Le comte de Champagne mis à part, Raymond VII se voyait donc, en arrivant à Meaux, dans une assemblée composée soit de ses pires ennemis, soit de puissances de l'Église qui ne pouvaient songer à discuter avec lui comme avec un égal, mais au mieux à le traiter en criminel repentant. Il était venu pour traiter avec le roi de France et se trouvait en quelque sorte traduit devant un tribunal ecclésiastique. Mais il est vrai que les pouvoirs laïques étaient représentés par une régente qui valait à elle seule dix évêques.
Le zèle de Blanche de Castille pour la foi catholique est trop connu pour que l'on ait besoin d'insister là-dessus. Cette reine, loin d'imiter son aïeule Éléonore d'Aquitaine, de présider des cours d'amour et de mener une vie mondaine et brillante, consacrait à la prière et à l'étude le temps libre que lui laissaient ses devoirs de mère de famille: elle eut onze enfants, et si la légende qui veut qu'elle les ait allaités elle-même est fausse (on sait que saint Louis eut plusieurs nourrices) il n'en reste pas moins vrai qu'elle s'occupa personnellement de leur éducation, et garda sur eux toute sa vie une influence profonde. Très autoritaire, elle resta, même après la majorité de son fils, la véritable régente du royaume. C'est donc à elle plutôt qu'au cardinal-légat qu'il faut attribuer la responsabilité du traité de Meaux; mais elle était poussée elle-même par une autorité supérieure qu'elle servait avec un dévouement aveugle, encore qu'intéressé. Par un concours de circonstance exceptionnellement favorable, sa piété se trouvait être, dans l'affaire du Languedoc, au service de ses intérêts.
Sans doute était-ce un malheur pour Raymond VII d'avoir, en cette affaire qui décidait du sort de son pays, à traiter avec une femme. Un homme, fut-il Philippe Auguste lui-même, eût peut-être rougi de se rendre coupable d'un tel abus de pouvoir; il eût pu être retenu par le respect des traditions féodales, par la crainte du blâme public, par la nécessité de ménager l'adversaire dans l'espoir de s'en faire un allié. Dans l'attitude de Blanche, on croit sentir la dureté de la femme restée veuve avec des enfants sur les bras et obligée de "se défendre". Femme, elle est, de par la faiblesse de son sexe, en dehors des conventions tacites qui régissent les rapports des hommes entre eux. En politique, elle a la hardiesse (souvent heureuse) des amateurs, qui osent beaucoup par ignorance et par mépris des règles, plutôt que par calcul. Femme encore, elle se laisse dominer par ses sentiments et, farouchement catholique, elle ne voit aucun mal à écouter, dans une affaire d'État, les conseils des prêtres plutôt que ceux des laïcs. Son attachement au légat Romain de Saint-Ange prouve à quel point elle était acquise corps et âme au parti de l'Église.
Il importe assez peu de savoir s'il y eut entre eux ou non ces relations coupables que les contemporains leur ont attribuées (le légat était encore jeune et l'affection que lui témoignait la reine était trop évidente). Fière et dévote, onze fois mère, et accablée par les soucis d'une tâche écrasante, la régente avait-elle encore du temps et du cœur à gaspiller dans une intrigue amoureuse? La rumeur publique l'accusa comme elle devait accuser plus tard Anne d'Autriche, cette autre régente obligée de s'appuyer sur un prêtre pour régner. Ce qui importe, et ce qui est certain, c'est que l'influence de Romain de Saint-Ange fut très grande, et qu'en toutes circonstances la reine approuva son légat et lui laissa les mains libres.
Le programme de répression méthodique de l'hérésie, qui transformait le traité de Meaux en une véritable mainmise policière de l'Église sur le Languedoc, a été élaboré sous la direction du légat; mais la reine, elle aussi, professait une telle horreur de l'hérésie que, plus tard, saint Louis, son fils et fidèle disciple, devait conseiller à ses amis de plonger leur épée dans le ventre de quiconque tiendrait devant eux des propos entachés d'hérésie ou d'incrédulité. Elle ne pouvait qu'approuver sans réserve toutes les mesures que le légat devait prendre contre les ennemis de l'Église.
Il y avait, dans la base des négociations proposées à Raymond VII, un malentendu volontaire: d'un côté il était le chef d'un pays belligérant décidé à conclure la paix; de l'autre, il était un excommunié sans droits ni titres, qui avait commis le crime de disputer au roi des terres qui appartenaient à ce dernier de par la décision de l'Église. La mission de l'abbé de Grandselve s'adressait au comte de Toulouse; arrivé à Meaux, Raymond VII n'était plus que l'excommunié auquel on faisait trop d'honneur en recevant sa soumission inconditionnée. Les négociations préalables n'avaient donc été qu'un simulacre destiné à attirer le comte dans le piège.
Arrivé à Meaux, il n'avait plus d'autre alternative que d'accepter les conditions de ses juges, ou bien de rompre les négociations. Du reste, il n'est pas du tout certain qu'en cas de rupture ouverte le comte eût été libre de repartir et de recommencer la guerre: après la signature du traité de paix, il fut retenu prisonnier au Louvre; rien ne dit que, s'il avait refusé de signer, il eût été traité avec plus de ménagements.
Or, les modifications apportées par le légat aux préliminaires du traité étaient assez considérables.
D'abord, Toulouse devait être de nouveau privée de ses murailles, dont 500 toises (près de 1 km) devaient être rasées, et le château Narbonnais, résidence des comtes, devait être livré au roi de France; ensuite, les indemnités à verser pour dommages de guerre aux églises et aux abbayes (même à celles de Cîteaux et de Clairvaux qui, n'étant pas en Languedoc, n'avaient subi aucun dommage) s'élevaient à des sommes énormes ainsi que l'entretien de la garde du château Narbonnais pour le compte du roi (20000 marcs en tout, payables en quatre ans); ensuite, le traité prévoit la création d'une école de théologie à Toulouse, pour l'entretien de laquelle le comte doit également payer la somme de 4000 marcs, et qui sera dirigée par des maîtres imposés par le roi et l'Église; enfin, le comte s'engage formellement à combattre les hérétiques, à les faire rechercher par ses baillis, à payer 2 marcs d'argent à quiconque aura fait prendre un hérétique, à faire confisquer les biens des excommuniés qui n'auront pas fait leur paix avec l'Église dans le délai d'un an; à ne plus confier de charges publiques aux Juifs et aux personnes suspectes d'hérésie; à combattre tous ceux qui refuseront de se soumettre à ce traité, en particulier le comte de Foix.
L'héritière et l'héritage du comte passent, comme convenu, aux mains du roi de France; le roi hérite même au cas où son frère (l'époux de l'héritière de Toulouse) mourrait sans enfant et où le comte aurait d'autres enfants légitimes. Ce qui est contraire à la coutume et peu logique, puisque pour s'assurer la possession du comté de Toulouse le roi a tout de même besoin du prétexte légal qu'est ce projet de mariage. Il faut croire que Raymond VII, lui aussi, comptait sur la puissance du droit d'héritage: il n'avait que trente-deux ans, et avait amplement le temps de se remarier et de déjouer ainsi les plans trop ambitieux de la régente.
Plusieurs historiens, à commencer par dom Vaissette, lui ont fait grief de ce traité. Nous ignorons quelles pressions furent exercées sur ce prince; mais il est évident qu'à ses yeux, comme à ceux de ses contemporains, ce fut une "paix forcée"148, donc provisoire, et pouvant être dénoncée dès que les circonstances deviendraient plus favorables. Le précédent du concile de Latran était encore dans tous les esprits. Les vaincus ont de tout temps pratiqué la politique du chiffon de papier, le respect des traités n'est sacré que pour le vainqueur.