cit., ch. CLXXVIII, 5532-5537.

117 Op. cit., id., 5542-5548.

118 Op. cit., ch. CLXXIX, 5640-5647.

119 Op. cit., ch. LXXXTV.

120 "Chanson de la Croisade", ch. CLXXXII, 5861-5868.

121 Id., 5852-5858.

122 Op. cit., ch. CLXXXIII, 5952-5963.

123 Op. cit., ch. CLXXXIX, 6486-6488.

124 Op. cit., ch. CC, 7913-7917.

125 Guillaume de Puylaurens, ch. XXX.

126 Op. cit., ch. CCV, 8452-8456.

127 Op. cit., id., 8479-8484.

128 Op. cit., ch. CCVIII, 8681-8693.

CHAPITRE VII

LE ROI DE FRANCE

I - VICTOIRE DE RAYMOND VII

La mort de Simon de Montfort fut accueillie dans le Languedoc avec des transports de joie; cette joie, faisant tache d'huile, se répandait dans le pays, redonnant des forces nouvelles à ceux qui depuis si longtemps se désespéraient de voir cet homme impitoyable triompher partout. Cette mort semblait être la fin d'un long cauchemar, le miracle tant attendu.

Montfort

Es mort

Es mort

Es mort!

Viva Tolosa

Ciotat gloriosa

Et poderosa!

Tornan lo paratge et l'onor!

Montfort

Es mort!

Es mort!

Es mort!

clame une chanson populaire du temps. Le Parage et l'honneur reviennent. Le tyran - car les peuples du Midi veulent espérer que tout le mal dont ils étaient accablés venait de Montfort - n'est plus qu'un cadavre couché dans un somptueux caveau de Carcassonne. Ses amis en font un martyr et le comparent à Judas Macchabée et à saint Étienne; par sa mort l'œuvre de la croisade est ruinée, il a beau avoir laissé dans le pays des parents et des compagnons d'armes courageux et encore redoutables, en perdant leur chef, ils ont perdu leur confiance en eux-mêmes.

Amaury de Montfort appelle à son aide le roi de France et le pape prêche une nouvelle croisade et presse Philippe Auguste d'envoyer une armée dans le Languedoc. Pendant ce temps, Raymond VII reconquiert l'Agenais et le Rouergue et remporte, devant Baziège, une victoire en rase campagne sur les troupes françaises.

Le prince Louis fait une seconde fois son apparition dans le Midi de la France: cette fois-ci, son père n'a pas fait de difficultés pour le laisser se croiser. Il amène 20 évêques, 30 comtes, 600 chevaliers et 10000 archers, armée redoutable qui eût dû, semble-t-il, effrayer des populations déjà épuisées par dix ans de guerre. Il fait sa jonction avec les troupes d'Amaury de Montfort devant Marmande et prend la ville, où un massacre terrible a lieu. Si la garnison et son chef Centulle, comte d'Astarac, sont épargnés (car on pense les échanger contre des prisonniers français), les vainqueurs s'acharnent sur la population civile: "...on court vers la ville avec des armes tranchantes, et alors commencent le massacre et l'effroyable boucherie. Les barons, les dames, les petits enfants, les hommes, les femmes, dépouillés et nus, sont passés au fil de l'épée. Les chairs, le sang, les cervelles, les troncs, les membres, les corps ouverts et pourfendus, les foies, les cœurs, mis en morceaux, brisés, gisent par les places comme s'il en avait plu. Du sang répandu, la terre, le sol, la rive sont rougis. Il ne reste homme ni femme jeune ou vieux: aucune créature n'échappe à moins de s'être tenue cachée. La ville est détruite, le feu l'embrase129".