L'auteur de la "Chanson" estime que la majorité de la population de la ville fut massacrée. Guillaume Le Breton reconnaît, de son côté, qu'on a tué à Marmande "tous les bourgeois avec les femmes et les petits enfants, tous les habitants jusqu'au nombre de 5000130".
On a pu voir dans ce massacre, exécuté de sang-froid (puisqu'il fut précédé d'une longue délibération au sujet du sort de la garnison), un effet de la colère d'Amaury, désireux de venger son père. C'était, plus probablement, une répétition consciente du massacre de Béziers qui, en terrorisant les populations, avait donné de si heureux résultats. Il est assez singulier de voir évêques et barons discuter sur le "déshonneur" qu'ils s'attireraient en mettant à mort des soldats, et lâcher ensuite leurs troupes sur des bourgeois sans défense, des femmes et des enfants. Il semble que (pour les chevaliers du Nord plus que pour ceux du Midi) les bourgeois aient été des êtres de race inférieure et dont le massacre tirait à peine à conséquence. Le pieux prince Louis ne fit rien pour empêcher cette odieuse manœuvre d'intimidation. Mais, de leur côté, les peuples du Languedoc, aguerris par dix ans de croisades, se gardèrent bien d'y répondre, comme ils le firent après Béziers, par des capitulations en masse. Le pays était depuis longtemps habitué à la terreur.
Lorsque après ce sanglant exploit, l'armée royale marche sur Toulouse, elle trouva une ville fortifiée et organisée pour la défense. Raymond VII s'y était enfermé avec mille chevaliers. Devant le danger, il fit un appel au peuple et fit exposer sous la voûte de la cathédrale les reliques de saint Exupère131; pour la troisième fois le peuple de Toulouse se préparait au siège dans l'enthousiasme.
Le siège, commencé le 16 juin 1219, est levé le 1 août; la grande armée du prince Louis, après avoir complètement investi et isolé la ville et donné de vigoureux assauts, constate que les assiégés ne sont nullement décidés à capituler. Venu dans le pays pour y semer la crainte due au prestige de la puissance royale, le prince comprend qu'il a affaire à forte partie et préfère, comme l'ont fait les troupes des croisés des premières années de la guerre, laisser Amaury de Montfort se maintenir dans le pays à ses risques et périls. Sa quarantaine à peine terminée, Louis lève le siège, en abandonnant ses machines de guerre.
Ce brusque départ surprit les contemporains, qui l'ont attribué à une trahison des chevaliers français, ou à une entente secrète entre le prince et Raymond VII, ou encore à un calcul perfide de Louis qui, convoitant le pays de Toulouse pour lui-même, n'avait pas intérêt à le reconquérir au profit d'Amaury. Dans tous les cas, c'était la couronne de France qui subissait, par ce nouveau triomphe de Toulouse, un échec éclatant. La gloire du jeune comte ne cesse de grandir, et c'est à présent la noblesse du Midi qui fait la chasse aux barons du Nord installés sur ses terres, les dépossède de leurs domaines, leur retire les titres qu'ils avaient usurpés.
Ces barons, que Simon de Montfort avait placés dans les châteaux et places fortes conquis par lui pour s'assurer de leur fidélité, n'étaient pas, il faut le croire, de zélés serviteurs de la foi, car le catholique Guillaume de Puylaurens les dépeint ainsi: "Au demeurant, on ne doit ni ne peut raconter à quelles infamies ils se livraient (les serviteurs de Dieu); la plupart avaient des concubines et les entretenaient publiquement; ils enlevaient de vive force les femmes d'autrui et commettaient impudemment ces méfaits et mille autres de ce genre. Or, ce n'était pas, bien sûr, dans l'esprit qui les avait amenés qu'ils agissaient ainsi, la fin ne répondait pas au commencement132". Deux chevaliers, les frères Foucaut et Jean de Berzy (que, d'après la "Chanson", Amaury et le prince Louis tenaient pour si précieux qu'ils avaient épargné la garnison de Marmande pour pouvoir les libérer), étaient de véritables bandits, connus à la fois pour leur avarice et leur cruauté: Guillaume de Puylaurens affirme qu'ils mettaient à mort tous les prisonniers qui ne pouvaient leur payer cent sous d'or (somme exorbitante) et avaient une fois forcé un père à pendre son propre fils. Faits prisonniers par Raymond VII, ils furent décapités.
La garnison française de Lavaur est massacrée; Guy, le frère d'Amaury, est blessé et meurt prisonnier, et malgré les efforts du pape qui somme les comtes (le jeune Raymond et le comte de Foix) de se soumettre, les Français ne subissent plus que des revers. Alain de Roucy, le meurtrier du roi d'Aragon, est tué dans le château de Montréal qu'il tenait de Montfort. Les renforts amenés à Amaury par les évêques de Clermont et de Limoges et l'archevêque de Bourges n'empêchent pas Raymond VII de se soumettre entièrement l'Agenais et le Quercy. Amaury ne tient plus que dans le Sud où Narbonne et Carcassonne lui restent encore fidèles.
Le roi de France, malgré les demandes réitérées du pape, refuse de s'occuper de cette affaire. L'échec de son fils l'a découragé, comme il a découragé les grands barons français, et l'exemple de Simon de Montfort donnait à réfléchir à tous ceux qui pouvaient être poussés vers le Languedoc par un désir de conquêtes. Le jeune comte triomphait et redevenait, dans l'esprit de tous, le cousin, le neveu et le pair de la plupart des potentats - couronnés ou non - de l'Occident. Il fait, auprès du roi de France, des démarches en vue d'obtenir sa réconciliation avec l'Église, et lui offre son serment de vassal pour une terre que le roi avait, cinq ans plus tôt, accordée aux Montfort.
On ne sait ce que Philippe Auguste eût finalement décidé au sujet de ce vassal dépossédé par l'Église; Amaury de Montfort, voyant la partie perdue, lui avait offert ses domaines et le roi avait décliné cette offre: il préférait sans doute laisser les deux rivaux s'épuiser dans une guerre dont il n'aurait pas à faire les frais.
En août 1222, le vieux comte de Toulouse mourait à l'âge de soixante-six ans. Cet homme qui fut, sinon la cause, du moins le prétexte de la croisade, cet homme calomnié, humilié, traqué, spolié, haï par l'Église, vénéré de ses sujets, revenu en triomphe après la défaite la plus totale et accueilli comme un sauveur par son pays au moment où il ne possédait plus rien, ce souverain légitime dépouillé par l'Église et le roi et rétabli dans ses droits par la volonté du peuple, a pu croire, en mourant, que sa cause avait triomphé. Son fils, auquel il avait eu l'habileté de céder sa place, du moins officiellement, était déjà le chef du pays et pouvait continuer son œuvre; l'élimination d'Amaury de Montfort n'était plus qu'une question de temps; le Languedoc retrouvait, avec sa liberté, une union nationale qu'il n'avait jamais connue avant la croisade, et les comtes de Toulouse s'étaient acquis une popularité dont autrefois ils n'avaient jamais rêvé.
Cependant, le comte mourait excommunié, et malgré son désir et ses prières, il fut privé, à son lit de mort, des derniers sacrements. Son testament, ainsi que tous les témoignages (produits lors de l'enquête ordonnée par son fils) attestent qu'il est mort dans la foi catholique; il était affilié à l'ordre des Chevaliers de l'Hôpital, et avait exprimé le vœu d'être enterré dans l'hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem, édifice appartenant à cet ordre.