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Si sa mort fut assombrie par la douleur d'être privé des secours de la religion. Son corps, après sa mort, devait subir jusqu'au bout des humiliations réservées aux excommuniés: privé de sépulture en terre consacrée, le cadavre resta pendant des années enfermé dans un cercueil abandonné dans le jardin près du cimetière, et son fils devait pendant vingt-cinq ans implorer vainement le Saint-Siège et multiplier les enquêtes et les démarches sans obtenir satisfaction. Le corps, mal gardé, fut mangé par les rats, les ossements dispersés, le crâne fut ensuite tiré du cercueil et conservé par les Hospitaliers.

Après la mort de son père, le jeune comte (il a déjà vingt-six ans) continue la reconquête méthodique du pays. Les Français ne sont même plus les tyrans détestés de naguère, mais des étrangers indésirables qu'il faut chasser du pays au plus tôt. Les deux partis sont excédés par cette guerre qui ne leur apparaît plus comme une nécessité vitale. En mai 1223, une trêve est conclue entre le jeune comte et Amaury de Montfort, trêve devant servir de préliminaire à une conférence de paix qui siégera à Saint-Flour. Et si, à Saint-Flour, les deux adversaires ne parviennent pas à un accord, on constate néanmoins une détente, et Raymond VII manifeste même tant de bonne volonté à l'égard d'Amaury qu'il s'engage à épouser la sœur de ce dernier après avoir répudié Sancie d'Aragon.

Guillaume de Puylaurens133 raconte que durant cette trêve, le comte s'était livré à une plaisanterie d'un goût douteux en faisant croire, un jour qu'il se trouvait à Carcassonne chez Amaury de Montfort, qu'on l'avait fait arrêter; sa suite, épouvantée, s'enfuit et les deux comtes en rient ensemble. On nous dit que Raymond VII "aimait rire"; était-ce aussi le cas d'Amaury? La guerre dans laquelle leurs deux pères avaient usé leurs forces et laissé leur vie pouvait-elle déjà être un sujet de plaisanteries pour ces garçons de vingt-cinq ans? Raymond triomphait sans haine, Amaury se défendait sans désespoir, ils se connaissaient depuis l'adolescence et, vivant depuis près de quinze ans dans une atmosphère de sang, de cruauté, de trahison et de vengeance, ils devaient être las de haïr; et ils ne devaient pas être les seuls.

La trêve n'aboutit pas à une paix, les deux parties en appelèrent au roi de France et un concile se réunit à Sens. Mais Philippe Auguste, déjà gravement malade, devait mourir avant d'avoir pu s'y rendre, le 14 juillet 1223; et son fils, préoccupé par les tâches urgentes que lui imposait son accession au trône paternel, ne put rien décider et se contenta de faire envoyer à Amaury un subside de dix mille marcs d'argent. La guerre reprit.

La situation d'Amaury devient si critique que malgré l'aide que lui procure le vieil archevêque de Narbonne, Arnaud-Amaury (qui a oublié sa haine contre Montfort et a même engagé une partie des biens de son église pour permettre au jeune comte de Montfort de payer ses troupes), il ne peut retenir auprès de lui que vingt chevaliers, pour la plupart vieux compagnons d'armes de son père. Il a beau offrir en gage ses domaines de France, personne ne veut plus lui prêter d'argent, et pourtant il ne pense plus qu'à organiser son départ.

Trop heureux d'être enfin débarrassés de lui, les comtes de Toulouse et de Foix signent avec Amaury un accord (le 14 janvier 1224). Ils promettent de respecter les personnes et les biens de ceux qui, pendant la guerre, avaient pactisé avec Montfort, de ne pas toucher aux garnisons qu'Amaury laissait dans Narbonne, Agde, Penne d'Albigeois, Valzergues et Termes; Carcassonne, Minerve et Penne d'Agenais restent (en principe) à Montfort. Amaury de Montfort quitte Carcassonne en emportant les corps de son père et de son frère; il est tellement à court d'argent qu'il doit, en route, laisser en gage son oncle Guy et d'autres chevaliers à des marchands d'Amiens, pour la somme de quatre mille livres. Aussitôt après son départ, Carcassonne est reprise par les comtes et rendue au jeune Raymond Trencavel, fils du vicomte Raymond-Roger. Le jeune prince rentre en possession de ses domaines aux acclamations du peuple, et, quinze ans après le massacre de Béziers, les terres occitanes retrouvent leurs anciens seigneurs (ou du moins leurs fils) et les peuples peuvent se croire un instant revenus au temps de leur indépendance d'autrefois.

II - LA CROISADE DU ROI LOUIS

Il n'en était rien. Cette indépendance n'était plus qu'une ombre. Juridiquement elle était mise en question à la fois par l'Église et par la royauté capétienne. Pratiquement elle était à la merci d'une nouvelle guerre qu'un pays épuisé, saigné à blanc, ne pouvait plus soutenir.

Pour réparer ses pertes le Languedoc aurait eu besoin de vingt, de trente ans de paix. Il ne lui fut laissé qu'un répit de trois ans à peine. Et ce n'était même pas un répit, car la perspective d'une nouvelle croisade était suspendue au-dessus de sa tête en permanence et, dès le début de 1225 (même pas un an après le départ d'Amaury), le pape Honorius III presse énergiquement le roi de France pour l'engager à se croiser. Les négociations qui ont lieu entre le roi et le pape font traîner en longueur les préparatifs de la croisade, mais ne sont plus guère que des marchandages par lesquels les deux alliés cherchent à délimiter leurs zones d'influence et où chacun veut obtenir de l'autre des promesses et des garanties pour l'avenir. Mais tous deux savent que l'œuvre si bien commencé doit être menée à bonne fin, et rapidement, avant que l'adversaire ait eu le temps de reprendre des forces.

Aux appels du pape le roi répond en posant des conditions: il demande des indulgences plénières pour ses croisés, exige l'excommunication pour tous ceux qui attaqueraient ses domaines en son absence, et même pour tous ceux qui refuseraient de le suivre ou de le soutenir financièrement; il demande à l'Église des subsides de soixante mille livres par an, pour une période de dix ans; le pape devra nommer légat l'archevêque de Bourges et, enfin, déposséder solennellement et définitivement les comtes de Toulouse et les Trencavel, et confirmer le roi dans la possession de leurs domaines.

Le pape hésite, se disant sans doute que le roi ne songe qu'à agrandir ses domaines aux frais de l'Église; un comte de Toulouse affaibli, d'ailleurs excommunié et sans cesse menacé à la fois par le roi et par l'Église, pourrait peut-être mieux faire le jeu de la papauté qu'un roi de France trop puissant: ce en quoi le pape ne se trompait pas; et si, pour l'Église, un roi de France tel que saint Louis devait être une chance inespérée, son petit-fils Philippe le Bel fera voir, à Anagni, qu'une France trop forte et trop centralisée ne se soucie pas de rester éternellement le "soldat de Dieu". Ce danger-là, si Honorius III le prévoyait, était moins imminent que celui de l'hérésie renaissante. Préoccupé d'ailleurs par le sort de la Terre Sainte, et ne voulant pas risquer d'immobiliser dans le Languedoc toute la chevalerie française disponible, le pape ne perd pas de vue le but véritable de la croisade albigeoise: il tente de forcer le comte Raymond à persécuter lui-même les hérétiques, en faisant peser sur lui la menace d'une nouvelle invasion française.

Le roi de son côté, voyant le pape disposé à traiter avec Raymond, déclare qu'en ce cas cette affaire d'hérésie ne le concerne plus. Le comte, reconnaissant, cherche à prouver sa bonne volonté au Saint-Siège et jure au concile de Montpellier (août 1224) de poursuivre les hérétiques, de chasser les routiers et de dédommager les églises spoliées ainsi que le comte de Montfort, si toutefois celui-ci s'engage à renoncer à ses prétentions.

Peu satisfait sans doute par les promesses de Raymond, et craignant de mécontenter le roi de France, le pape fait traîner les négociations, et finit par convoquer un concile, qui se tiendra à Bourges, et où les arguments des deux prétendants au comté de Toulouse seront entendus par une assemblée de représentants de l'Église; le 30 novembre 1225, quatorze archevêques, cent treize évêques et cent cinquante abbés de toutes les provinces de la France du Nord et du Midi se réunissent à Bourges; il est clair qu'un jury composé de prélats ne pouvait donner raison à Raymond VII, excommunié et suspect de favoriser l'hérésie; sa cause était donc perdue d'avance.