Thibaut de Champagne quitta le roi bien avant la fin du siège, sa quarantaine terminée. Mais la ville, bloquée, commençait à souffrir de la famine, et le légat Romain de Saint-Ange négocia la capitulation. Après trois mois de siège, Avignon se rendit et dut accepter les conditions du vainqueur; livraison d'otages, destruction des remparts et des maisons fortifiées, lourdes contributions financières. Jamais encore cette grande cité libre, vassale de l'empereur et réputée imprenable, n'avait subi de traitement pareil.
Frédéric II devait d'ailleurs protester (assez inutilement) auprès du pape contre cette violation de ses droits. Le roi n'en tint pas compte et laissa dans là ville une garnison française. La capitulation d'Avignon fut un coup de chance pour l'armée royale: quelques jours après, une crue de la Durance noyait l'emplacement du camp croisé.
Une chance d'autant plus grande que les cités de l'Albigeois et du Carcassès, qui s'étaient contentées d'une soumission toute théorique tant que le roi était immobilisé devant Avignon, lui ouvrirent leurs portes, et acceptèrent sans discuter toutes ses conditions: la chute d'Avignon, une des plus grandes villes des Gaules, impressionna le pays presque autant que l'eût fait la chute de Toulouse.
Le roi occupe Beaucaire, puis toutes les grandes villes qui jalonnent la route vers Toulouse, de Béziers à Puylaurens, sans coup férir. Devant Toulouse, il s'arrête. La capitale du Languedoc n'avait envoyé aucun message, aucune députation, et le comte avec ses troupes, très inférieures en nombre à celle du roi, talonne l'armée royale, lui livre une guerre d'embuscades et d'escarmouches, tombant sur les traînards et les éclaireurs; et ces mêmes seigneurs qui, quelques mois plus tôt, avaient fait envoyer au roi des lettres où ils le saluaient comme un sauveur, "arrosant ses pieds de larmes et avec des prières larmoyantes" (lettre de Sicard de Puylaurens), loin de lui prêter hommage, se retirent dans les montagnes et se préparent à la défense.
Le roi rétablit dans leurs fiefs les anciens compagnons de Montfort, et Guy de Montfort, auquel il donne (ou rend) Castres; laisse des sénéchaux dans toutes les villes qu'il a occupées; et, des Pyrénées au Quercy, du Rhône à la Garonne, reçoit les clefs des villes soumises d'avance, et traîne une armée démoralisée, décimée par les maladies, mais tirant sa force de l'immense détresse d'un pays épuisé par quinze ans de guerre. En octobre 1226, l'armée royale n'avait ni la force ni l'envie d'entreprendre le siège de Toulouse: les chroniqueurs du temps sont unanimes à constater son découragement, sa fatigue, ses pertes nombreuses tant par la maladie que par la guerre; le roi, malade lui-même, mourra en route quelques jours après avoir quitté le Languedoc.
Si chaque ville avait résisté comme l'avait fait Avignon, la croisade royale eût tourné au désastre total. Mais le roi et le légat avaient bien calculé leur coup: ils attaquaient un blessé à peine convalescent et encore incapable de se tenir debout; Avignon n'avait pas souffert de la guerre au temps de Simon de Montfort. Encore les demi-vainqueurs se retiraient-ils épuisés eux-mêmes, la force de la résistance passive du pays étant encore assez grande pour rendre la campagne pénible et semée d'embûches. Le retour des croisés qui ramèneront, cousu dans une peau de bœuf, le cadavre du pieux roi, n'aura rien d'un retour triomphal.
Mort à trente-sept ans, Louis VIII laissait le trône à un enfant de onze ans, et la régence à une veuve obligée de faire face à la révolte des grands vassaux. Pour le malheur du Languedoc, cette veuve se trouvait être Blanche de Castille, femme douée de plus d'énergie et d'ambition que n'en eurent jamais son mari ni son fils. Si les Méridionaux ont pu se réjouir de la mort de Louis, ils allaient vite comprendre qu'ils étaient tombés de Charybde en Scylla; et les troubadours, plus tard, regretteront le "bon roi Louis134".
L'armée, que le roi a laissée en Languedoc pour garder les territoires conquis, est plus importante que celle dont disposait Simon de Montfort en septembre 1209. Sa situation est moins précaire: lieutenant du roi, le sénéchal Humbert de Beaujeu ne dépend pas du bon plaisir des croisés de passage; le roi de France est tenu de lui envoyer des secours. Cependant, dès l'hiver 1226-1227, les comtes de Toulouse et de Foix reprennent Auterive, La Bessède et Limoux; la noblesse méridionale se regroupe, le peuple se soulève contre les Français; Humbert de Beaujeu demande des renforts de France, car, s'il est solidement établi à Carcassonne (qui, ayant pendant quinze ans servi de quartier général aux Montfort, était tout naturellement devenue celui de l'armée royale), les villes et les châteaux environnants sont revenus à leurs anciens seigneurs.
La régente, aux prises avec la coalition des grands vassaux - les comtes de La Marche, de Champagne, de Boulogne, de Bretagne, - a besoin d'argent, et songe à utiliser pour sa guerre féodale le décime accordé par l'Église pour la croisade en Albigeois; les prélats refusent de payer, malgré la colère du légat, Romain de Saint-Ange, qui prend ici parti pour la reine contre l'Église. Et, comme les évêques en appellent au pape, Blanche de Castille n'obtient l'argent qu'en envoyant des renforts à Humbert de Beaujeu. Et si, par des promesses ou des menaces, elle parvient à triompher rapidement de la ligue des vassaux, l'affaire du Languedoc est pour elle une source de graves difficultés; cette province dont son mari avait commencé la conquête, et que la couronne de France ne pouvait plus lâcher sans perdre la face, ne semblait pouvoir être réduite que par des expéditions armées importantes, renouvelées chaque année; avec la menace permanente que constituait l'Angleterre, la reine ne pouvait se permettre d'immobiliser ses forces dans le Midi. Et le pape la pressait sans cesse de reprendre la guerre sainte contre l'hérésie.
Blanche de Castille ne songe pas à profiter de son état de femme et de veuve pour se dérober à ses responsabilités: malgré les menaces qui pèsent sur elle dans le Nord, elle parvient à entretenir dans le Languedoc des troupes suffisantes pour harceler et affaiblir l'adversaire, sinon pour l'écraser. Avec les renforts envoyés au printemps 1227, Humbert de Beaujeu reprendra le château de La Bessède, dont il fera massacrer la garnison, et ravagera les campagnes dans la région du Tarn. L'année suivante, il avancera dans le comté de Foix (où Guy de Montfort sera tué devant Varilles) et, s'il perdra Castelsarrasin, il reprendra le château de Montech. Puis, avec de nouveaux renforts amenés par les archevêques d'Auch, de Narbonne, de Bordeaux et de Bourges, il marchera sur Toulouse, toujours imprenable. Le plan des Français n'est plus de remporter des victoires militaires, mais de ruiner le pays afin de le rendre peu à peu incapable de se défendre.
C'est ce que montre d'une façon très explicite Guillaume de Puylaurens, en décrivant les ravages que fait l'armé d'Humbert de Beaujeu devant Toulouse: conduits et animés par Foulques (l'évêque transfuge qui, ne pouvant rentrer dans sa ville, est rempli de sainte colère contre ses diocésains), les croisés se livrent à une destruction systématique des environs de la ville. En été 1227, les Français installent leur camp à l'est de Toulouse, et de là, jour après jour, ils organisent des expéditions contre les vignobles, les champs de blé, les vergers et, se transformant en cultivateurs à rebours, fauchent les champs, arrachent les vignes, démolissent les fermes et les maisons fortifiées.
"...Dès l'aurore, dit l'historien, les croisés entendaient la messe, déjeunaient sobrement et se mettaient en marche, précédés d'une avant-garde d'archers... Ils commençaient le dégât par les vignes les plus rapprochées de la ville, à l'heure où les habitants étaient à peine éveillés; ils se retiraient ensuite dans la direction du camp, suivis pas à pas par les troupes de bataille, tout en continuant leur œuvre de destruction. Ils agirent de même chaque jour, pendant trois mois environ, jusqu'à ce que la dévastation fût à peu près complète135".