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C'est à Baziège, vers la fin de l'année 1228, que Raymond rencontra Élie Guérin, abbé de Grandselve, qui lui transmit des propositions de paix; en tout cas, un acte daté du 10 décembre et signé par le comte déclare accepter la médiation de l'abbé et promet de "ratifier tout ce qui sera fait par lui et avec lui en la présence de notre cher cousin Thibaut, comte de Champagne". La lettre ajoute que la décision a été approuvée par les barons et les consuls de Toulouse. La personnalité dont le comte demandait la médiation et, en quelque sorte, l'arbitrage était, en effet, un parent à la fois de la reine et de Raymond VII, par sa grand-mère Marie de France, fille, elle aussi, d'Éléonore d'Aquitaine. Thibaut de Champagne, vassal plutôt récalcitrant de la couronne de France (bien qu'on le prétendit amoureux de la reine), était du nombre de ces grands féodaux qui hésitaient sans cesse entre l'obéissance au roi et des velléités d'indépendance. Cet homme versatile, mais brillant et cultivé, épris de courtoisie et de littérature, poète lui-même, était connu pour ses tendances libérales et même anticléricales. (On trouve dans ses chansons des vers qui flétrissent ouvertement la conduite de l'Église qui a "laissé les sermons pour guerroyer et tuer les gens". "Notre chef (le pape) fait souffrir tous les membres147!") Ce comte avait donc toutes les raisons d'éprouver de la sympathie pour Raymond VII, et déjà, en 1226, il n'avait participé à la croisade qu'à contrecœur. Mais, sans doute à cause de cela même, il n'était pas très bien en cour auprès de Blanche de Castille. Dans tous les cas, sa médiation semble n'avoir servi strictement à rien, sinon peut-être à donner à Raymond VII de faux espoirs.

Si Thibaut de Champagne n'obtint pas grand-chose, comme on va le voir, la reine devait cependant être très pressée de conclure la paix avec le comte, car déjà en janvier 1229, malgré les rigueurs de l'hiver et les difficultés du voyage, l'abbé de Grandselve revenait à Toulouse, porteur du projet de traité élaboré par la régente et le légat.

Par ce projet, le roi de France (en la personne de sa mère) reconnaissait pour siens sans réserves et sans discussions l'ancien domaine des Trencavel, c'est-à-dire: le Razès, le Carcassès et l'Albigeois; plus la ville de Cahors et les terres relevant du comte de Toulouse en Provence (au-delà du Rhône). Le roi "laisse" au comte l'évêché de Toulouse et lui "cède" ceux d'Agen et de Rodez (l'Agenais et le Rouergue méridional) et encore sur ces terres Raymond VII doit-il faire démanteler trente places fortes dont vingt-cinq sont nommément désignées (parmi elles des villes importantes comme Montauban, Moissac, Agen, Lavaur et Fanjeaux) et les cinq non nommées sont laissées à la discrétion du roi. Les biens des personnes "dépossédées" par la reconquête (c'est-à-dire des croisés de Montfort) doivent être restitués. Le comte doit livrer au roi neuf forteresses (dont les deux Penne, d'Agenais et d'Albigeois) pour une durée de dix ans.

De plus, le comte doit "livrer" sa fille, qui sera donnée en mariage à un frère du roi (non désigné) et qui deviendra l'unique héritière des domaines de Toulouse, à l'exclusion des autres enfants que son père pourrait avoir plus tard (sauf le cas où elle mourrait avant lui et qu'il ait des fils légitimes à cette date).

À ce prix-là seulement il pouvait être réconcilié avec l'Église, condition préliminaire du traité car, est-il ajouté, "si l'Église ne nous pardonne pas... le roi ne sera pas tenu d'observer cette paix, et si le roi ne l'observe pas nous n'y serons pas non plus obligé".

Dans ce projet de traité, publié par les hérauts dans les villes du Midi, il est à peine fait mention des hérétiques; l'obligation de les poursuivre est sans doute sous-entendue par le fait même de la réconciliation avec l'Église, mais il n'est pas explicitement parlé des mesures à prendre contre eux et qui semblent laissées à l'initiative du comte.

Si dur qu'il fût, ce traité ne fut pas jugé absolument inacceptable par les barons et les consuls que Raymond VII convoqua au Capitole de Toulouse pour leur soumettre les propositions royales. Il y fut décidé en tout cas que le comte se rendrait à Paris, accompagné d'une délégation de barons et de dignitaires des principales villes, pour essayer de négocier, sur les bases de ce projet, une paix plus avantageuse. L'abbé de Grandselve rapporta la réponse du comte à la reine, qui décida de convoquer, pour la fin mars, une conférence à Meaux (ville en quelque sorte neutre, puisqu'elle relevait du comté de Champagne) afin de fixer les conditions définitives de la paix.

Le traité n'était pas encore signé. Le fait même que c'était l'adversaire qui demandait à négocier et y mettait un empressement peu commun faisait sans doute croire aux barons du Midi que ce projet n'était qu'une manœuvre d'un partenaire décidé à marchander et commençant à dessein par des prétentions exorbitantes, pour se laisser la liberté d'en rabattre ensuite. Étant donné la terrible situation économique du pays, il eût été imprudent de repousser des offres de paix; il est donc certain que le comte se rendit à Meaux dans l'intention de négocier et de discuter, mais non de capituler sans conditions.

On peut se demander quelles considérations ont pu forcer Raymond VII à signer un traité beaucoup plus dur que celui qui lui avait été proposé et que ses conseillers et vassaux n'avaient déjà accepté que sous réserve. Si même un contemporain bien informé, et nullement suspect de fanatisme antifrançais tel que Guillaume de Puylaurens, ne comprend pas, nous le comprenons encore moins. La logique de l'histoire veut que le vainqueur écrase le vaincu jusqu'aux limites du possible, et il faut croire que le Languedoc, malgré d'appréciable succès militaires, se trouvait dans un état de misère dont les témoignages parvenus jusqu'à nous ne donnent qu'une faible idée. Il n'en reste pas moins vrai que ce fut un traité scandaleux, et plus cruel si possible que la dépossession pure et simple de Raymond VII par le concile de Latran.

Le comte de Toulouse arrivait en France à la tête d'une grande délégation, composée de représentants de la noblesse, de la bourgeoisie et du clergé languedociens.

Parmi ces personnalités se trouvaient vingt notables toulousains, consuls ou barons; entre autres, Bernard VI comte de Comminges, Hugues d'Alfaro, beau-frère (naturel) du comte, Raymond Mauran, le fils de ce Pierre Mauran qui fut flagellé et exilé en 1173, Guy de Cavaillon, Hugues de Roaix, Bernard de Villeneuve, etc. Le comte de Foix, Roger Bernard, n'accompagnait pas son suzerain: sans doute son penchant pour l'hérésie était-il trop notoire, et il pouvait craindre de faire échouer les négociations en se présentant en personne. Privée de l'homme qui était, plus que le comte de Toulouse lui-même, l'âme de la résistance du Languedoc, la délégation était en revanche bien représentée du côté du clergé: l'énergique Pierre Amiel, nouvel archevêque de Narbonne, le vieil évêque de Toulouse, les évêques de Carcassonne et de Maguelonne, les abbés de la Grasse, de Fontfroide, de Belleperche et naturellement l'abbé de Grandselve accompagnaient le comte bien décidés à défendre devant le concile de Meaux les droits de l'Église. Le cortège comprenait en outre les nouveaux seigneurs de l'Albigeois, les anciens compagnons de Montfort (ou les héritiers de ceux qui étaient morts entre-temps), Guy de Lévis le "maréchal", Philippe de Montfort, Jean de Bruyère, les fils de Lambert de Croissy, etc., qui tous venaient recevoir du roi l'investiture qui les confirmait dans leurs nouvelles possessions.

À Meaux, la reine avait fait réunir un grand concile, où étaient convoqués les évêques et abbés du Nord aussi bien que du Midi. L'assemblée était présidée par l'archevêque de Sens, assisté par les archevêques de Bourges et de Narbonne; mais le chef véritable de la délégation ecclésiastique était le cardinal-légat Romain de Saint-Ange, en sa qualité de légat des Gaules; il avait à ses côtés les légats d'Angleterre et de Pologne. À la tête des représentants de la couronne se trouvaient le connétable Mathieu de Montmorency et Mathieu de Marly (tous deux parents des Montfort), et le comte Thibaut de Champagne, le médiateur officiel de la paix qui allait être conclue.